Les Femmes oubliées de Buchenwald

Depuis 1977, le 8 mars est reconnu par les Nations Unies comme la Journée internationale des femmes.
C’est l’occasion pour notre Association de rappeler que des femmes furent déportées à Buchenwald. On parle des Femmes oubliées de Buchenwald.
Agnès Triebel, qui avait, en 2005, présenté une exposition sur ce sujet sous l’égide de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, et en partenariat avec le Mémorial du Maréchal Leclerc et de la Libération de Paris/Musée Jean Moulin, évoque dans le texte qui suit « Les Femmes oubliées de Buchenwald ».

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Les Femmes oubliées de Buchenwald

Depuis 1977, le 8 mars est reconnu par les Nations Unies comme la Journée internationale des femmes.
C’est l’occasion pour notre Association de rappeler que des femmes furent déportées à Buchenwald. On parle des Femmes oubliées de Buchenwald.
Agnès Triebel, qui avait, en 2005, présenté une exposition sur ce sujet sous l’égide de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, et en partenariat avec le Mémorial du Maréchal Leclerc et de la Libération de Paris/Musée Jean Moulin, évoque dans le texte qui suit « Les Femmes oubliées de Buchenwald ».

« Des femmes oubliées » ?

Lorsque l’on parle de Buchenwald, tant à travers l’historiographie que dans l’opinion publique, on a plutôt en mémoire un camp d’hommes. Or, parmi les 238 980 internés allemands et déportés de toute l’Europe occupée par les nazis, qui ont été envoyés à Buchenwald entre 1937 et 1945, il y avait plus de 27.000 femmes (27.147 très exactement), astreintes au travail d’esclave dans 27 kommandos extérieurs de Buchenwald, c’est-à-dire près de 12% des effectifs globaux de ce camp. Cela veut dire également qu’à partir de la seconde moitié de l’année 1944, 1 détenu sur 9 de Buchenwald était une femme ou une jeune fille.
La première raison essentielle de cette perception de Buchenwald comme étant un camp d’hommes uniquement, en dépit des chiffres, tient à ce que  les prisonnières des kommandos extérieurs de Buchenwald ont été envoyées, dès la mi-44,  directement depuis les camps de Ravensbrück, d’Auschwitz-Birkenau, de Bergen-Belsen, du Stutthof, de Majdanek, de Skarzysko-Kamienna sur les lieux de production où elles allaient être exploitées comme esclaves, placées sous l’administration de Buchenwald.  A part quelques exceptions (des enquêtes à mener pour des punitions, et un convoi, celui du 19 septembre 1943 comprenant 900 détenus -dont 278  femmes, qui ont séjourné quelques jours à Buchenwald même-), les femmes de Buchenwald n’ont jamais foulé le sol de Buchenwald, sur le Ettersberg.
La deuxième raison à cette perception qui fut longtemps entièrement masculine du camp, tient au fait que les survivants hommes de Buchenwald et de ses kommandos, au moment où ils ont commencé de témoigner sur la terreur, le travail forcé, la résistance, ne savaient donc presque rien de cette réalité, ni de l’exploitation sans pitié des femmes dans les kommandos de  Buchenwald, ni de leur volonté de survivre, de leur résistance, du sabotage qu’elles ont pratiqué, bref de leur destin.

Pourquoi des kommandos de femmes gérés par des camps d’hommes ?

Parce qu’avec l’extension de la guerre totale (à partir du 18 février 1943), les camps ont été restructurés pour recevoir l’arrivée massive de déportés européens, envoyés pour être exploités dans l’industrie de guerre allemande. A cette époque, de grands convois de femmes déportées, venant principalement d’Europe de l’Est, arrivaient quasi quotidiennement à Ravensbrück. Entre février 1943  (date de la guerre totale) et décembre de la même année, plus de 10.000 matricules supplémentaires sont enregistrés à Ravensbrück. Le camp s’avérait de plus en plus saturé, mais les convois de masse transportant des femmes juives et de résistantes venues de tous les pays de l’Europe occupée, continuaient d’affluer en cet été 44 ç Ravensbrück.
Dans l’objectif d’intégrer au plus vite une main d’œuvre dont l’industrie de guerre allemande avait urgemment besoin, le Bureau central des Affaires économiques de la SS (SS-WVHA qui à Oranienburg-Sachsenhausen) a pris la décision, en juin 1944, d’abandonner le strict principe de séparation de camps d’hommes et de camps de femmes et a décrété  que des camps, qui jusqu’ici avaient géré des hommes uniquement, se verraient désormais adjoindre des kommandos de femmes venant de Ravensbrück.  Ordre a  été également donné de créer de nouveaux kommandos extérieurs de femmes, placés sous la juridiction et la gestion de camps d’hommes (Sachsenhausen (28), Dachau (28), Neuengamme (34), Flossenbürg (32), Mauthausen (12) Buchenwald).
Voilà comment Buchenwald a régné sur 27 kommandos extérieurs de femmes créés entre le 1er septembre 1944 et le mois de février 1945.

D’où venaient ces femmes détenues ?

De tous les pays d’Europe occupés par les nazis, mais en majorité de Hongrie (les Hongroises en majorité juives ont constitué le plus grand groupe : + de 10.000 femmes, suivies par les Polonaises, 9.500, puis les ressortissantes de l’Union soviétique (3.700) et les Françaises, qui furent au nombre de 1.203 femmes et jeunes filles, ayant pour la plupart d’entre elles rejoint la résistance et appartenant à différents groupements politiques.

A quelle catégorie appartenaient-elles dans les kommandos de Buchenwald ?

Elles étaient des détenues politiques : (Des Allemandes antinazies communistes pour la plupart, qui ont été internées dès 1933 dans le camp de Moringen, près de Göttingen, puis à Lichtenburg, et dès sa création, à Ravensbrück, où elles arrivent à partir de mai 1939. Elles furent plus de 800 dans les kommandos de Buchenwald)
Des Polonaises (notamment celles qui sont arrêtées pendant l’insurrection de Varsovie, celles qui sont arrêtées en action de représailles), des Françaises. (elles se constituent rapidement en groupes nationaux)
Des détenues juives (+ de 13.000) (L’extermination des Juifs de Hongrie débute au printemps 44. Nombreuses sont les Juives qui arrivent dans les kommandos de Buchenwald avec derrière elles des années de ghetto, de camps et subi la perte de tous leurs proches.
Des Tsiganes (+ de 1.000 d’Allemagne, Autriche, Hongrie). Leur extermination commence depuis 16.12.42. En aout 44, le camp des Tsiganes d’Auschwitz est liquidé. Mais les Tsiganes qui restent sont envoyés dans d’autres camps pour travailler, notamment les femmes dans les kommandos de Buchenwald.
Des prisonnières de guerre soviétiques (membres de l’Armée rouge, auxquelles les nazis avaient donné le sobriquet de « Flintenweiber » on pourrait le traduire par « carabinières », des travailleuses forcées (Zwangsarbeiterinen).

Quel travail ?

Elles ont travaillé, comme des esclaves,  de nuit comme de jour, pour 19 sociétés d’armement (les plus connues étant Krupp, BMW, Junkers, IG Farben, Rheinmetall Borsig, Allgemeine Solvay, Polte, Hugo Schneider (dit Hasag, premier producteur d’armes antichar),  et qui fut le plus grand kommando de femmes Buchenwald, avec près de 5000 détenues dont 500 Françaises. Les prisonnières ont été exploitées dans les mêmes conditions inhumaines de travail que les hommes, travaillant douze heures d’affilée, surveillées au camp par des gardiennes SS sadiques (cf. liste d’Odette Pilpoul à Hasag-Leipzig-Schönefeld) chargées de les exploiter sans merci et de faire augmenter la production, sans égard pour leur constitution physique et au plus grand mépris des conséquences de telles conditions sur leur santé. Elles travaillaient à la fabrication de munitions, dans l’industrie aéronautique (fabrication d’avions de chasse je pense au kommando de Markkleeberg), l’industrie lourde (laminage dans les aciéries Krupp à Essen), à la construction de routes et voies, aux travaux de déblaiement lors de bombardements, au déchargement de bateaux, à la fabrication de substances toxiques, d’explosifs et au remplissage de centaines de munitions et de bombes chaque jour. Les détenues juives et tsiganes étaient assignées aux travaux les plus dangereux et les plus durs et c’est pourquoi le taux de mortalité est plus élevé parmi leur groupe que dans ceux d’autres catégories de détenues. A partir d’octobre 44, 1 femme sur 5 est renvoyée à Auschwitz pour être gazée ou à Bergen-Belsen.

La résistance des femmes

Les détenues politiques, parmi elles les Françaises, aussi périlleux cela fût-il et au prix d’actions individuelles ou collectives, ont poursuivi la résistance au nazisme dans les unités de production. Ralentir le rythme de la production, faire arrêter les machines pendant 30-40 minutes ou  en gripper une, en incluant une grosse poussière dans la phase de polissage d’une pièce d’artillerie par exemple, rendre un peu lâche une courroie de transmission ou la tendre te façon telle qu’elle va sauter, faire alterner avec astuce les bonnes pièces avec les mauvaises en bout de chaîne, tout cela exigeait la plus grande vigilance et impliquait beaucoup de solidarité entre détenues pour éviter le pire.

Il y eut aussi d’autres types d’actes de résistance dans la vie au camp, pour maintenir la dignité et l’humanité dans cet horrible univers concentrationnaire (organisation de soirées culturelles (le mémorable défile de chapeaux des Françaises à Hasag-Leipzig, fabrication de menus objets (jouets, broches en fil de détonateur, petit carnet en toile de paillasse, un journal mural quotidien punaisé avant le couvre-feu puis retiré) etc…, et puis ces gestes ultimes de solidarité et  d’entraide pour la survie dans un univers où la mort doit l’emporter sur la vie.

La résistance des femmes soviétiques : elles refusent de travailler, comme elles l’avaient fait à Ravensbrück, revendiquant leur statut de prisonnières de guerre et exigeant d’être traitées comme telles. Elles ont la plupart du temps été très sévèrement réprimées (appels supplémentaires pendant des heures, une jeune fille fut pendue, et envoyées dans les kommandos disciplinaires (IG Farben Wolfen, Meuselwitz, Gelsenkirchen (déblaiement de bombardements)

La fin de ces kommandos

A partir de fin mars – début avril 1945, les bombardements alliés s’intensifient et les mouvements alliés se rapprochent, prenant l’Allemagne en tenaille. Les kommandos sont évacués et les prisonnières jetées sur les routes de la mort. Elles seront libérées, selon,  par les troupes américaines ou soviétiques.

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