LE CAMP DE BUCHENWALD EN QUELQUES DATES
1938
janvier : le “politique” Walter Kràmer, l’un des dirigeants clandestins, commence à travailler au Revier (infirmerie) jusque là domaine réservé aux Verts et centre d’assassinat des politiques.
20 avril : le pasteur Schneider refuse de se découvrir lors d’une cérémonie d’hommage à Hitler sur la place d’appel. Il est jeté au Bunker (cachot). Il y sera étranglé par le S.S. Sommer le 18 juillet 1939.
5 mai : arrivée de grands transports de prisonniers accusés d’Arbeitsscheu (allergie au travail) parmi lesquels de nombreux Tziganes.
septembre : 2.000 Autrichiens, les premiers étrangers, arrivent au camp.
9 novembre : A la suite du pogrom dit par les nazis Nuit de cristal, plus de 10.000 juifs arrivent au camp. Ils sont parqués à part, affreusement maltraités et pillés par les S.S. qui leur redonnent la liberté contre des “dons” extorqués par les coups et les menaces (magasins, maisons, autos, sommes importantes). Le camp des juifs est supprimé le 15 février 1939.
31 décembre : Effectifs : 11.028
1939
janvier-février : Kurt Arndt devient chef de Block. Il est le premier “politique” à détenir cette fonction. Son Block devient le centre de la Résistance.
de mars à avril : nombreuses libérations. Mais la plupart des libérés seront repris pour activité antinazie et renvoyés à Buchenwald ou dans d’autres camps.
septembre : arrivée des premiers Tchèques.
5 octobre : arrivée des premiers Polonais.
15-16 octobre : 2.098 Polonais sont internés dans un camp spécial à Buchenwald même.
9 novembre : 21 détenus juifs sont fusillés en “représailles” de l’attentat du 8 novembre contre Hitler.
décembre : épidémie de typhus. Forte augmentation de la mortalité.
31 décembre : Effectifs : 11.807
1940
janvier-février : fin de l’épidémie. Suppression du camp spécial des Polonais dont 600 sont admis au “grand camp” où, malgré les soins des détenus du Revier, ils meurent très nombreux.
Printemps : mise en marche du premier four crématoire. Un crématoire mobile avait auparavant fonctionné sur la place d’appel.
3 mai : Rudi Arndt est relevé de ses fonctions au Revier, envoyé à la carrière, abattu à bout portant par un SS.
2 juillet : Les premiers Hollandais arrivent au camp.
Décembre : mise en fonction du Block de la Pathologie.
31 décembre : Effectifs : 7.440, y compris les deux Kommandos extérieurs existant alors.
1941
13 et 14 juillet : Transport vers la chambre à gaz de Sonnenstein (Aktion 14 f 13)
septembre : Le premier commandant S.S. du camp, Koch, est déplacé à Lublin et remplacé par le Standartenführer (général) Hermann Pister.
16 septembre : Arrivée de 300 officiers soviétiques qui seront immédiatement fusillés au champ de tir de la DAW.
18 octobre : Arrivée de 2.000 prisonniers de guerre soviétiques.
12 novembre : Les Kapos communistes du Revier, Walter Kràmer et Karl Peix sont fusillés.
31 décembre : Effectifs : 7911 Kommandos extérieurs : 5
1942
Début 1942 : Arrivée de quelques Français.
11-12 mars : Transports vers les chambres à gaz de Bernburg (Aktion 14 f 13)
26-27 mars : Les “politiques” qui occupent des fonctions administratives sont regroupés dans un kommando spécial.
Début de la bataille contre les Verts et pour la libération de ceux qui ont été isolés dans ce Kommando spécial. Les “politiques” finissent par l’emporter en juin.
Printemps : Formation, sur ordre des S.S., d’un corps de pompiers (Feuerwehi). Installation du Petit camp
Juillet : Formation du corps des Lagerschutz (protection du camp). La direction illégale allemande met sur pied une première organisation militaire. Les prisonniers de guerre soviétiques mettent leur propre organisation clandestine sous les ordres de leurs camarades allemands (négociations entre Walter Bartel et Nikolai Simakov).
31 décembre : Effectifs : 9.517. Nombre de Kommandos extérieurs : 6.
1943
Début 1943 : Participation des organisations clandestines tchèques à l’organisation militaire.
Mars : Un détenu Français et un Soviétique construisent un appareil de radio qui est caché au Block 50
12 mars : Mise en service de l’usine
17 mars : Ordre de construire une voie ferrée entre Weimar et Buchenwald. 21 juin : Mise en service de cette voie ferrée.
27 juin : Arrivée du premier grand convoi français
été : Création du Comité international illégal à l’initiative des antifascistes allemands.’
Août : les dix premiers fusils de l’organisation militaire sont cachés dans le camp.
27 août : Premier transport vers Dora, essentiellement des Français.
Septembre : Arrivée des premiers déportés italiens et de grands transports yougoslaves.
Fin 1943 : Création du Sanitatstrup (secouristes)
Français, Belges et Espagnols sont intégrés dans l’organisation militaire clandestine.
31 décembre : Effectifs : 37.319 – Kommandos extérieurs : 20
1944
12 janvier : Arrivée des étudiants norvégiens. Parmi les Français qui arrivent en janvier se trouve le colonel Manhès.
Février : Participation des Italiens au comité militaire international.
14 mai : Arrivée de deux grands transports français. Marcel Paul en est, venant d’Auschwitz avec son convoi (les tatoués).
25 mai : Arrivée des premiers Hongrois.
25 mai : Fondation du Comité de défense des Intérêts français et de la Brigade française d’action libératrice.
Juillet : Mise sur pied de la Brandwache (sécurité contre les risques d’incendie)
Août : Internationalisation du Lagerschutz auquel des Français vont participer.
18 août : Assassinat du président du parti communiste allemand, Ernst Thâlmann, dans la cave du crématoire où il a été mené de nuit venant de la prison centrale de Bautzen.
24 août : Bombardement du camp. 364 détenus y trouveront la mort. Le nombre des victimes parmi les S.S. n’est pas exactement connu, mais il s’agit de plusieurs centaines. Parmi les détenus morts se trouve le dirigeant social-démocrate allemand Breitscheid qui était prisonnier à l’extérieur du camp dans des baraques spéciales où séjournèrent d’autres prisonniers d’honneur, tels la princesse italienne Mafalda, l’ancien président du Conseil français, Léon Blum, etc. Ce dernier se maria durant ce séjour forcé qui n’avait évidemment rien à voir avec le sort des déportés du camp.
30 septembre : Arrivée des policiers danois.
Octobre : Les S.S. tentent de mobiliser les détenus allemands dans la division Dirlewanger. Ils se heurtent à un refus total.
29 octobre : Le Kommando extérieur DORA devient KZ de pleine fonction sous le nom de MITTELBAU-DORA.
31 décembre : Effectifs : 63.048. Kommandos extérieurs : 86.
Dora n’est plus compté en tant que Kommando extérieur et ses effectifs ne sont plus intégrés dans ceux de Buchenwald.
1945
26 janvier : L’organisation militaire s’empare d’une mitrailleuse et la cache au camp.
9 février : Bombardement de l’usine Gustloff de Weimar où travaillaient de nombreux détenus de Buchenwald.
15 février : Les prisonniers de guerre soviétiques protestent contre les conditions qui leur sont faites et se mettent en grève… Pendant plusieurs jours, ils seront privés de leur ration de pain. L’organisation de solidarité française leur fournit un sac de pain par jour durant cette période.
3 avril : Dernier appel à Buchenwald. Désormais, les détenus refusent de s’y rendre et de travailler
5 avril : Premières évacuations massives
6 avril : 46 détenus politiques soupçonnés d’être des dirigeants de la Résistance sont appelés par les S.S. mais le Comité international les prend en charge et les cache. Parmi eux, l’avionneur français Dassault.
7-10 avril : L’évacuation du camp se poursuit. Les Français organisent le sabotage de l’opération et y parviennent partiellement. Les quelque mille enfants juifs et tziganes qui sont au petit camp sont protégés et échappent à l’évacuation vers la mort.
8 avril : Le Comité militaire international lance sur son émetteur clandestin caché au Kino un appel à l’armée américaine.
11 avril : Les S.S. évacuent le camp sous la menace de l’avance américaine et des détenus dont ils n’ignorent pas les préparatifs. Ceux-ci attaquent les miradors, cisaillent les barbelés et font plus de 200 prisonniers.
Les premiers militaires américains à pénétrer dans le camp libéré sont deux Français, le sergent Paul Bodot et le lieutenant Emmanuel Desard, engagés dans l’armée américaine et qui patrouillaient en éclaireurs à l’avant des lignes.
Le 12 avril, le médecin français, Joseph Brau, est nommé médecin-chef du camp. 4.700 malades sont transférés dans les casernes SS.
Un quart d’entre eux meurt dans les jours qui suivent.
13 avril : L’armée américaine prend le contrôle du camp non sans avoir reconnu le mérite exceptionnel des Résistants et avoir confié l’administration interne à un détenu politique allemand, le Doyen N° 1, Hans Eiden, et au Comité international. Il s’agit là d’un cas unique dans l’histoire de la libération des camps nazis.
16 avril : Sur ordre du commandement américain, 1 000 habitants de Weimar sont conduits au camp pour y constater ce qu’y fut la barbarie S.S.
19 avril : Les survivants, au nombre d’environ 21000, prêtent ce qui restera dans l’histoire “Le Serment de Buchenwald”.
LA LIBÉRATION HEURE PAR HEURE
5 heures – Au dessus de l’Ettersbert apparaissent les avions alliés.
Il y a un grand remue-ménage à la Kommandantur ; des unités SS marchent en direction de Hottelstedt (par où arriveront les armées américaines).
L’état «Alerte 2» est ordonné ; les armes cachées sortent et sont distribuées.
11h50 – Une nouvelle fois les avions américains survolent le camp ; les SS donnent l’alerte par sirène.
12h10 – Une dernière fois se fait entendre la voix méprisée du Rapport- führer Hermann Hofschulte : «Tous les SS en dehors du camp !» Restent en place les compagnies qui occupent les miradors et les positions dans la forêt autour du camp.
13 heures – Les premiers tanks américains sont en vue de Hottelstedt.
14 heures – Une compagnie SS se positionne au nord du camp dans la forêt.
Le commandant du Comité militaire international ordonne «Alerte 3» ; tous les groupes de combattants des différentes nationalités prennent position selon le plan envisagé. Le Comité installe son quartier général aux
premières lignes de l’action. Il se trouve dans le baraquement de l’atelier DAW, face à la porte centrale du camp, et y installe la mitrailleuse légère de l’armement clandestin.
14h30 – Sur ordre du Comité international du camp, le commandant du Comité international militaire donne l’ordre d’attaque.
Les groupes attaquent la clôture du camp – le courant électrique a été interrompu par l’action courageuse du kapo électricien, Arthur Ullrich – et les miradors. L’action générale se dirige vers le Sud et le Sud-Ouest, en direction de l’entrée principale et des casernes SS. D’autres groupes couvrent les flancs de cette attaque vers l’Ouest et l’Est. Une autre attaque sert de couverture à l’attaque générale et est guidée vers le Nord pour arriver, à travers la forêt, jusqu’à la route Hottelstect-Ettersberg.y installer un relais et prendre contact avec les alliés.
Presque en même temps, les barbelés sont détruits aux endroits déterminés et les miradors occupés. Les armes capturées – 4 mitrailleuses lourdes et 18 légères, les fusils, 180 roquettes antichar sont distribuées aux combattants qui avancent jusqu’à trois kilomètres autour du camp.
Pendant le soulèvement, des détenus politiques de toutes nationalités assurent la sécurité dans les blocks afin d’éviter la panique, le vol ou autres brutalités.
15h30 – Une jeep américaine avec deux combattants français à bord, le lieutenant Desard et le sergent Bodot, arrive au camp, guidée par des détenus en armes.
16h – Les groupes de détenus combattants ont vaincu la résistance des SS dans tout le périmètre du camp. Jusqu’à la nuit, ils feront 120 prisonniers qui seront mis sous bonne surveillance. Ce chiffre augmentera sensiblement dans les deux jours suivants, atteignant 220 lorsque les troupes d’occupation américaines prendront position dans le camp. Ces SS prisonniers seront remis en bon état à ces dernières. Le camp de concentration de Buchenwaid s’est libéré lui-même rendant la liberté à 20.000 détenus.
Pendant ces jours de combat, le Comité international clandestin s’est réuni pour constituer une direction au grand jour, formant six commissions pour accomplir les tâches nécessaires pour assurer la vie au camp. A l’unanimité, il a confirmé Walter Bartel à la présidence, désignant l’ancien doyen du camp, Hans Eiden, comme responsable principal du camp. Par tous les haut-parleurs, il lit alors le premier appel du Comité légal :
«Attention ! Attention ! Ici parle le doyen du camp au nom du Comité du camp composé de toutes les nations.
- Les SS ont quitté le camp.
- Des représentants de toutes les nations ont formé une direction du camp. Leurs ordres sont à exécuter absolument.
- Restez tous dans vos blocks, maintenez les barrages.
- Tous les vivres, vêtements sont propriétés des membres du camp, celui qui commet un vol sera puni comme pillard. Tous les responsables restent à leurs postes et assument leur travail d’ordre et de ravitaillement.»
16 h 45 – Sur ordre du Comité, la direction du Comité militaire prend les mesures immédiates pour la sécurité du territoire se trouvant toujours entre deux fronts. A cet effet, les groupes combattants forment une ceinture de défense de deux kilomètres autour du camp qui sera maintenue jusqu’à l’arrivée des troupes américaines, afin de protéger la liberté obtenue ce jour.
Pierre Durand
(1) Sur l’histoire de Buchenwald en général, il existe, en dehors de l’œuvre capitale d’Eugen Kogon, “L’État S.S.”, deux ouvrages fondamentaux, l’un déjà ancien mais toujours inégalé, l’autre récent et très documenté. Le premier a été rédigé par un collectif international dirigé par Walter Bartel. Roger Arnould et Pierre Durand y ont participé. Il s’intitule Buchenwald-Mahnung und Verpflichtung (Berlin 1961) ; le second, Konzentrationslager Buchenwald 1937-1945 a été édité par le Mémorial de Buchenwald sous la plume de Harry Stein en 1999. Aucun de ces deux livres n’a été, jusqu’ici, traduit en français.
Sur l’histoire particulière des déportés français, on se reportera à notre ouvrage Les Français à Buchenwald et à Dora publié par les Éditions sociales en 1982, (réédité avec des informations nouvelles sous le titre La Résistance des Français à Buchenwald et à Dora aux Éditions Messidor-1991)