Edito du N°356 du Serment

70 ANS DÉJA

Par Gaston Viens

Hommage R.Huard 2015
Gaston Viens lors de l’hommage rendu à Raymond Huard

C’était hier…! Après un an de prison en France et le passage devant un tribunal spécial pour crime de résistance à l’occupant et neuf mois à Buchenwald je retrouvais la liberté. J’avais 20 ans.

On nous a baptisés les rescapés parce que nos libérateurs avaient découvert plus de morts que de survivants dans les camps qu’ils avaient libérés.

J’ai 90 ans. Beaucoup de camarades sont morts depuis notre retour. Aujourd’hui je me sens à nouveau rescapé, rescapé des rescapés. C’est pour cela que je continue de témoigner, de témoigner pour respecter notre serment, le serment de Buchenwald.

C’était le 19 avril 1945. Nous étions libres depuis 8 jours. Les cameramen, les photographes se succédaient pour filmer, photographier le désastre et plus particulièrement les cadavres empilés comme des stères de bois, les uns sur les autres, la bouche ouverte, les yeux exorbités.

Le crématoire ne fonctionnait plus depuis plusieurs jours et aux morts du camp s’ajoutaient les morts des trains arrivés à Buchenwald venant d’autres camps.

Dans le camp libéré la mort continuait son oeuvre. C’est ainsi que j’ai appris la mort de mon camarade Raymond Barsotti le 13 avril 1945, deux jours après la libération du camp. Nous nous étions retrouvés au Block 14 dans le grand camp. Nous étions devenus des amis. Il souffrait de tuberculose. Je ne sais pas s’il a appris avant de mourir que le camp était libéré.

Notre rassemblement sur la place d’appel le 19 avril 1945 fut un grand moment. Nous savions que Marcel Paul était parti à Paris pour accélérer et préparer notre rapatriement. Il était revenu pour rendre compte de ses démarches. Nous apprendrons plus tard en lisant les mémoires du ministre chargé de notre rapatriement que les pouvoirs publics étaient préoccupés par les risques de transmission du typhus qui avait fait tant de ravages parmi nous. C’est ce qui explique qu’à notre arrivée à l’Hôtel Lutetia nous étions accueillis dès l’entrée par des infirmières en blouse blanche qui glissaient dans nos manches et dans notre cou des tuyaux en caoutchouc pour nous insuffler une poudre ayant une odeur indéfinissable.

Lorsque Pierre Durand, qui était le bras droit de Marcel Paul, a pris la parole pour lire Le Serment de Buchenwald, un silence de plus en plus lourd nous a envahis… “Nous les détenus de Buchenwald…” je ne devais pas être le seul à avoir la chair de poule… “nous sommes venus aujourd’hui pour honorer les 51000 prisonniers assassinés…”

Pour chacun de nous, il y avait derrière ce chiffre des visages de camarades de prison, de résistance, de Kommandos… Nous étions en vie mais notre rage était très grande.

“… Notre cause, celle pour laquelle nos camarades sont morts était juste. L’écrasement définitif du nazisme est notre tâche”

“Notre idéal est la construction d’un monde nouveau dans la Paix et la liberté. Nous le devons à nos camarades tués et à leur famille. Levez vos mains et jurez pour démontrer que vous êtes prêts à la lutte”.

Nous qui avons juré, sommes de moins en moins nombreux. Les jeunes résistants de Buchenwald ont ou auraient 90 ans et même ceux qui étaient des enfants comme notre camarade Léon Zyguel meurent…. Alors je vous appelle à conserver votre fidélité à l’Association française Buchenwald Dora et Kommandos, mais aussi à aider, pour l’avenir, les “Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation”. Je vous en remercie.

Gaston Viens, KLB 69295

 

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