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BUCHENWALD PAR SES TÉMOINS

HISTOIRE ET DICTIONNAIRE DU CAMP ET DE SES KOMMANDOS (1937-1945)

Sous la direction de Dominique Orlowski,

Préface de Bertrand Herz, ancien déporté, décédé le 20 mai 2021, président du Comité International Buchenwald, Dora et Kommandos de 2001 à 2016.

Les auteurs :

Michelle Abraham, Dominique Durand, Franka Gunther,

Hélène Houssemaine-Florent, Dominique Orlowski, Jeanne Ozbolt.

 

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LA SHOAH. Au cœur de l’anéantissement

Première impression : c’est un beau livre. Noir et jaune : le noir du deuil, le jaune de l’étoile imposée aux Juifs de plus de six ans par le décret du 1er septembre 1941 ?

C’est le travail collectif de sept historiens allemand, belge, français et polonais, spécialistes de la Shoah et du nazisme, qui, en six chapitres, et avec une postface de Serge Klarsfeld, « place le lecteur au cœur de la machinerie exterminatrice nazie ».

Grâce à de nouveaux acquis et de nouvelles techniques de présentation, voici une histoire plus visuelle de la Shoah ; ici les documents ne sont pas des illustrations, mais le départ d’une réflexion, d‘une mise en perspective.

Un kilo de pièces d’archives : photographies, dessins, affiches, lettres, rapports ; certaines sont connues du grand public, d’autres moins, voire inédites. Parmi les millions de documents qui ont été conservés, retrouvés, découverts, achetés, comment choisir ? Chacun d’eux contribue à façonner cette histoire que les nazis ont cherché à cacher. Des visages surgissent. Il y a du respect dans le choix des images ; on ne cherche pas à susciter une fascination morbide chez le lecteur. Des vérités apparaissent : oui, le monde libre savait ce qui se passait, non, les nazis n’ont pas programmé le génocide dès leur arrivée au pouvoir, oui, les Juifs n’ont pas été que des victimes, il y a eu des révoltes, des résistants.

Du « coup de poignard dans le dos », 1918, au « Juden Raus », 1941, via le slogan : « Les Juifs sont notre malheur. », 1939, nous voyons la progression. Déjà l’asphyxie de la communauté juive, les boycotts, les pogroms puis l’organisation du génocide et la mise à mort sous l’œil indifférent du plus grand nombre.

Et le livre se termine sur la lettre envoyée par notre cher Bertrand (1) quelques jours après la libération du camp de Buchenwald…

Oui, un beau livre ! Quand les témoins auront disparu, il restera pour lutter contre la désinformation, la falsification, l’oubli.

« A présent, l’univers est averti ; il est libre de parler, d’agir, de sanctionner, de prévoir. » Isaac Schneersohn, 1946 (2).

Anne FURIGO

Olivier LALIEU (sous la direction de), collectif, avec Philippe BOUKARA, Tal BRUTTMANN, Johann CHAPOUTOT, Piotr M.A. CYWINSKI, Joël KOTEK, Christoph KREUTZMÜLLER, postface de Serge KLARSFELD, La Shoah au cœur de l’anéantissement, Tallandier, Paris, 2021,
979-1021047365.

(1) Bertrand Herz (1930-2021) vice-président de l’Association Française Buchenwald-Dora et Kommandos.

(2) Isaac Schneersohn (1881-1969) fondateur d’un centre de documentation à Grenoble qui, relocalisé à Paris, deviendra le Centre de documentation juive contemporaine dont le but était de collecter et préserver les preuves des exactions nazies envers la communauté juive.

 


 

Survivre comme Nacht und Nebel

Pieter Paul Baeten relate, dans cet ouvrage, les deux ans de violence et de priva on d’un jeune de quinze ans qui a rejoint la Résistance sans le dire à ses parents.

Élève à l’athénée de Berchem où l’un des professeurs enseigne en uniforme SS, Pieter Paul Baeten fait le choix de rejoindre les résistants des Brigades Blanches (Wi e Brigade Fidelio de Lier), où il devient « courrier ».

Dénoncé, il est arrêté le 15 octobre 1943 à Lierre au domicile parental. Il est emprisonné à la prison d’Anvers. Sur décision du juge d’instruc on, il est déclaré Nacht und Nebel. Il qui e Anvers le 15 février 1944 pour la prison Saint-Gilles à Bruxelles. Puis ce sera l’Allemagne, la prison d’Essen dans la Ruhr, le camp disciplinaire d’Esterwegen dans le nord de l’Allemagne.

Le 16 mars, le jeune lycéen est transféré à la prison de Gross-Strehlitz, qui compte à ce e époque deux Kommandos, celui de Blechhammer a ecté aux travaux de construc on et celui de Labant où les prisonniers sont employés dans une usine de muni ons. Pieter Paul Baeten est a ecté au sein de la prison à un atelier de confec on chargé de reme re en état les uniformes de la Wehrmacht. Grâce à ces travaux moins « lourds », il survit à sa déten on.

Le 5 janvier 1945, les détenus Nacht und Nebel sont transférés au KL de Gross-Rosen. Pieter Paul Baeten, devenu le matricule 123768, est envoyé dans un Kommando chargé de la transforma on d’une par e du camp en Auschwitzlager pour y transférer les évacués des camps d’Auschwitz.

Le 8 février devant l’avancée de l’Armée rouge, Gross- Rosen est évacué en wagons découverts en direc on du KL de Mi elbau-Dora. Pieter Paul Baeten y arrive le 12, et reçoit le matricule 112867. Très a aibli par les condi ons de vie et la dysenterie, il est envoyé début mars à la Boëlcke-Kaserne, où il subit les bombardements des 4 et 5 avril. L’ordre est donné aux survivants de

retourner à Mi elbau. En chemin, Pieter Paul Baeten est embarqué par la Volkssturm, qui l’emmène dans une ferme transformée en poste de soins. Il est pris en charge par une in rmière qui l’a ecte à divers travaux domes ques.

Libéré le 11 avril 1945 par les troupes américaines, il regagne la Belgique après une halte de quelques jours à Paris.

Arrivé à Lierre, il se rend à la pâ sserie familiale : sa grand-mère qui se ent derrière le comptoir interpelle un client « voyez ce vieux soldat, laissez-le entrer, donnez-lui ce qu’il désire ». Paul va vers elle, elle vacille.

Le jeune homme va reprendre une existence qui a toutes les apparences de la normalité. Il doit néanmoins se ba re au quo dien pour tourner la page d’un passé douloureux.

Pour con nuer son engagement de résistant, défendre les libertés démocra ques et l’unité de la Belgique, Pieter Paul Baeten préside l’Amicale na onale belge de Buchenwald, devient vice-président pour la Belgique au Comité Interna onal Buchenwald, Dora et Kommandos. Il préside également l’événement « le train de la liberté » qui a emmené 800 jeunes Belges et Européens à l’occasion des cérémonies à Buchenwald et Dora en 2008 notamment. Président du « Groupe Mémoire », il s’oppose aux mesures d’amnis e accordées aux anciens collaborateurs. En 2011, il dénonce la poursuite du paiement par l’Allemagne des pensions aux anciens SS belges.

Il intervient également pour que le fort de Breendonk soit reconnu comme Au angsläger.

Ce livre rédigé dans les deux langues na onales belges comporte aussi les témoignages de ses trois enfants impliqués également dans le travail de Mémoire.

Cet ouvrage, plus qu’un récit sur le parcours d’un Nacht und Nebel, témoigne de l’engagement d’un homme qui, toute sa vie, a comba u pour ses valeurs.

Jean-Luc Ruga

Pieter Paul BAETEN – Survivre comme Nacht und Nebel – édi on EPO – 9789462672956 en amand et en français dans le même ouvrage

 


GOEBBELS

Lionel Richard dresse ici le portrait de Joseph Goeb- bels, ministre de la propa- gande du Troisième Reich. Dès sa jeunesse, il professe des idées an démocra- ques, an républicaines et an sémites en a rmant son penchant pour la for- ma on « d’un gouverne- ment autoritaire » et l’ac- cession au pouvoir « d’un homme fort ».

Diplômé de l’Université, er de son tre de docteur, le jeune homme entame une carrière de journaliste et met ses talents d’orateur au service « de la vision na o- nale du monde » et de « l’apôtre suscep ble de sauver l’Allemagne ». Hitler, impressionné, l’invite à Berlin, en

novembre 1936, pour redresser le Par .
Très vite, sous le polémiste, pointe l’homme d’Etat qui

annonce l’avènement « d’une Allemagne, prête à jeter son gant à la trahison marxiste,… à la souillure juive ».

Début 1933, Hitler nomme Goebbels ministre « de l’Informa on et de la Propagande » qui, très rapidement, contrôle tous les instruments de communica on, la radio, la presse, les a ches et surtout, le cinéma.

Entre les mains de Goebbels, la propagande séduit les masses, loin de tout esprit cri que, fabrique l’opinion publique, façonne le peuple en l’imbibant des idées qu’on souhaite lui voir adopter et y croire. « Endoctriner en même temps que tromper », tel est le mantra du ministre.

Goebbels fus ge en permanence l’ennemi « universel juif », ce peuple « criminel et socialement parasitaire, dont l’anéan ssement prophé sé par Hitler, le 30 janvier 1939, est en train de s’accomplir. En habile me eur en scène, le chef de la propagande invite les Allemands « à entrer en fusion avec la poli que an sémite génocidaire du Reich ». C’est là le rôle dévolu au lm « Le Juif errant », qui met en acte « la solu on de la ques on juive ».

En dépit des bombardements, la foi des Allemands reste inébranlable… aucune fronde, aucune opposi on de la race aryenne, marquée par « Goebbels, le manipulateur », depuis tant d’années.

Ce e biographie permet aussi de se représenter ce que fut le 3e Reich.

Françoise Pont Bournez

Lionel RICHARD, Goebbels : Portrait d’un manipulateur – Archipoche, 2022, 9782377359677-

Paru dans Le Serment N°385


Une vie avec Simone Veil

Florence Lamy, dans ce livre paru en 2022, retrace le voyage de l’ancienne déportée. À l’occasion du 60e anniversaire de la libéra on d’Auschwitz, et dans le cadre d’un reportage de Paris Match, elle a accepté d’entreprendre ce voyage, en compagnie de ses enfants et pe ts-enfants et d’Anna, lle d’une amie très chère.

Le temps était venu, pour elle de transme re et, pour eux, d’être confrontés à la réalité, de découvrir « ce e usine à tuer », de s’imprégner « de la folie meurtrière » qui sévissait

partout à Auschwitz.
Au milieu des siens, Simone Veil raconte tout ce qu’elle

a tu des années durant, les odeurs insupportables, la faim et la soif tenaces, la violence des gardiennes et les humilia ons, le mépris du docteur Mengele pour tous ces Juifs devenus « des bêtes à canaliser », vic mes de ses épouvantables expériences médicales.

Tout au long de la visite du camp, Simone Veil guide les siens « sur le douloureux chemin de la mémoire » pour qu’ils n’oublient jamais : le pavillon des tatouages indélébiles, les escaliers qui mènent aux fours crématoires et à leur odeur pes len elle, les vols, les harcèlements sexuels, l’arbitraire et pour d’autres, les privilèges…

Au terme de ce e visite, la survivante du camp d’Auschwitz évoque son évacua on et les 70 kilomètres de Marche de la mort qui la conduit à Bergen-Belsen, ravagé alors par une épidémie de typhus.

Dans l’avion de retour, tous de souligner « la force de caractère…, acquise en déporta on », de l’ancienne ministre, son combat pour survivre dans cet enfer, son « énergie hors du commun » qui l’a poussée à se ba re toute sa vie et notamment lorsqu’elle imposa sa loi sur l’IVG, dont le récit occupe la seconde par e de cet ouvrage.

Françoise Pont Bournez

Florence LAMY, Une vie avec Simone Veil – Scri Neo, Paris – 2022. – 9782381670867

Paru dans Le Serment N°385


D’URVAL à BUCHENWALD

Francis A. Boddart relate l’histoire du marquis Gérard de Commarque, résistant périgourdin, déporté le 24 janvier 1944, KLB 42152, mort au Revier de Buchenwald le 15 février 1944.
S’att achant d’abord au desti n tragique de ce dernier, l’auteur raconte également l’histoire, pendant la Seconde Guerre mondiale, des châteaux de la Poujade à Urval et de celui de Bourgonie, situé sur la commune de Le Buisson-de-Cadouin. Ces demeures ont joué un rôle important dans la sauvegarde, par la directi on des Musées nati onaux et de l’École du Louvre, des œuvres du musée des Beaux-Arts de Nancy et du musée Ingres de Montauban. En outre, le château de la Poujade a accueilli le gouvernement en exil du Grand-Duché du Luxembourg pendant l’Exode, puis le PC de l’État-major interallié de la Résistance avec André Malraux de 1943 à 1944, sur lesquels l’auteur nous apporte des éléments inédits.
Jean-Luc Ruga
Francis A. BODDART, D’Urval à Buchenwald : Gérard de Commarque (1903-1944) : un résistant périgordin méconnu, Editi on Fabedit, 2021

Paru dans Le Serment N°384

 


 

Violette SZABO

Laissez-vous captiver par la détermination de ce visage au regard énigmatique. Née d’un père britannique et d’une mère française, élevée des deux côtés de la Manche, Violette est âgée de 18 ans lorsque la France plie sous le joug allemand. Enjouée, sportive,  ravissante, Violette Bushell se marie en 1940 à l’âge de 19 ans avec un séduisant légionnaire hongrois, Etienne Szabo, rencontré un mois plus tôt à Londres parmi les premiers Français libres. De cette union, naîtra Tania.
L’idylle sera de courte durée tant ce jeune couple séparé par la guerre va subir les affres du combat et de la lutte contre le régime nazi. Grâce à une enquête fouillée et minutieuse, Guillaume Zeller, brosse le portrait de cette jeune et belle figure de la Résistance et de la lutte clandestine. Il décrit la vie fulgurante de cette femme de l’ombre, agent secret du SOE (Special Operation Executive), et dévoile les conditions d’opérations de ce service secret britannique, créé en juillet 1940 par Winston Churchill.
Françoise Basty

Guillaume ZELLER, Violette SZABO : De Londres à Ravensbrück : une espionne face aux SS, Tallandier, Paris, 2022, ISBN 979 10 210 4020 5.

Paru dans Le Serment N°384

 


 

Témoignages. Basse-Navarre et Soule sous l’Occupation

Yves Castaingts, dans ce nouvel ouvrage, a recueilli de très nombreux documents sur les hommes et les femmes de cette région, particulièrement engagés dans la Résistance. Trois d’entre eux connaîtront les tourments de la déportation à Buchenwald : Jean Hausséguy, KLB 52291, de mai 1944 à juillet 1944 – il sera, par la suite, interné au camp de Miembeck et libéré par les Russes – ; Dominique Urrutibehety, KLB 53170, déporté en mars 1944 et René Ollier, KLB 21926, en septembre 1943, puis en octobre 1943 à Dora où il meurt.
Françoise Pont-Bournez

Yves CASTAINGTS, Témoignages : Basse-Navarre et Soule sous l’Occupation, Éditions Arteaz, 2021, ISBN 9791090257276

Paru dans Le Serment N°384

 


 

Albert Boccagny, paysan rouge de Haute Savoie

Nicolas Martignoles, dans ce livre, retrace une vie d’engagement auprès des paysans et d’adhésion au Parti communiste, un ralliement qu’Albert Boccagny, KLB 69749, paya au prix fort par la déportation à Buchenwald, au début du mois d’août 1944. Il est ensuite transféré au Kommando de Leau Plömnitz d’où il sera libéré, avec ses camarades, le 14 avril 1944.
Françoise Pont-Bournez

Nicolas MARTIGNOLES, Albert BOCCAGNY, Paysan rouge de Haute-Savoie, Jacques André Éditeur, Lyon, 2022, ISBN 9782757004777

Paru dans Le Serment N°384


Miss Dior

Ne vous laissez pas surprendre par la couverture ! Miss Dior n’est pas qu’une des délicates robes du New-Look, ni le parfum iconique de la maison Dior, c’est Catherine, la sœur chérie de Christian, surnommée ainsi par l’entourage du couturier.
A 24 ans, en 1941, Catherine entre dans la Résistance, dans la région de Nice où elle s’est réfugiée avec son frère Christian. Son réseau qui deviendra le Réseau F2, organisation franco-polonaise, fournit aux Britanniques des renseignements sur les infrastructures militaires de la côte. Au cours de l’été 1944, Catherine est arrêtée à Paris. Brutalisées et torturée rue de la Pompe. Sans avoir parlé, elle quitte Fresnes pour Ravensbrück le 15 août 1944 par le dernier convoi parti de Pantin. Enregistrée sous le matricule 57813, elle est transférée successivement à Torgau, qu’elle quitte pour Abteroda puis Markkleeberg, fin février 1945. Ces trois Kommandos dépendent de Buchenwald. Le 13 avril 1945, c’est l’évacuation du camp devant l’arrivée des Américains ; une marche de la mort la conduit jusque vers Dresde où elle est libérée par les troupes soviétiques. Rapatriée fin mai 1945 à Paris, elle témoigne au procès de la Gestapo de la rue de la Pompe qui s’ouvre en 1952. Même s’ils sont très liés, Catherine fuit la lumière des projecteurs braqués sur son frère. Après la mort de celui-ci, en 1957, elle s’installe définitivement en Provence, soigne ses rosiers dont les fleurs sont toujours utilisées par les parfums Dior et préserve l’héritage artistique de Christian. Elle s’éteint en 2008 sans avoir parlé de sa déportation.
Malgré peu d’éléments au départ, Justine Picard, écrivain et journaliste, ancienne rédactrice en chef au Harper’s Bazaar (pour le Royaume-Uni) a réussi une biographie attachante, souvent passionnante qui mêle les fils de la vie d’une femme discrète, héroïne de la Résistance, à la trame du monde agité de la mode et de la couture parisienne sous l’Occupation, roses du jardin de Catherine et horreur du camp de Ravensbrück, résistants et personnages ambigus de la jet society parisienne, au temps de la collaboration.
Anne Furigo

PICARDIE Justine, Miss Dior, Paris, Flammarion, 2021. EAN 978-2080257871


L’Espèce humaine et autres écrits des camps

La Bibliothèque de la Pléiade réunit sous le titre, L’Espèce humaine et autres écrits des camps, des récits de rescapés et propose un parcours à travers la mémoire des camps nazis.
David Rousset, L’univers concentrationnaire (1946), François Le Lionnais, La peinture à Dora (1946), Robert Antelme, L’Espèce humaine (1947), Jean Cayrol, De la mort à la vie, Nuit et Brouillard (1955), Elie Wiesel, La nuit (1958), Piotr Rawicz, Le sang du ciel (1961), Charlotte Delbo, Auschwitz et après (1970-1971), Jorge Semprun, L’écriture ou la vie (1994).
Tous ces auteurs sont habités par la même préoccupation : faire partager « la radicalité de leur expérience », par l’écriture et dans la langue française, la rendre communicable. Ils partagent l’idée que la vérité essentielle de l’expérience n’est transmissible que par l’écriture littéraire.
Ce volume permet de percevoir comment « l’analyse du phénomène concentrationnaire nazi » et des réflexions qu’il a pu induire, ont évolué ; aussi, comment ces textes reprennent des témoignages publiés plus tôt et les portent autrement par la littérature. En effet, dépassant le simple témoignage, ces récits autorisent à parler de « littérature des camps », où la vie et l’écriture sont étroitement mêlées, une littérature qui tient essentiellement compte de l’expérience vécue. La particularité de la littérature concentrationnaire est d’opposer, par l’écriture, la vie et la mort de là-bas et la mort dans la vie à l’intérieur des camps, de dire le sentiment d’être revenu à la vie, une vie qui reste dans la mort. Tous ces auteurs savaient la complexité de l’écriture, « la difficulté d’écrire bien, de façon à être entendu » comme le souligne J. Semprun car rien ne pouvait être plus insupportable pour les rescapés que de ne pas être compris.
Pour rapporter une vérité crédible, il leur fallait préserver l’intransmissible de l’expérience vécue dans et par l’écriture, faire que l’inimaginable puisse être imaginé, malgré tout.
Et puisant dans leur culture littéraire, ces écrivains ont construit chacun le livre qui leur paraissait impératif parce que c’est l’expérience des camps qui les a conduits à l’écriture.
Françoise Pont-Bournez

COLLECTIF, L’espèce humaine et autres récits des camps, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2021 – 9782072729645


Lodz 1939, «Notre école»

Six rescapés, cinq témoignages, des fragments de vie réunis en un petit livre pour tenir une promesse… Leur point commun ? Avoir fréquenté entre 1936 et 1939 une école juive, mixte, d’avant-garde, à Lodz (Pologne). Sur les 37 enfants de « Notre École », six ont survécu. Trois garçons, trois filles : Roman, Marian, et Jozek, Irène, Isabelle et Marysia qui s’est tue. Des parcours très différents (émigration, ghetto de 1939 à 1945, déportation) mais une amitié d’adultes qui leur permettra d’arriver à parler du temps passé. Ces textes venant de Suède, des États-Unis, d’Israël, de France, réunis par Isabelle Choko et dont elle a traduit la plupart, sont précédés d’un résumé de l’histoire mouvementée de la Pologne, d’une présentation de Lodz et d’indications sur son ghetto. Isabelle Strauch-Choko, née en 1928, rescapée du ghetto de Lodz, d’Auschwitz, de Bergen-Belsen, témoigne toujours. Elle a participé, avec notre ami Jean Anesetti et des élèves du lycée Amélie Zurcher à Wittelsheim (Haut-Rhin), à une vidéoconférence, en décembre 2021 (voir page 4).
Anne Furigo
CHOKO Isabelle, Lodz 1939 « Notre École » : Paroles de cinq rescapés, KomEDIT, 2021, 978-2-37097-073-2.


Matricule 30966

Stanislas Ebde nous transmet le récit de René Brindel. Ce dernier l’a écrit à l’attention de son fils Pascal, benjamin de la fratrie, qui cherchait des réponses sur le parcours concentrationnaire de son père. Incapable de lui en apporter, il profite en 1974 d’une proposition de notre Association, dont il est membre, pour permettre à son fils de se rendre à Buchenwald  afin, espère-t- il, d’obtenir des réponses. Il revient de ce pèlerinage avec encore plus de questions.
Ce n’est qu’en 1980, non sans difficultés, et devant l’instance de Pascal, que René accepte de coucher sur le papier le récit de sa déportation. Pascal découvre un père qui à dix-sept ans fait sa « résistance » en coupant les fils des téléphones de campagne ou en mettant du sucre dans les réservoirs des véhicules de l’occupant. Plusieurs fois, il sera poursuivi, pour ces faits par la Feldgendarmerie qu’il surnomme les Kettenhunde (chiens en chaine). Puis, faute d’avoir pu rejoindre les Forces Françaises en Afrique du Nord, il s’engage le 20 mai 1941, au 8e Cuirassiers de Châteauroux.
Démobilisé en novembre 1942, il regagne Rouen. Convoqué au STO en mars 1943, il est envoyé à Osnabrück d’où il s’évade. Il est arrêté à Rouen le 26 juin. Incarcéré à la prison Bonne nouvelle, il est transféré à Compiègne. Il est déporté à Buchenwald le 30 octobre, il devient le matricule 30966. Après une période de quarantaine au Petit camp, il rejoint le Block 26 du Grand camp, affecté à la Mi bau. Le 12 septembre, il est envoyé au Kommando d’Halberstadt et le 22 février 1945 à celui de Langenstein. Son état physique est tel qu’il évite l’évacuation du Kommando le 9 avril. Il est libéré le 13 avril par l’armée américaine. Le 18 avril, il est transporté à Halberstadt dans une caserne allemande transformée en hôpital de campagne. Il nous relate en détail cette hospitalisation, les relations avec le personnel allemand requis, les STO et les prisonniers de guerre, ce qui apporte un éclairage nouveau sur cette période rarement relatée. Puis, c’est le retour, avec encore de nombreuses péripéties, à Rouen le 8 mai 1945.
Ce récit, initialement offert à sa famille, est celui d’un jeune homme de 17 ans, entré en résistance, dont la guerre a volé la jeunesse, il nous apporte un nouveau témoignage sur l’enfer concentrationnaire.
Jean-Luc Ruga

René Brindel, Stanislas Edde, Matricule 30966. René Brindel, 20 ans, rouennais, résistant, requis du STO, emprisonné, survivant de Buchenwald, L’Écho des vagues éditions, 2021 – ISBN : 2918616435


Le Monde qui reste

Pierre Vergely raconte dans ce livre l’épopée de son père, Charles Vergely, lycéen de Janson-de-Sailly à Paris, engagé dans la Résistance en juillet 1940, à l’âge de dix-sept ans. Il effectue des missions d’observation et d’espionnage consistant pour la plupart à élaborer un répertoire des véhicules militaires ennemis, ainsi que de surveillance de sites stratégiques pour de possibles débarquements alliés en Normandie.
L’originalité de ce récit est que Pierre raconte à la première personne l’histoire de son père, comme si celui-ci, qui n’a laissé aucun témoignage, avait confié à son fils le soin de transmettre à la postérité les événements de sa vie de jeune résistant, prisonnier et déporté. Pierre Vergely s’est donc livré à une enquête minutieuse à travers la correspondance familiale, les archives et des ouvrages historiques, pour retracer le parcours de son père, à partir de son arrestation le 10 mars 1941 par la police militaire allemande, jusqu’au retour de déportation, le 25 mai 1945. Torturé, enfermé dans la prison du Cherche-Midi puis transféré à Fresnes, « La Filiale de l’Enfer », Charles supporte avec héroïsme la faim, les coups, la violence, l’enfermement, la peur, la tristesse d’être séparé des siens. Le tribunal militaire du Gross Paris le condamne à mort pour espionnage, aide à l’ennemi, transmission de plans, recherches dans les camps d’aviation allemands et opinions gaullistes. Il sera finalement déporté en Allemagne, d’abord dans la forteresse de Rheinbach, puis au camp de Ludwigsburg (Stalag V A) et dans la forteresse de Landsberg. Une lettre de son père lui apprend la mort de sa mère.
À son retour, Charles ne raconte que quelques récits et anecdotes, sans les écrire. Son fils le fera à sa place, car, dit-il, son père a été un témoin de la grande histoire.
C’est une formidable leçon de courage, de dignité, au nom de ses valeurs qui sont un ardent patriotisme et la défense de la liberté et de la justice.
Jeanne Ozbolt

Pierre Vergely, Le Monde qui reste. Éditions Héloïse d’Ormesson, Paris 2021


Claude Vanbremeersch, Général d’armée, 3 janvier 1921 – 10  février 1981. De Buchenwald au commandement de l’Armée française

Cet ouvrage est un recueil d’articles et de témoignages reçus par sa famille. Il est publié à l’occasion du 40e anniversaire de la disparition de Claude Vanbremeersch. Le livre est divisé en 25 chapitres, illustrés de photos et dessins dont celui réalisé par Eugène Labreux, KLB 77605, au cours de sa captivité à Buchenwald.
Chaque chapitre est rédigé par une personne différente. Tous évoquent la vie et la carrière de ce militaire de grand talent.
Né en 1921 dans une famille aimante et profondément chrétienne, Claude Vanbremeersch, intègre l’École militaire de Saint-Cyr à 18 ans. En 1942, dès la dissolution de l’Armée d’armistice, il entre en résistance. Il est arrêté à Dax alors qu’il tente de passer la frontière espagnole pour retrouver les troupes d’Afrique du Nord. Il est emprisonné à Bayonne, puis à Bordeaux et à Compiègne avant d’être envoyé à Buchenwald, où il arrive le 16 décembre 1943 et reçoit le matricule 38139.
Plusieurs chapitres sont consacrés à ses seize mois de déportation. Etienne Priset, son camarade du Block 34, évoque la mise en place de la table des jeunes, Marcel Paul souligne son rôle lors de la préparation de l’insurrection du 11 avril 1945 où il commande le Corps franc de la BFAL. On peut y lire également les témoignages de Jean Mialet, KLB 21827, ancien déporté et Jacques Moalic, KLB 38348, lui aussi ancien du Block 34. De nombreux autres chapitres sont consacrés à sa carrière militaire. Les promotions et commandements se succèdent. Il rejoint l’École de guerre en 1970. En dix  ans, il franchit les différents grades jusqu’à celui de général d’armée puis de chef d’État-Major des armées en 1980. Il est contraint par la maladie de quitter son poste, quelques jours avant son décès le 10 février 1981.
Tous les témoignages s’accordent sur son sens de l’organisation, sa clairvoyance dans les moments difficiles, son charisme. Jacques Moalic dit de lui qu’il était « une personnalité d’exception, de ceux qui contribuent à souder par la solidarité et l’amitié […] Le respect qu’il inspire transcende toutes les opinions mais lui-même ne gommera jamais la sienne ». Il était Grand-croix de la Légion d’honneur.
Dominique Orlowski

Éditions de l’École de guerre, 2021, 165 pages. Livre préparé, corrigé et composé par Sophie Devedjian, lieutenant-colonel Fabian Kuhlmann, Adrien Vanbremeersch et Gilles Vanbremeersch

Article paru dans le Serment N°381


The Nine : How a Band of Daring Resistance Women Escaped from Nazi Germany

Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage en Europe et que le régime nazi renforce son règne d’horreur et d’oppression, neuf femmes, dont certaines sont adolescentes, rejoignent la Résistance française et néerlandaise. Prises dans des actes héroïques contre les occupants brutaux, elles ont toutes été torturées et envoyées dans un camp de concentration à l’est de l’Allemagne, où elles ont noué une solide amitié.
En 1945, alors que la guerre s’est retournée contre Hitler, elles sont envoyées dans une Marche de la mort. Déterminées à survivre, elles tentent de se libérer, et c’est ainsi que commence un récit d’évasion et de résilience.
L’auteure, Gwen Strauss, petite-nièce de l’une de ces neuf femmes, mêle leur fuite captivante à travers l’Europe déchirée par la guerre à son propre travail de détective, découvrant ainsi la fuite et la survie de ces héroïnes qui se sont battues sans peur contre l’Allemagne nazie et ont survécu pour raconter cette histoire.
Ce livre a été entièrement relu et corrigé par notre amie Agnès Triebel, appelée comme conseillère historique par Gwen Strauss. L’ouvrage n’est disponible qu’en anglais, l’auteure recherche un éditeur français.
Gwen Strauss est membre de notre Association et a participé au voyage de mémoire et d’étude organisé en avril 2018.

Article paru dans le Serment N°381


Résistance et déportation. Une famille meusienne dans la tourmente

Le livre de Jean-Pierre Harbulot retrace l’histoire de Madeleine et Auguste Thirion et de leur fils Charles, de fervents résistants déportés.
Dans un territoire particulièrement touché par les épreuves de la Grande Guerre et par l’occupation nazie, les trois Meusiens rejoignent les rangs du BOA (le Bureau des Opérations Aériennes), fin 1943, un réseau particulièrement surveillé par la police allemande. En février 1944, de nombreux membres de ce bureau sont arrêtés et internés. Madeleine Thirion est enfermée au fort de Romainville, puis déportée et gazée à Ravensbrück ; Auguste et Charles se retrouvent à Compiègne, avant d’être envoyés à Auschwitz puis à Buchenwald, le 14 mai par le convoi des « Tatoués ».
Jean-Pierre Harbulot a réuni de nombreuses archives, des dessins, des lettres, des photos entre autres. Grâce à cette documentation extrêmement riche et variée, l’auteur « rend vivant » le quotidien, dans le camp de Buchenwald d’Auguste et de Charles, marqué par les dangers permanents, l’arbitraire des SS et aussi par une forte solidarité.
Charles, sans son père, disparu en septembre 1944, participera, avec ses amis communistes, à la libération du camp et à la cérémonie du 19 avril sur la place d’Appel. Il succombera en 1955 des suites de sa déportation.
Cet ouvrage rend hommage à la « résistance » de ces trois déportés et à la volonté de leur famille de témoigner pour les générations présentes et futures. Jean-Pierre Harbulot, est président de l’association Dossiers documentaires meusiens (www.histoire.meuse-ddm.fr).
Françoise Pont-Bournez

Article paru dans le Serment N°381


Les Français de Mauthausen

Ce livre relate l’histoire et le parcours des neuf mille Français déportés dans la forteresse autrichienne de Mauthausen et dans son complexe concentrationnaire.  Adeline Lee a eu pour objectif d’étudier les parcours de nos compatriotes déportés dans le seul camp de catégorie III destiné aux détenus considérés comme les plus dangereux.
Pour quels motifs, ces hommes qui avaient un vécu et des motivations différentes ont-ils été plongés dans cet enfer concentrationnaire ? Quel a été leur parcours au sein de cette nébuleuse ? Comment ont-ils supporté leur déportation ? Quel en a été l’impact sur les survivants ? Quelles ont été leurs destinées une fois la liberté retrouvée ?
L’auteure a exploité de très nombreux dossiers individuels, une foule de documents administratifs du camp et les récits publiés par les rescapés au lendemain de leur libération. Elle nous apporte de nombreuses précisions sur la vie au camp, sur son organisation, en détaillant toutes les étapes, de l’enregistrement des détenus à leur arrivée puis à leur affectation dans les différents Kommandos au bénéfice de la production de guerre du Reich.
On apprend que Mauthausen fut le premier camp de concentration à recevoir des Français en janvier 1941. En effet, à la suite d’une erreur administrative au Stalag XI B, 34 prisonniers de guerre français y ont été déportés avec des républicains espagnols. Ce n’est que le 6 mai 1941, que leur situation particulière sera reconnue et qu’ils auront la chance d’être définitivement libérés. S’il fut le premier à accueillir des Français, il sera le dernier à recevoir les survivants des Marches de la mort à la suite des évacuations des camps de l’Est et à être libéré par les troupes américaines.
Ce livre permet à la lecture de tous ces parcours d’en apprendre davantage sur ce camp si particulier qu’a été Mauthausen.
Jean-Luc Ruga

LEE Adeline, Les Français de Mauthausen : par-delà la foule de leurs noms, éditions Tallandier, Paris, 2021

Article paru dans le Serment N°381


Eichmann :  de la traque au procès

Après L’Ere du témoin (1) et Le Moment Eichmann (2), Annette Wieviorka, historienne spécialiste de la Shoah et de l’histoire des Juifs au XXe siècle, directrice de recherche honoraire au CNRS, revient sur le responsable logistique de la « Solution finale » en nous offrant avec ce livre la réédition renouvelée et complétée d’un ouvrage paru en 1989.
En huit chapitres, complétés d’annexes, l’historienne examine la personnalité et la responsabilité d’Eichmann, les différentes étapes du procès, les polémiques qui s’en suivirent et l’impact qu’il eut sur le peuple juif, le monde et l’Histoire.
À travers le monde, avant et pendant le procès, de nombreuses questions ont été soulevées sur la légalité des procédures. De même, le verdict a suscité de multiples interrogations sur la peine de mort, la responsabilité et la personnalité d’Eichmann.
Ce procès a été l’occasion de nombreuses premières fois (procès filmé et diffusé, place prépondérante donnée aux témoins, appel à un historien pour situer le contexte historique). Différemment de celui de Nuremberg, il concerne exclusivement le génocide des Juifs.
Il est un tournant dans l’histoire de l’État Hébreu en procurant aux Israéliens un sentiment d’unité nationale. En donnant pour la première fois aux rescapés du génocide la possibilité de se faire entendre, il fait entrer la Shoah dans la conscience collective des Israéliens et, grâce à sa médiatisation, dans la conscience mondiale et finalement dans l’Histoire.

Anne Furigo

(1) Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Hachette, « Pluriel », Paris, 2002.
(2)  Annette Wieviorka, Sylvie Lindeperg (dir.), Le Moment Eichmann, Albin Michel, Paris, 2016.

Annette Wieviorka, Eichmann : de la traque au procès, Essai, Collection Archipoche, Éditions l’Archipel, Paris, 2021.

Article paru dans Le Serment N°380


Marcel Paul, un ouvrier au conseil des ministres

Voici une nouvelle biographie de Marcel Paul, l’animateur, au côté de Frédéric-Henri Manhès de la résistance des Fran-çais à Buchenwald. En quoi apporte-t-elle du nouveau sur l’homme et son rôle dans l’histoire contemporaine ?
Les co-auteurs de cette biographie sont l’un et l’autre de la génération des petits-enfants de résistants et déportés et, comme ils le disent en conclusion de leur ouvrage « écrivent sur quelqu’un qu’ils n’ont jamais connu », ce qui leur per-met une distance au sujet qui ne pouvait être celle de leurs prédécesseurs, Pierre Durand, dans Marcel Paul, la vie d’un Pitau (Paris, Temps actuels, 1983) ou René Gaudy dans Et la lumière fut nationalisée. Naissance d’EDF-GDF, (Paris, La Vie Ouvrière, 1996). Ils s’écartent aussi des témoignages pour privilégier les archives, sans abandonner leur esprit cri-tique, et puisent dans des sources auxquelles leurs prédécesseurs n’avaient pas accès. « Nous n’écrivons pas du même point de vue que Durand ou Gaudy » concluent-ils, tout en terminant leur ouvrage par ces lignes : « Nous voulons souligner combien nous aimerions que l’idée du service pu-blic industriel, voué à satisfaire les besoins humains fondamentaux, et dont EDF et GDF ont longtemps donné un des meilleurs exemples, revienne à l’ordre du jour… ».
C’est sur l’enfance de Marcel Paul puis sur le syndicaliste et communiste pendant la guerre froide que l’apport de ce livre est résolument nouveau. Sur la résistance et la déportation, on reste un peu sur sa faim. En revanche, on apprend beau-coup des problèmes et difficultés auxquels se confronte le Marcel Paul, ministre de la Production industrielle, dirigeant syndicaliste, dirigeant communiste et grand responsable d’as-sociations de déportés. Son engagement, ses méthodes, son entourage, et sans doute même sa vie personnelle sont l’objet de critiques et remises en cause qui lui seront difficiles.
Pendant sa traversée du siècle, l’engagement de Marcel Paul a toujours été total. On découvre notamment ce qui fut le sien pendant la guerre d’Algérie, « comme une réminiscence de la Résistance », écrivent Chevassus-Au-Louis et Courban.
La mémoire de la Déportation a bénéficié de cet engagement, parfois sans nuance, mais qui permet encore aujourd’hui d’entretenir une mémoire vivante.

Dominique Durand

Nicolas Chavassus-Au-Louis et Alexandre Courban, Marcel Paul, un ouvrier au conseil des ministres, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2020.

Article paru dans Le Serment N°380


Résistons à l’oubli

Résistons  à  l’oubli est le titre d’un remarquable fascicule édité par la délégation de Paris des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, à l’occasion du 75e anniversaire de la libération des camps nazis.
Il propose la biographie, fort bien documentée et illustrée, d’hommes, femmes, enfants qui ont choisi de sacrifier leur existence pour résister au nazisme.
Ces « vies » veulent, selon les mots de Patrick Modiano, « rendre présents les absents » et entretenir la mémoire de « tous ces membres fantômes », trop tôt disparus, comme le souligne avec force Catherine Breton, présidente de l’AFMD. 75.

Françoise PONTBOURNEZ

Préface de M. Richard Ferrand, Président de l’Assemblée nationale, 70 pages, en vente au prix de 12€ (+ 4€ de port) à la boutique de l’Assemblée nationale ou auprès de la Délégation AFMD de Paris (à l’intention de Mme J. Belliot, 31 bd Saint-Germain 75005 Paris).

Article paru dans Le Serment N°379


Les Camps d’internement français : antichambre de la Déportation

Voici bientôt vingt ans que l’historien Denis Peschanski publiait chez Gallimard son travail universitaire La  France des camps : l’internement, 19381946.

Les camps, qu’il étudiait, étaient « ces lieux où se retrouve toute personne enfermée par mesure administrative (par un préfet en général) et non dans le cadre d’une procédure judiciaire. » 200  camps, installés dans tous les départements français, sans exception. Les premiers pour interner les « indésirables étrangers » et les « tsiganes » puis les « étrangers ou non, suspects de porter atteinte à la Défense nationale », comme les communistes, dans la logique du pacte germano-soviétique. Sous Vichy, l’internement devient une pièce essentielle du dispositif de lutte contre les juifs et de répression contre les communistes. Au printemps 1942 s’ouvre une troisième phase, celle de l’utilisation des camps comme antichambres de la déportation.
Différentes monographies, la publication de témoignages, le travail d’associations ont, depuis, complété l’oeuvre pionnière de Peschanski.
Guy Marchot retraité et membre de l’association philatélique du pays d’Aix, entouré d’une petite équipe, publie le premier tome d’une vaste étude, richement illustrée, sur les camps d’internés civils français et étrangers en France et dans les colonies, de 1939 à1946. Dans sa préface, Serge Klarsfeld parle d’un « guide monumental de l’internement administratif (…) qui facilitera les recherches des historiens ainsi que la compréhension de cette dure période par un large public ». La bibliographie est copieuse, y compris une bibliographie universitaire, les ressources archivistiques sont répertoriées, les sigles sont explicités. Un ensemble de cartes éclaire les transferts entre camps, les regroupements qui précèdent les déportations vers le Reich. 1 700  lieux d’internement ont été recensés (souvent par des marques postales). 813 camps dans 43 départements sont étudiés dans ce premier volume. Nous attendrons le second avec impatience.

Dominique Durand

Article paru dans Le Serment N°379


Jacques Lusseyran : résistant, aveugle, déporté à Buchenwald

Le colloque « Handicap  et  conflits armés  »  organisé par la Pr. Florence Faberon-Tourette de l’Université de Guyane et de Clermont-Auvergne  a eu lieu le 24 novembre 2020. Inscrit au titre de la commémoration de la rafle du 25 novembre 1943 et du © droits réservés dicap et citoyenneté», ce colloque interdisciplinaire a permis d’étudier la question centrale d’un point de vue historique, juridique, anthropologique, testimonial, pour les conflits armés passés et présents.
Des guerriers de la Rome antique (Arnaud Paturel,) aux Gueules cassées de la Grande Guerre (Clément Collard), des déportés des camps nazis (Julien Bouchet, Joël Kotek) aux soldats des guerres d’Afghanistan et d’Irak (Christine  Lechevallier, Général Gout), les conséquences des guerres sur les corps et les âmes, la réinsertion et la définition juridique d’un statut (Eric Martinent, Denis Boizat, Gildas Brégain, Philippe Lagrange, Florian Aumond), les questions mémorielles (Fabrice Boyer) ont été évoquées.
J’ai présenté un portrait du résistant Jacques Lusseyran (19241971) que Jérôme Garcin a fait découvrir au grand public avec Le Voyant paru chez Gallimard en 2015.
Devenu aveugle à huit ans, Lusseyran est un étudiant brillant. Mais un décret du ministre de l’Éducation, Abel Bonnard (18831968), excluant les handicapés de l’Éducation lui barrera la route de l’agrégation en 1943. Dès 1941, il avait fondé avec des camarades le mouvement de Résistance Les Volontaires de la Liberté, mouvement qui a rejoint Défense de la France dirigé par Philippe Viannay (1917 1986).
Arrêté le 20 juillet 1943, incarcéré à la prison de Fresnes, il est transféré à Compiègne et déporté le 24 janvier 1944 à Buchenwald d’où il est rapatrié le 18 avril 1945. Il reprend ses études, passe l’agrégation, mais les aveugles étant toujours exclus de l’enseignement dans le secondaire, il travaille à l’étranger et dans des établissements privés avant de rejoindre les États-Unis où il enseignera dans plusieurs universités. Il meurt dans un accident de voiture en 1971.
Son témoignage est riche d’enseignements (Et la  lumière  fut, 1953, Le monde commence aujourd’hui, 1959). Il apporte des informations essentielles sur la situation des handicapés pendant la Seconde Guerre mondiale, leur participation à la Résistance sous l’occupation, leurs conditions de détention à Buchenwald, la solidarité individuelle et collective ayant permis dans certains cas leur survie, les stratégies des comités clandestins de résistance. Il y est aussi question du retour, de la cécité et de la surdité de ceux qui ne sont pas « partis », de la place incontournable de l’écriture et de la littérature comme armes de résistance et facteurs de résilience. Son œuvre est disponible en collection de poche.
Le colloque sera mis en ligne sur le site de l’Université de Clermont-Auvergne. Les actes des cinq précédents colloques « Handicap et citoyenneté» sont téléchargeables gratuitement à l’adresse suivante : https://handicapcitoyennete.uca.fr/versionfrancaise/actualites/publicationsde6nouveauxouvrages

Voir aussi : « Au défi de l’occupation ennemie. Résistance, résilience et protection » (https://handicapcitoyennete.uca.fr/versionfrancaise/publications/memoireettransmission).

Corinne BENESTROFF

Article paru dans Le Serment N°379


Dans la tête des SS

Ce livre donne la parole à une vingtaine d’anciens SS, surtout des Waffen SS, pour « tenter d’ausculter leurs tripes, leurs yeux, leurs cerveaux et comprendre ce qui les a amené en conscience à massacrer leurs frères humains ».
Le pari de l’auteur est d’apporter sa contribution à la compréhension du fanatisme nazi (et au-delà du fanatisme actuel), de le raconter de l’intérieur « par un travail archéologique sur les bourreaux ».
Ces vétérans SS, presque tous nonagénaires, évoquent, le plus souvent avec bonheur et nostalgie, « leur ivresse » nationale d’appartenir « à un Peuple, un Reich, un Führer ». Certains sont encore transfigurés par le souvenir « de leur coup de foudre idéologique » pour Hitler, « l’homme de leur vie », auquel les lie toujours leur serment de fidélité.
Au fil des rencontres, Serge de Sampigny essaie de percer le mécanisme de la diffusion de la pensée radicale qui, à l’évidence, prend racine dans la haine du Juif lentement et pernicieusement diffusée en Allemagne depuis surtout le XVIe siècle.
Aucun de ces SS ne renie un mot « des tirades de haine contre les Juifs » qui, partout, souillent les corps, dépossèdent les héros de la race supérieure de leur identité et conspirent contre le peuple allemand pour l’anéantir. La force de cette certitude repose sur le profond sentiment de victimisation, l’une des clés du fanatisme de toujours : la violence contre les juifs, leur assassinat de masse apparaît alors comme la réponse légitime à leur agressivité présente et à venir.
Inlassablement, au cours de toutes ces interviews, l’auteur traque les signes qui lui permettraient d’identifier les ressorts de la radicalité politique de ces vétérans de la SS : le sentiment d’humiliation, (moteur de l’Histoire), la soif de reconnaissance, la défense « légale » de leur peuple et de leur race, l’aspiration à rejoindre l’élite et d’appartenir à la nouvelle aristocratie qu’est l’Ordre Noir.
Le livre Dans la tête des SS fait suite au documentaire éponyme projeté en 2018 sur France-3, il contribue à une meilleure compréhension du radicalisme idéologique et reste un témoignage essentiel pour qui cherche à saisir le fanatisme politique actuel.

Dans la tête des SS. Serge de Sampigny. Editions Albin Michel. 272p. 2019. 19.90€


Femmes en déportation

Par sa contribution au premier Colloque organisé en décembre 2015 pour le 70e anniversaire de la libération des camps nazis, par l’Université Paris X-Nanterre et la BDIC, consacré aux « Femmes, déportation et répression dans les camps nazis, 1940-1945 », Agnès Triebel cherche à sortir de l’oubli les femmes déportées de Buchenwald et le sort qui fut le leur en leur consacrant une belle communication « Buchenwald ou la forêt de hêtres au féminin ». La déclaration de guerre totale, le 18 février 1943, oblige les autorités nazies à un fort recrutement de main d’œuvre et à organiser des Kommandos de femmes.
C’est ainsi que 28 000 femmes, provenant de différents camps, furent déportées à Buchenwald. Arrêtées essentiellement pour fait de résistance, et affublées du triangle rouge, elles étaient de toutes nationalités – surtout hongroises et polonaises rejointes par 1 023 Françaises, de toutes les couches socio-professionnelles, de toutes les religions aussi (dont 13 000 juives).
Elles furent affectées aux 27 Kommandos extérieurs dispersés tout autour de Buchenwald, dont le plus important, celui de Hasag/Leipzig/Schönefeld était, en 1944, le premier producteur de bazookas ; de jour comme de nuit, le travail imposé à ces femmes était aussi dur que celui des hommes (entretien des routes, des voies ferrées, fabrication d’explosifs…) et , elles aussi, multiplièrent les actes de sabotage. Comme les hommes, elles subirent les évacuations dans les sinistres marches de la mort vers Ravensbrück et Bergen-Belsen.
L’article d’Agnès Triebel rend hommage à ces femmes dont le courage et l’humanité forcent l’admiration et rappelle, avec une grande émotion, la belle amitié qui unit Lise London et Louisa Aslanian dont la voix résonne encore « Quand les cris et les chants victorieux célèbreront le triomphe de la liberté et la mémoire de ceux qui ne sont plus, je serai de ceux-ci ».

Femmes en déportation. Les déportées de répression dans les camps nazis, 1940-1945. Presses Universitaires de Paris X-Nanterre, 2019, 305p. 19€


Un Enfant de Buchenwald

Voici le témoignage d’un des 426 « Enfants de Buchenwald» accueillis en France par l’OSE (Oeuvre de Secours aux Enfants) en mai 1945. Le récit d’un jeune garçon âgé de 11 ans et prénommé Aron, un récit qui commence dans la ville de Piotrków où fut établi, le 6 octobre 1939, l’un des premiers ghetto de la Pologne occupée.
C’est dans ce ghetto qui comptait 25 000 personnes, que le père d’Aron, pour le protéger et éviter de l’exposer aux rafles, ment sur son âge et le fait embaucher avec lui dans une verrerie, « la Phénix ».
En octobre 1942, usant d’un stratagème, les Allemands obligent les travailleurs de l’usine à dormir sur place pendant 8 jours. Pendant ce temps, ils procèdent à la liquidation du ghetto. 22  000 hommes, femmes et enfants sont conduits à Treblinka. Parmi eux, la mère d’Aron et son jeune frère de 3 ans. Sa grand-mère maternelle a été exécutée dans la cour de l’immeuble. Elle avait des difficultés à se mouvoir.
Puis le père d’Aron est envoyé en représailles dans une usine d’armement à Skarzysko. Il y trouvera la mort. C’est son frère qui est alors chargé de prendre soin d’Aron.
Le 15 novembre 1942, Aron est arrêté et conduit dans la synagogue de sa ville où il est enfermé avec d’autres personnes. Il doit aller creuser des fosses dans la forêt de Rakow, il pense sa dernière heure arrivée, il a 14 ans. De retour à la synagogue, il est sauvé in-extremis par le directeur de l’usine qui vient «récupérer» trois de ses ouvriers.
En juillet 1943, Piotrków devient judenrein, « purifiée des juifs ». Les ouvriers sont dorénavant enfermés à l’usine dans des baraquements en bois.
En novembre 1943, l’usine est évacuée, les ouvriers sont dirigés vers la gare où les attendent des wagons à bestiaux, ce qui fait monter l’angoisse, car c’est avec ce moyen de transport que sont parties les familles vers Treblinka. Mais c’est vers le sud que le convoi s’ébranle et arrive à Czestochowa.
Aron travaille maintenant à la fonderie « la Métallurgia ». En janvier 1945, une nouvelle évacuation survient. Cette fois, c’est une véritable marche de la mort pendant 4 jours au cours de laquelle plus de 50% des participants décèdent. Aron arrive à Buchenwald le 20 janvier 1945, matricule 116536. Grâce à l’intervention de Gustav Schiller, adjoint du chef du Block 66, qui, à la demande de la Résistance intérieure, vient recenser les plus jeunes, il peut sortir du Petit Camp avant la fin de la période de quarantaine et rejoindre le Block 8 du Grand Camp où d’autres enfants de son âge sont regroupés et protégés grâce à l’action du chef de Block Wilhelm Hammann qui n’hésitera pas à risquer sa vie lors de la formation des convois d’évacuation d’avril 1945.
Libéré le 11 avril, Aron reste au camp n’ayant plus d’endroit où aller. Le 23 avril, un message est envoyé à l’OSE pour leur signaler que 1 000 enfants âgés de 3 à 15 ans sont encore à Buchenwald.
Le 2 mai 1945, il fait partie des 426 enfants accueillis en France, au préventorium d’Ecouis, par l’OSE.
Il fait la rencontre d’une famille qui porte la même patronyme sans pour autant avoir un lien de parenté. Il a 16 ans. Il va apprendre le métier de maroquinier et parallèlement suivre des cours de français car il ne le parle pas.
Il se fera naturaliser français en 1952, adoptera le prénom d’Armand et effectuera son service militaire, Il se mariera et aura une fille et sera l’un des premiers en 1990 à aller témoigner dans les établissements scolaires. Dans une période, des lieux où le chacun pour soi était la règle, il y a eu des hommes et même des enfants qui ont su se montrer dignes et donner un peu de soi pour aider
Jean-Luc Ruga

Après le Bois des hêtres. Armand Bulwa. Editions L’Archipel. 176p. 2020. 18€


Les Français déportés à Dora. 9000 bios

22 ans après l’engagement pris  auprès des   survivants de Dora, et notamment Jean Cormont qui fut secrétaire général  de  l’association  française Buchenwald-Dora, c’est sous l’égide du Centre d’Histoire de La Coupole, que les Editions du Cherche Midi publie un Dictionnaire des déportés de France passés par Mittelbau Dora.
Après deux décennies de recherches, la mobilisation sans précédent d’historiens, de professeurs, d’archivistes, de bénévoles, – dont des membres de notre association, du recoupement de milliers d’archives, dont celles que nous conservons, cet ouvrage fixera sur le papier l’histoire d’un pan entier de la Déportation dans toutes ses composantes, ses diversités, sa complexité et sa pluralité.
Combien et qui étaient les déportés de France à Mittelbau-Dora et dans ses Kommandos, d’où venaient-ils, quelles avaient été leurs formes
d’engagement, quels pouvaient être les liens de sociabilité tissés entre eux, quels avaient été leurs parcours dans le système concentrationnaire, combien avaient péri, quelle était l’espérance de vie des survivants, quelles traces physiques et immatérielles nous léguaient-ils de leur expérience traumatique, comment, enfin, utiliser demain ces expériences du passé comme courroie de transmission et base de réflexion pour des générations désormais privées de témoins ? Autant de questions et de phénomènes que chacune de ces 9 000 vies couchées sur le papier viendront éclairer.
Depuis Abada Roger, résistant communiste matricule 117858 à Dora jusqu’à Zyman Benjamin, membre de l’Organisation Juive de Combat, matricule 75953 à Dora, en passant par Stéphane Hessel, Pierre Dejussieu-Pontcarral, Simone Veil et des milliers d’autres, ce véritable mémorial de papier les réunira pour la première fois.
Publiés au printemps 2020 grâce à la volonté des éditions du Cherche-Midi, 9 000 exemplaires numérotés ont été réservés pour chaque famille de déportés de Dora. Mais l’ouvrage répond à trois objectifs :
– Mémoriel : rassembler, pour la première fois, ces 9 000 victimes afin de garder une trace individualisée de chaque déporté.
– Scientifique : répondre à plusieurs problématiques historiques permettant d’accroître les connaissances sur les phénomènes de violence de masse.
– Pédagogique : fournir un outil au corps enseignant pour transmettre aux générations futures la mémoire et l’histoire de ces victimes du nazisme.
À côté de nombreux organismes, notre association est partenaire de ce projet, la majorité des déportés de Dora étant auparavant passée par Buchenwald, pour une période plus ou moins longue et en ayant conservée le numéro matricule.
28 000 Français ont été déportés à Buchenwald. Voici donc une masse de connaissances biographiques qui enrichit aussi notre connaissance de Buchenwald.

Le livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora. Camp de concentration et d’extermination par le travail. Sous la direction scientifique de Laurent Thiery, docteur en histoire. 2 500p. Parution en avril 2020. 49€


Réédition du livre de Pierre Durand : « La Résistance des Français à Buchenwald et Dora »

Paru en 1977, cette étude sur les formes de résistance qui ont pu s’organiser à Buchenwald, et d’abord celle des Français qui réussirent à créer, clandestinement, un Comité des intérêts français qui représenta les membres déportés de 35 mouvements de résistance, reste un ouvrage de référence sur Buchenwald. Pierre Durand, journaliste, historien, déporté à Buchenwald en mai 1944, a fait ici oeuvre d’historien, tout comme André Sellier, déporté lui à Dora, l’a été pour ce camp. S’appuyant sur des archives alors inédites et de très nombreux témoignages le livre soulevait le voile sur toute l’organisation d’une activité clandestine qui, du soutien moral aux détenus à l’organisation de brigades armées pu préparer la libération du camp. Dans sa préface, Marcel Paul montre le rôle que l’auteur joua dans ce combat souterrain.
Ce grand livre, résiste aux années et à tout ce que les ouvertures d’archives et recherches historiques ont pu jusqu’à présent produire sur la résistance à Buchenwald et notamment l’excellente étude d’Olivier Lalieu parue en 2005 sous le titre « La Zone Grise », chez Taillandier. Il faut donc se féliciter de cette réédition à laquelle quelques notes et une nouvelle bibliographie redonne une actualité.

La Résistance des Français à Buchenwald et à Dora. Pierre Durand. Editions Delga. 2020. 18€ (possibilité de commander l’ouvrage à l’association)


Radiographie des photos clandestines du camp

Le livre de Christophe Cognet – qui réalisa un beau documentaire sur Boris Taslitzky – présente un certain nombre de photos prises clandestinement dans des camps de concentration et dans un centre de mise à mort.
Dans un premier temps, ces photos peuvent sembler déconcertantes, tant elles sont anodines, et apparemment sans grand intérêt. À l’opposé de celles que nous connaissons prises par les forces alliées lors de la libération de ces camps. Passée cette réaction, on découvre que l’auteur a véritablement mené enquête sur ces photos, sur les risques pris par leurs auteurs et surtout sur ce que ces derniers ont voulu transmettre.
En ouverture de son ouvrage, Christophe Cognet analyse onze photos prises à Buchenwald par Georges Angeli, KLB 14824. Bien que ces photos nous soient connues, il réussit à les faire « parler ». Il nous révèle comment Georges Angéli, en compagnie de José Fosty, déporté belge et seul détenu francophone à cette époque du Block 40, ont procédé pour réaliser ce reportage photo clandestin un dimanche après-midi.
Chaque cliché est finement détaillé tant sur un plan de la technique photographique que sur un plan historique. Il nous renseigne même sur la chronologie des prises de vue, l’endroit précis où elles ont été prises, Georges Angeli s’étant prêté en 2001 à une reconstitution sur place à l’initiative du Mémorial de Buchenwald.
Du monde concentrationnaire, les photographies de Georges Angeli donnent une image contrastée – qui créa d’ailleurs un malaise lorsqu’il les rendit publique – entre la nonchalance des hommes déambulant devant l’arbre de Goethe et le regard sévère de ceux souffrant de la dysenterie dans la zone des malades du Petit Camp.
Christophe Cognet démontre par ses analyses que Georges Angeli a su capter toute une gamme d’attitudes, de sentiments et d’émotions complexes. En revanche, il n’en est pas de même pour les cinq photographies de «  lapins  » de Ravensbrück qui ont été réalisées – clandestinement – dans le but de servir de preuves contre les auteurs d’ expériences médicales réalisées au camp sur de jeunes détenues. Il en est de même pour celles réalisées à Birkenau : quatre photos prises depuis le Krematorium V en août 44 par un membre du SonderKommando.
Ces dernières sont prises comme actes de résistance pour montrer au monde ce qui se passait dans le centre de mise à mort qu’était Birkenau, d’autant plus que les  SonderKommando savaient pertinemment que leur sort était scellé d’avance et qu’ils leur seraient malheureusement impossible de témoigner.
En conclusion, un livre où l’auteur nous propose des analyses sensibles de ces photographies, toutes scrutées longuement et remises dans leur contexte. Il s’agit tout autant d’une exploration historique que d’une réflexion sur les photographies et sur leurs auteurs.
Jean-Luc Ruga

Christophe Cognet,  Le Seuil, 2019, 426 p. 25€


Résistante

Résistante aux côtés de ses parents et de son frère (mouvement Défense de La France, réseau de renseignement Mithridate), Jacqueline Fleury-Marié est arrêtée à 17 ans et déportée au camp de Ravensbrück en août 1944 où elle manifeste, avec sa mère, la volonté farouche de survivre dans cet univers indicible où se côtoient la cruauté et la barbarie les plus atroces et la fraternité et l’amitié les plus belles. Son père est déporté, lui, à Buchenwald et elle-même sera envoyée aux Kommandos de Torgau, Abteroda puis Maarkleeberg, dépendant du KLB.
A 95 ans, fidèle à l’esprit de «  résistance  » qui fut la philosophie de sa vie personnelle et familiale, elle rend ici hommage à toutes ces femmes qui surent, par leur force d’âme et leur esprit de solidarité vaincre la volonté d’anéantissement de leurs bourreaux.
En ces temps troublés où souffle un vent mauvais sur les démocraties, le témoignage de Jacqueline Fleury-Marié est une ode «  au combat  » toujours poursuivi de «   l’Homme   » pour la préservation de son droit le plus précieux, la liberté. Elle témoigne sur le site memoiresdesdeportations.org
Françoise Pont-Bournez

Jacqueline Fleury-Marié avec Jérôme Cordelier, Résistante, Editions Calmann Lévy, 15.90 €


KL. Une histoire des camps

L’édition française de la somme (près de 1 200 pages) que Nikolaus Wachsmann, professeur d’histoire contemporaine au Birkbeck College (Université de Londres) consacre aux camps de concentration nazis a été publié fin 2017 chez Gallimard. L’auteur la présentera en mars 2020, sous l’égide de l’Inter-Amicale, à la Sorbonne, à Paris.
De la naissance des camps aux marches de la mort qui marquent les derniers jours du Reich, Wachsmann décrit et analyse les enchaînements qui, de 1933 à 1945 ont conduit à la conception, la réalisation, l’expansion puis la décomposition du système concentrationnaire nazi, conçu d’abord comme une machine de terreur, à laquelle s’ajoutera une fonction économique pour la SS avant d’être le réservoir de main d’œuvre de la production industrielle nazie. On n’avait pas lu, en France, une telle synthèse depuis 1968 et la parution au PUF de la thèse, fort critiquée, d’Olga Wormser-Migot, sur le système concentrationnaire nazi, désormais très datée.
S’appuyant sur une documentation considérable (73 pages de ressources recensées, peu de françaises, peu de témoignages) l’auteur met d’abord en place l’idéologie et les méthodes qui soutiennent la création des camps et conduiront – le processus est clairement exposé et argumenté – aux éliminations génocidaires et celles de prisonniers de guerre soviétiques, de populations slaves, d’opposants politiques, surtout communistes, d’handicapés mentaux, de vieillards, de malades, de détenus des camps…
Il suit l’expansion du système concentrationnaire, ses logiques propres mais aussi celles qui dépendent du conflit mondial et des besoins industriels du IIIe Reich.
Il s’attarde sur les acteurs et leurs motivations, leurs formations et leurs comportements, les chaînes hiérarchiques, les rivalités et les jeux d’influence au sommet du système, comme sur le terrain.
S’il n’y a pas, dans cette large et passionnante synthèse jamais tentée jusqu’à présent – et réussie – de place pour tous les camps et leurs innombrables Kommandos, Buchenwald est l’un des acteurs importants de ce tableau saisissant et captivant : sa création, en 1937, qui marque un tournant dans la conception même d’un camp de concentration et son organisation interne, avec le rôle dévolu au Kapo ; son développement rapide et problématique pour les détenus, avant 1940 ; sa place comme camp «  mortifère pour les Juifs  » en 1938 ; son rôle dans l’économie SS et les «  tripatouillages  » qui valurent à son premier commandant, Koch, d’être condamné et exécuté par les SS  ; sa qualité de centre d’expériences médicales et de réservoir pour les programmes d’euthanasie ; sa place dans l’économie de guerre, etc.
La vie quotidienne des détenus n’est abordée que brièvement mais va à l’essentiel : l’existence de hiérarchies. On lira sous le chapitre Bravades, la description d’un acte téméraire de résistance mené à Buchenwald en octobre 1944, connu des lecteurs du Serment mais dont le choix n’est pas neutre. Car l’auteur s’attarde peu sur les solidarités, les activités culturelles, les résistances organisées dans les camps, notamment à Buchenwald.
On referme cette somptueuse synthèse sur l’univers concentrationnaire nazi avec l’envie d’en savoir un peu plus sur tel ou tel aspect du caractère unique de ce système de terreur.
D. D.

Nikolaus Wachsmann, KL, Une histoire des camps de concentration nazis, Paris, Gallimard, 2017, 45 €


Léon Leloir. Un Père Blanc au destin contrarié par l’ombre de Degrelle

Fernand Lisse, en rédigeant la biographie du Père Blanc Léon Leloir, dresse le portrait d’un «  intellectuel brillant », d’un « géant de l’apostolat », comme l’attestent les temps forts d’une existence « hors norme ».
Né à Mons (Belgique) le 29 décembre 1907, Léon Leloir entre à l’âge de 17 ans au séminaire de Floreffe, puis, après ses années d’études, demande à rejoindre la congrégation des Pères Blancs. Ses talents littéraires sont vite repérés par ses supérieurs qui lui confient la direction de la revue « Grands Lacs  ». Très vite, elle devient, en raison des aptitudes de ce « propagandiste dans l’âme » la plus grande revue missionnaire en langue française. Parallèlement, le Père Leloir inaugure des radios-causeries sur les Missions en Afrique, manifestant, là encore, des dons de communicant moderne.
Réfugié dans le Sud de la France dès la fin du mois de mai 1940, il s’occupe de plusieurs paroisses. Cependant, sous la pression de Vichy, il doit reprendre le chemin de la Belgique, où, inlassablement, il multiplie les conférences, causeries, cours, publications…
A partir de 1942, il est nommé aumônier divisionnaire des maquis des Ardennes belges et françaises et appartient aussi au 2e Bureau français. Il rédige « la prière à Notre-Dame du maquis », publiée à plus de 300.000 exemplaires.
Arrêté en juillet 1944 par la Gestapo, sur la route de Rocroi à Dinant, cet infatigable résistant est incarcéré à la prison de Namur, torturé puis condamné « pour délit de prêtrise » avant d’être déporté à Buchenwald.
Grâce à ses témoignages, on connaît les atroces conditions de détention et de travail forcé des bagnards au camp de Buchenwald, au fonctionnement interne très hiérarchisé, et passé sous le contrôle des communistes. En dépit des risques pour sa vie, le prêtre-missionnaire parvient à célébrer la messe au moins une fois par mois, à l’insu de tous. Il organise aussi l’association, « Action catholique » et, il écrira : « C’est ainsi que l’Eglise présente au maquis continue d’être vivante au bagne ».
Peu de temps après sa libération de Buchenwald, le Père Leloir renoue avec sa vie d’antan d’écrivain, de conférencier, de missionnaire, de témoin aussi. Ainsi est-il reçu par la Pape et profite-t-il de ce séjour à Rome pour relater par le menu, devant plus de 250 prélats, le calvaire de tous les forçats de Buchenwald, dans l’espoir de soulever la léthargie de la Curie en général et de Pie XII en particulier. Sur le chemin de Lyon où il se rend en voiture pour effectuer une tournée de conférences, il est victime, en septembre 1945 d’un accident mortel.
Fernand Lisse, grâce à la diversité et à l’excellence de sa documentation, grâce aux Annexes – notamment celles relatives aux relations du Père Leloir avec son cousin Degrelle – donne vie « à ce type extraordinaire  » qui reste, dans les mémoires, l’incarnation du missionnaire-humaniste.
Françoise PONT-BOURNEZ

Léon Leloir, un Père Blanc au destin contrarié par l’ombre de Degrelle de Fernand Lisse. Editions De Schorre 2018. 286 pages. 22,00 €.


Un jeune rebelle dunkerquois

Un jeune rebelle dunkerquois est un précieux témoignage que rédige, dans un style simple et dépouillé, Louis Degunst, bien des années après son retour de Buchenwald, à l’instigation de sa fille.
Ces carnets dessinent la figure d’un jeune homme qui, avant, pendant et après la guerre, traça son chemin grâce à une insatiable curiosité et dont l’itinéraire professionnel reflète cette personnalité avide de connaissances et animé d’un puissant goût pour la vie.
Coursier dès l’âge de 13 ans à la Compagnie Worms, employé à 15 ans au service export, le jeune Dunkerquois se prend d’un vif intérêt pour la radiotélégraphie et s’engage, en octobre 1938, avec cette qualification dans la Marine nationale pour y effectuer son service militaire. Le 3 septembre 1939, il embarque sur le «  Fantasque » et le 3 juillet 1940, il est l’un des rares rescapés du bombardement anglais contre la flotte française à Mers-el-Kébir à rester anglophile.
Alors qu’il appartient au GCR (Groupement des Contrôles Radioélectriques), Louis Degunst est contacté, en septembre 1943, par la Résistance qu’il rejoint sur-le-champ, pour mener, sous le pseudo de Paulo, la vie errante et toujours menacée d’un radio clandestin parisien, en liaison avec Londres.
Arrêté en juillet 1944 avec la complicité d’un policier français, commencent pour lui les souffrances d’un long calvaire : incarcéré à Fresnes, brutalisé, torturé, le jeune résistant est entassé avec 2200 autres prisonniers dans le dernier convoi à quitter la région parisienne, en gare de Pantin, qui atteint Buchenwald le 20 août 1944.
Son goût pour la vie, son engagement auprès des autres se manifestent pendant ces mois de souffrance que ce soit dans les carrières de pierre ou au Kommando de Wansleben-Am-See, une mine de sel transformée en usine souterraine.
Sans jamais faiblir, Louis Degunst supporte l’enfer du quotidien que sont les interminables heures d’attente sur la place d’appel, le manque de sommeil, d’hygiène, de nourriture, l’invasion des poux et des punaises, sans parler de la cohabitation avec des Polonais et des Russes, ici aussi cruels et inhumains que bien des SS.
Peu de mois après sa libération du camp de Buchenwald, le 11 avril 1945, Louis Degunst entame « une nouvelle vie » en s’engageant, en octobre 1945, à titre civil, dans la zone allemande occupée par les Français, comme radio à la DRA (Direction des Recherches en Allemagne).
Toute son existence, il témoignera auprès des siens et des jeunes générations au-devant desquelles il ira dans les écoles, d’un profond humanisme qui fait écho aux quelques mots d’Henry Miller qu’il a choisis, en exergue de ses « Mémoires » : « La mission de l’homme sur la terre est de se souvenir ».
Françoise PONT-BOURNEZ


Femmes en déportation

La   contemporaine-BDIC et l’université Paris Nanterre organisaient en décembre 2015 le premier colloque consacré à l’étude des femmes déportées par mesure de répression depuis la France vers l’Allemagne.
Associant témoins, chercheurs et archivistes, cet évènement permettait de faire le point sur les recherches déjà entreprises, souvent par les associations de rescapées, puis par les fondations mémorielles. À la lumière des recherches récentes, de nouvelles pistes de réflexion sont apparues. L’ensemble des contributions est publié sous le titre Femmes en déportation. Elles mettent en lumière les différences de parcours des déportées et internées, la pluralité des causes de leur engagement dans la Résistance et les conditions particulières de la réinsertion des rescapées après-guerre. Agnès Triebel et Anne Savigneux ont chacune apporté une contribution nourrie des travaux de notre association : Agnès Triebel sur les femmes oubliées de Buchenwald, Anne Savigneux sur « les prostituées déportées de France ».
Chacune des contributions montre la nécessité d’appréhender la déportation féminine du point de vue de l’histoire des femmes qui révèle l’apport indispensable d’une telle approche à la compréhension de cette période.

Femmes en déportation. Les déportées de répression dans les camps nazis, 1940-1945, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019, 305p. 19€.


Oublier l’oubli

Le rapport de la mission d’étude sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse est publié par les éditions du CNRS. Installée en octobre 2016 la mission – une équipe internationale de 65 chercheurs et professeurs – atteste des connaissances élaborées depuis plus de vingt ans pour penser les univers de la mise à mort de masse, la résistance et le témoignage des victimes, la logique des bourreaux, les avant et les après qui redéfinissent les processus génocidaires, les défis au droit, les volontés de déshumanisation, et, a contario, le devoir d’humanité.
Cette synthèse savante (le rapport initial fait 1  700 pages) est d’une lecture aisée et les recommandations de la mission sont d’importance : elles répondent aux discours révisionnistes, à la suspicion grandissante envers le savoir et l’information, aux fake news et autres théories complotistes qui remettent en cause les crimes de masse, les minimisent ou les justifient. Elle milite pour combattre l’oubli. Outre des recommandations générales sur la nécessité de soutenir les efforts de recherche et d’étendre les actions pédagogiques, la mission souhaite un engagement plus affirmé des pouvoirs publics pour préserver et institutionnaliser les lieux de mémoire, comme lieux pour l’histoire. Elle recommande, dans quelques lignes bienvenues (pages 205-208) de refuser d’accepter le caractère inéluctable d’un génocide et d’un crime de masse. « Ce serait se résigner à ce qu’ils se reproduisent ». La mission aura entendu quelques spécialistes de la déportation et un grand témoin : Raphael Esrail, dont le texte figure en annexe de ce volume.

Rapport de la mission génocides, CNRS Editions, 2018, 326 pages, 20€


Le retour des déportés

En Jeu, le trimestriel de la Fondation pour la mémoire de la Déportation, a consacré son numéro 11 de juin 2018 – publié en octobre – à la transmission de l’histoire de la criminalité de masse du nazisme. Il reprend les communications présentées lors d’une journée d’études organisée par la Fondation en décembre 2017 et les complète d’autres textes sur les aspects médico-sociaux de la déportation, textes présentés lors d’une journée d’études précédente, en mars 2017.
On trouvera dans cette partie de la revue des précisions intéressantes sur l’organisation du retour des déportés, leur prise en charge sanitaire et un aperçu des pathologies identifiées.

En Jeu. Histoire et mémoires vivantes, n°11, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, juin 2018.


Number 85250

Le Mémorial de Langenstein-Zwieberge, soutenu par ses tutelles et le Conseil départemental du Territoire de Belfort, vient de publier, en édition bilingue illustrée et complétée de documents inédits, les souvenirs de Louis Bertrand, KLB 85250. Ceux-ci étaient parus en édition française en 2005. C’est un témoignage essentiel non seulement pour suivre l’engagement d’un jeune scout dans la Résistance française, engagement qui le conduit à Buchenwald en août 1944, mais aussi la création d’un des « gros » kommandos extérieurs de Buchenwald, celui de Langenstein-Zwieberge (ou Kommando Malachit), aujourd’hui lieu de mémoire, protégé par le Land de Sachsen-Anhalt et administré par un jeune directeur de nationalité française, Nicolas Bertrand, sans lien de parenté avec Louis.

Aujourd’hui, le site est sauvegardé, et ses monuments commémoratifs entretenus. Il commence à s’ouvrir à des fouilles, le camp et ses blocks en bois ayant disparu très rapidement.

Emile Torner, Georges Petit, Paul Le Goupil, Victor Oden, Raymond Soulas, sont, avec Louis Bertrand parmi, les 953 Français internés. Ils firent tous les six beaucoup pour garder et ériger en mémorial le lieu.

Emile Torner évoque dans ses mémoires «  Résister, c’est exister » (éditions Delga 2010) son expérience à Langenstein.

Georges Petit a publié, chez Belin, en 2001, « Retour à Langenstein ».

Paul Le Goupil a dressé, en 1997, un mémorial des Français déportés à Langenstein, et évoqué le camp dans ses différents livres.

Raymond Soulas a enregistré, en 2001, un long témoignage pour la Fondation de la Mémoire de la Déportation.

Roger Coupechoux a publié chez l’Harmattan, en 2004, « La nuit de Walpurgis : avoir vingt ans à Langenstein ». Il avait déjà témoigné dans Le Serment en avril 1965, tout comme Victor Oden en 1961.

Aujourd’hui André Baud, fils de Claude Baud, anime ce qu’on appelle le groupe de 2e génération pour entretenir et développer la mémoire du Kommando Malachit.

La nouvelle édition des mémoires de Louis Bertrand ouvre de nouvelles perspectives pour la connaissance du camp. Elle comprend une correspondance avec Jean-Paul Mattern qui apporte des précisions sur le retour (ou non) d’un certain nombre de Français du camp. Correspondance essentielle car elle s’accompagne de précisions sur les blocks, les affectations et, le cas échéant, les fonctions de tel ou tel « Häfling » dans le camp.

Louis Bertrand, Nummer 85250, Mitteldeustcher Verlag 2019, 330 pages, 16€- Ouvrage en dépôt à l’association


Des déportés tsiganes vers Auschwitz et d’autres camps

Monique Heddebaut vient de publier une remarquable étude sur « le convoi Z », un convoi de 350 nomades déportés du Nord de la France vers Auschwitz et, pour certains, transférés ensuite à Buchenwald.

200 000 à 500 000 nomades sur les 700 000 environ qui vivaient en Europe, selon les différentes estimations, sont morts, victimes du nazisme et de ses alliés. Des milliers de Tsiganes ont par ailleurs été stérilisés ou victimes d’autres sévices, comme des expérimentations médicales in vivo.
Les nomades vivant en France ont, dans leur immense majorité, échappé à ce sort, y compris ceux demeurant en Alsace – Lorraine annexées, les Manouches, expulsés dès juillet 1940 vers la zone libre où ils seront progressivement internés à Argelès, Barcarès et Rivesaltes, avant d’être regroupés au camp des Saliers, sur la commune d’Arles, en Camargue et, plus tard, au camp de Poitiers.
Car d’octobre 1940 à mai 1946, plus de 6 500  no mades, en majorité Français, dont un grand nombre d’enfants, ont été internés dans plus d’une trentaine de camps situés sur l’ensemble du territoire métropolitain, après avoir été dans un premier temps assignés à résidence. Spolliés, internés dans des conditions indignes, empêchés de travailler librement, sous-alimentés et contraints aux travaux forcés, nombre d’entre eux sont morts dans ces camps de France.
À partir de 1943, certains d’entre eux, une centaine, ont été déportés vers l’Allemagne dans le cadre du STO. Les premiers vers Sachsenhausen, un autre groupe vers Buchenwald. D’autres, libérés des camps français, ont été raflés dans le nord de la France et déportés vers Auschwitz en 1944 avec « le convoi Z » et dans le cadre d’une déportation raciale.
La plupart furent exterminés le 3 août 1944. Mais certains d’entre eux, jugés aptes à travailler, furent transférés d’Auschwitz à Buchenwald à la veille de la liquidation, à Auschwitz, du camp des tsiganes.
Monique Heddebaut, au terme d’une minutieuse enquête, qu’elle vient de publier aux éditions Tirésias L’histoire du convoi Z, suit le parcours compliqué de ces nomades et notamment celui d’Antoine Lagrené, revenu à Buchenwald en 2012.
Le convoi Z – Z comme Zigeuner, Tsigane en allemand – est l’unique convoi parti de Malines « le Drancy Belge » le 15 janvier 1944 à destination d’Auschwitz. Il déportait 351 Tsiganes ,177 hommes, 174 femmes. 161 personnes n’avaient pas 15 ans le jour du départ. Dans ce convoi, il y avait 145 Français (74  hommes et 71 femmes) tous arrêtés dans les départements du Nord et du Pas de Calais, rattachés au commandement Allemand de Bruxelles et soumis au décret du 16 décembre 1942 « l’Auschwitz Erlass »qui décide de la déportation des Tsiganes dans le Grand Reich.
Arrivés à Auschwitz, ils rejoignent les 20943 Tsiganes au Familienalager B II e, ils y sont immatriculés, même les plus jeunes enfants, dans les séries pour les femmes de Z 9761 à Z 9934 et de Z 9050 à Z 9226 pour les hommes,
En avril et en août 1944 certains adultes et jeunes adolescents jugés aptes au travail sont envoyés dans les camps de Buchenwald, Flossenbürg ou Ravensbrück.
Les personnes jugées inaptes soit plus de 2897 hommes, femmes et enfants furent exterminées dans la nuit du 2 au 3 août 1944.
À Buchenwald sont transférés, le 17 avril 1944, 883 Tsiganes et, le 3 août 1944, 918 Tsiganes. Dans ce convoi, Antoine Lagréné KLB 74993, né en 1931.
Après un séjour au Block 58 du Petit Camp, il est transféré au Block 31 où il est protégé par Jean Gallon KLB 81132 et Gilbert Schwartz KLB 14597 et où il peut suivre avec un autre enfant des cours de lecture et d’écriture donnés par Jean Gallon : « Ils les sortaient, alors, sur le terrain pour leur apprendre à calculer le périmètre et la surface du camp, le nombre de baraques etc…. ».
Pour ces adultes politisés l’enseignement, l’établissement et l’entretien de la vie culturelle appartenaient à part entière aux actes de Résistance à opposer à ceux qui voulaient les anéantir et les réduire à un statut de « Stück ».
Pour les autres adultes arrivés par les 2 convois, c’est le transfert à Harzungen et à Ellrich. Du convoi Z, seuls 12 à 15 survivants (suivant les sources) reviennent de l’enfer en 1945.
Antoine Lagrené a témoigné dans le numéro 344 du Serment en juillet 2012.
Ce livre aux abondantes références bibliographiques est étayé par des sources nouvelles ou inexploitées jusqu’à maintenant. L’auteure s’appuie sur de nombreux témoignages directs et surtout sur ceux de deux survivants adolescents en 1943 qui relatent leurs vies dans l’univers concentrationnaire. Ces récits pour la plupart inédits apportent des éléments indispensables pour comprendre ce qu’a été la déportation des Tsiganes, un voyage sans retour pour 90 % d’entre eux.

Jean-Luc Ruga et Dominique Durand

Des Tsiganes vers Auschwitz le convoi Z du 15 janvier 1944 de Monique Heddebaut – Éditions Tirésias
ISBN : 978-2-915293-98-2 – 352 pages – 27 €


La révolte d’un paysan Poitevin contre les nazis

Tout commence par l’inscription, en 2008, du nom de son grand-père sur le Mémorial de Lageon, dédié aux résistants déportés du nord des Deux-Sèvres.
L’auteure, Françoise Migeon Basty, nous relate l’histoire de son grand-père paternel, François Migeon, mort dans le camp de Buchenwald, mais nous restitue aussi le travail minutieux de recherches, entrepris depuis six ans pour connaître le parcours de ce dernier.
Cela part du livret militaire du grand-père récupéré par l’une de ses sœurs, puis se poursuit par des démarches auprès de l’International Tracing Service de Bad Arolsen, des archives des Mémoriaux des camps, des visites sur les lieux et enfin des rencontres avec les associations et amicales d’anciens déportés.
François Migeon, modeste paysan à Allonne, ancien combattant de la guerre de 14-18 récupère des armes abandonnées durant la débâcle dans une maison délabrée, vide d’occupant.
Dénoncé par son ancien commis de ferme ayant servi dans la LVF, François Migeon est arrêté le 16 juin 1944 et incarcéré à Niort puis à Poitiers. Il sera déporté NN (Nacht und Nebel) au camp de Natzweiller Struthof le 19 août 1944, puis ce sera Dachau et Ohrdruf, le sinistre Kommando de Buchenwald, le 30 janvier 1945, et enfin Buchenwald où il sera ramené mourant. Il s’éteindra le 11 février 1945 dans le Revier du petit Camp. Le KLB 131 390 avait 48  ans.
Dans ce livre, Françoise Basty-Migeon lève un secret de famille tant pour elle-même que pour son père qui en a toujours souffert. Cette mission, elle l’accomplit sous nos yeux. Elle nous conte aussi l’histoire de sa famille qui a traversé les trois guerres ; le grand-père de François Migeon est mort en 1871 lors de la guerre franco-allemande. L’auteure souligne la saignée causée dans sa famille par la guerre de 14-18. Elle relate de façon très précise l’activité des mouvements de Résistance dans la région niortaise, après le débarquement de Normandie.
Enfin, et pour humaniser cette histoire, Françoise Basty-Migeon décrit la vie paysanne entre les deux guerres en Gâtine avec ses coutumes et ses traditions, la faune et la flore des Deux-Sèvres.
Elle rend, certes, hommage à son grand-père mais également à tous ces héros discrets de la Résistance française, dont le sacrifice nous permet de vivre actuellement dans un pays libre. Ce récit met en avant les valeurs fondamentales que sont l’engagement, l’Europe et la paix.
Jean-Luc Ruga

La révolte d’un paysan Poitevin contre les nazis. Éditions LA GESTE – 280 pages – 22,00 €


Louis Degunst, un jeune rebelle dunkerquois

Quel parcours ! Quelle énergie ! Quelle leçon de courage et d’humilité ! L’itinéraire de Louis Degunst nous immerge dans l’une des pages les plus sombres et tragiques de l’histoire de l’humanité, au temps où résistance rimait toujours avec souffrance. Dès lors, comment ne pas saluer l’initiative de cette publication qui produit un exceptionnel document à caractère pédagogique.
Si davantage de déportés résistants rentrés avaient, à son exemple, consigné leur témoignage, les risques de marginalisation, de relégation, voire d’effacement dans la mémoire collective, en auraient été amoindris, sans compter tous les enseignements que les historiens auraient pu extraire de ces sources de premier ordre. Ce récit de « déporté de répression » est d’autant plus précieux que depuis le procès d’Adolf Eichmann (1961), l’histoire de la déportation est devenue pour l’essentiel, durant plusieurs décennies, celle de la « déportation de persécution » et de la tragédie européenne du génocide du peuple juif. D’ailleurs, pour preuve, très récemment encore, il fallut bien des débats et une forte pression associative pour étendre l’indemnisation et la reconnaissance de l’Etat, pour souffrances endurées, à tous les orphelins de déportés de guerre, sans distinction de race.
Comme nombre de déportés, Louis Degunst a rédigé tardivement ses pesants souvenirs. Il lui fallait laisser du temps au temps, digérer les épreuves, se reconstruire, apprendre à revivre après des mois de survie et fonder une famille. Sa fille Muriel l’a incité à prendre la plume au moment opportun car Louis Degunst arrivait alors à l’âge où pointait la nécessité de transmettre, de rédiger par devoir un travail de mémoire, de délivrer un message pour rappeler aux jeunes générations, elles-mêmes confrontées à leurs difficultés et à leurs incertitudes, que le nazisme, système monstrueux, niait toute forme d’égalité et de liberté entre les hommes.
Durant ces années noires, il fallait bien du courage pour s’élever contre une telle tyrannie. Un tempérament rebelle facilitait certes une telle démarche et notre Dunkerquois frondeur n’était pas en reste sur ce plan, mais on ne s’improvisait pas résistant au sein d’un groupe structuré : outre la volonté de combattre, il fallait souvent attendre que se présente l’opportunité du contact. Mais force est de constater aussi que l’environnement de Louis Degunst, durant les premières années de guerre, ne le prédisposait nullement à ce type d’engagement. En sa qualité de marin engagé, il avait de justesse échappé, à Mers El-Kébir, au bombardement de l’escadre française par la Royal Navy, une opération dramatique qui coûta la vie à 1300 marins français et déchaîna une campagne exacerbée d’anglophobie. Ne travaillait-il pas aussi, après sa démobilisation, en tant que radiotélégraphiste, sous le couvert d’une structure officielle, dans une officine d’écoutes qui abreuvait en informations les services du gouvernement de Vichy ?
Louis Degunst est approché par la Résistance en août 1943, essentiellement en raison de ses compétences professionnelles, très recherchées par l’armée de l’ombre. Il répond spontanément à cet appel, ses convictions étant solidement établies. Nul doute que son anglophilie ait motivé son engagement. Une partie de sa famille ne résidait-elle pas en Angleterre ? Ne subodorait-il pas que son géniteur était un officier britannique de la Grande Guerre ? Bon sang ne saurait mentir. Mais adhère-t-il à la France libre de De Gaulle qui, à ses yeux, présente moins de risques que l’Intelligence Service dans l’hypothèse d’une arrestation, ou à cet « Esprit de Dunkerque » initié par Winston Churchill en 1940 ?
Le lecteur découvrira la suite : sa participation aux réseaux Troène et Andromède, émanations du BCRA (Bureau central de recherche et d’action), le service de renseignement de la France libre. Son activité clandestine est extrêmement périlleuse car près de 80 % des « pianistes » seront arrêtés, en émettant ou en mission. Le 11 juillet 1944, la branche de son réseau est démantelée par la redoutable police nazie qui, avec le concours de gestapistes français, est parvenue à infiltrer l’organisation de résistance en utilisant des agents infiltrés ou retournés : un grand classique du contre-espionnage. Suit l’enchaînement du quotidien des résistants arrêtés : les interrogatoires musclés, l’emprisonnement dans l’attente d’un procès qui n’aura pas lieu, et la déportation précipitée par les événements.
Quand Louis Degunst rédige ses « Mémoires de Guerre », il n’a pas connaissance des recherches historiques, bien postérieures, menées sous l’égide de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation qui a conçu et produit le Livre-Mémorial recensant notamment, de façon exhaustive, les itinéraires des transports de déportés au départ de la France vers l’Allemagne. Notre auteur en est donc réduit à certaines hypothèses pour expliquer d’obscures péripéties. Aujourd’hui, toutes les explications peuvent être données, à l’appui de sources irréfutables. Ainsi, à la veille de la libération de Paris, soit dix jours avant la capitulation du Gross Paris, les Allemands vident les prisons françaises. Le 15 août 1944, le convoi – le dernier à quitter la région parisienne – est au départ de la gare de Pantin, faute de pouvoir utiliser les installations de la gare de l’Est, sabotées par la Résistance. Le train est contraint de s’arrêter à Nanteuil-Saacy, car le pont franchissant la Marne a été détruit, le 8 août, par un bombardement allié : les détenus doivent alors regagner à pied un autre transport formé au- delà de cet obstacle. Le 17, la Résistance ne parvient pas à stopper le convoi à Dormans (Marne). Ce jour-là, le consul de Suède, en poste à Paris, conclut un accord avec l’occupant et obtient que tous les prisonniers et déportés soient placés sous sa protection mais ses démarches se heurtent à l’obstination du SS, chef de train. Le lendemain, c’est l’arrivée à Nancy où des membres du gouvernement Laval, en route vers Sigmaringen, interviennent à leur tour, sans succès. Finalement, les déportés arrivent à destination, le 20 à Buchenwald où sont débarqués les hommes et le 21 à Ravensbrück, le sinistre camp de femmes.
Devant les déportés, s’ouvrent alors les portes de l’enfer du travail forcé. Avec concision et des mots empreints d’une extrême pudeur, Louis Degunst dresse le tableau d’un quotidien effroyable fait de vexations, d’humiliations, de coups répétés. La mort habite chaque heure de son existence. Le hasard – car le mot chance serait déplacé dans ce propos – le hasard donc a voulu qu’il ne soit pas désigné, le 3 septembre 1944, pour le Kommando de Dora où la mortalité du groupe issu de son convoi approcha les 80 %. Il rejoint donc celui de Wansleben pour travailler dans une usine de pièces pour avions, implantée dans les galeries d’une mine de sel…..où la mortalité n’atteignit que 54 % !
Celui dont la mort n’a pas voulu a fait le choix délibéré de restituer son parcours de guerre et de déportation dans la continuité de ses heureuses années de jeunesse, avant d’évoquer les conditions de son retour à la normalité. Voulait-il ainsi, par cette construction littéraire et stylistique, exorciser ces huit mois « envolés », ou considérait-il que ce temps des épreuves ne constituait qu’une séquence de tourmente à inscrire, pour la mémoire et de façon indélébile, dans le cheminement d’une vie ? Louis Degunst (1919-2000), à l’instar de tous ses compagnons d’infortune ayant échappé à la folie meurtrière du nazisme, n’a jamais fait le deuil de ce martyre. Sans aucune haine, il a simplement écrit pour demain, pour éviter le retour du pire.

Patrick ODDONE

Président de l’Association régionale Nord-Pas-Calais pour la Mémoire des conflits contemporains


Hitler et Pétain

On perçoit mieux, désormais, et notamment depuis les études de Ian Kershaw, que le régime nazi n’a vécu que parce que Hitler vivait. L’historien François Delpla, très prolifique et souvent critiqué sur sa façon d’aborder l’histoire, vient, dans une enquête étayée sur d’abondantes et souvent nouvelles sources, tant en français qu’en allemand, de prendre comme angle d’attaque les rapports entre le maréchal Pétain et le Führer, dont l’auteur souligne le rôle éminent dans « le guidage, précis et cohérent du gouvernement de Vichy ». Les nombreux ouvrages publiés sur le régime de Vichy depuis les années  70 ont sous-estimé l’omniprésence d’Hitler dans « la conduite d’une France, rapidement domptée et de plus en plus ligotée ».
En 21 chapitres chrono-thématiques, de la signature de l’armistice à la captivité à Sigmaringen, le lecteur est conduit sur le chemin des liaisons, de plus en plus dangereuses, ambigües et paradoxales qu’imposent Hitler à un maréchal « professeur de résignation », dans le cadre d’une collaboration, préparée de longue date, en vue de la soumission voire de l’amoindrissement de la France « enjuivée, négrifiée » et gangrenée par le communisme.
L’auteur, dans une perspective  historiographique renouvelée, fait surgir la figure « tutélaire » du Führer qui, par le biais d’émissaires dévoués, anime et inspire, sans relâche, de 1940 à 1944 « la politique autoritaire du Régime de Vichy », en protégeant la force d’arbitrage de Pétain qui, à de nombreuses reprises, facilite ses intentions. (Témoin : l’allocution du Maréchal d’octobre 1941 ; l’exposition de la France européenne ; le retour de Laval ; le procès de Riom…) Ce faisant, François Delpla se démarque de la doxa incarnée jusque-là soit par R. Aron (Histoire de Vichy), soit par R. Paxton (La France de Vichy, 1940-1944). Le mérite de cette thèse est aussi de proposer aux futurs chercheurs de nouvelles pistes, pour mieux appréhender encore la part d’Hitler dans la prise des décisions de Pétain, convaincu de la nécessaire bienfaisance de l’intégration de la France « dans le nouvel Ordre européen » voulu par le chef du Reich « de mille ans »

Françoise Pont-Bournez

François Delpla, Hitler et Pétain, Nouveau Monde éditions, 2018, 24,90€


La Survie des juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale

Ce livre pourrait avoir pour titre « L’histoire de la non-déportation des Juifs de France ». En effet, l’auteur dissèque les multiples facteurs qui ont permis à 75% des personnes de confession juive présentes sur le sol français en 1940 d’échapper à la déportation, en dépit du plan d’extermination mis en place par l’occupant et le régime collaborateur et antisémite de Vichy.
En effet, une comparaison s’impose avec les pays voisins. Au Pays-Bas, 80% des Néerlandais de confession juive sont morts, en Belgique près de 45% alors qu’en France, ils sont 25%, tout sentiment de satisfaction serait déplacé car cela ne peut occulter la mémoire de ceux dont la vie s’est terminée à Auschwitz, à Sobibor ou dans les Pays Baltes. C’est 200 000 personnes de confession juive restées sur le territoire national qui ont pu échapper aux arrestations, à la déportation et à la mort.
Un bilan d’autant plus surprenant que dès le lendemain de la capitulation, Pétain et son gouvernement promulgue un statut des Juifs et que la police française prêta malheureusement main-forte aux nazis dans leur entreprise d’extermination.
Bien que l’auteur indique qu’il est difficile de dresser des statistiques, il nous renseigne sur un certain nombre de chiffres  : 330 000  personnes de confession juive vivaient en France, 200  000 Français et 130 000 étrangers, 45% des étrangers furent assassinés pour 12% de français, «  si trois Juifs sur quatre ont survécu en France, la proportion est plus importante pour les enfants sept sur huit ont échappé à la mort». 11 600 enfants de confession juive ont été déportés, mais 72 400 de moins de 18 ans ont échappé à la déportation. L’auteur, très sensible au sort des enfants, y consacre de très nombreuses pages,
Il revient – et surtout estime excessif et fort discutable – le postulat de l’antisémitisme profond du peuple français, surtout en comparaison avec d’autres pays, comme la Pologne. Il met en avant des facteurs pouvant expliquer la différence sur le taux de survie entre les Français de confession juive et les étrangers : un tissu social plus fort, la maîtrise de la langue, l’intégration dans des cercles amicaux, professionnels, des revenus plus élevés. « Les Juifs étrangers d’immigration récente ont constitué des cibles beaucoup plus vulnérables», écrit-il d’’autant plus que Vichy livrera d’abord les étrangers de confession juive à l’occupant.
Ce qui fait l’originalité de ce livre, ce sont les multiples témoignages des survivants, ces micro-histoires au plus près des gens. Jacques Semelin fait l’analyse des multiples stratégies, tant individuelles que collectives, mises en œuvre pour échapper aux persécutions, il met à bas l’idée d’une prétendue passivité des Juifs, il montre qu’ils ont trouvé en France des personnes pour les aider, surtout à partir de 1942, et cela malgré le climat de délation qui régnait à cette époque. Il nous explique les mille et une manière qui ont permis aux Juifs de se fondre dans la population, il cite les facteurs qui se sont révélés déterminants: l’espace rural français, la zone libre jusqu’en 1942, une zone d’occupation italienne, le développement de la Résistance, le patriotisme, le rôle important des instituteurs «on ne connaît pas de refus d’inscription à l’école publique de ces enfants, quelle que soit leur origine» et la charité chrétienne, il souligne un paradoxe sur ce qu’a été la politique sociale de Vichy dont certains aspects sont en contradiction avec les politiques anti-juives : en effet, les allocations et aides aux populations sinistrés, assistance auprès des enfants, le Secours national, toutes ces aides concernent aussi les Français de confession juive, les lois n’ayant pas encore constitué la communauté juive comme détachée de la communauté nationale.
Sémelin met en parallèle aussi la situation militaire. Les plus nombreuses déportations de Juifs de France ont lieu en 1942, lorsque l’Allemagne domine militairement. L’année suivante, l’Italie perd la guerre et Vichy renonce à appliquer une loi de dénaturalisation des Français de confession juive. L’auteur démontre que la politique de collaboration suite aux protestations de l’Église catholique contre les rafles déclenche un fléchissement des déportations. Dans les faits, les Allemands sont de plus en plus contraints d’effectuer eux-mêmes les arrestations.
Sémelin met bien entendu en avant les 4  000  Justes, les «îlots de protections» qui ont été honorés comme le Chambon-sur-Lignon, Moissac, Dieulefit, ainsi que de nombreuses associations confessionnelles juives, catholiques ou protestantes, et aussi les réseaux de la Résistance.
Dans le climat actuel ce livre fait du bien, il démontre que même si Vichy avait supprimé les trois devises de la République, la Fraternité était toujours de mise en France.

Jean-Luc Ruga

Jacques Semelin , La survie des Juifs en France, 376 p. CNRS Éditions 2018, 25 €


J’avais 15 ans. Vivre, survivre, revivre

Elie Buzyn naît en 1929, à Lodz, dans une famille aisée de confession juive. D’une enfance heureuse, il tombe brutalement dans le gouffre de la Shoah avec les siens. Il a 11 ans.
Ghetto,   déportation, Auschwitz, disparition de sa famille, souffrance et peur, Marche de la mort jusqu’à Buchenwald, il survit avec opiniâtreté, soutenu par l’injonction de vivre de sa mère.
Peu rassuré en arrivant à Buchenwald, il découvre que ce n’est pas un camp d’extermination et que les détenus politiques qui ont supplanté les droits communs, traitent les jeunes dont il fait partie, avec une certaine humanité. Grâce à eux, il échappe rapidement au « Petit Camp », véritable mouroir et va devenir l’un des 400 « enfants de Buchenwald » rassemblés au block 8 du « Grand Camp ». La courageuse protection de « l’aîné du block » lui permet, ainsi qu’aux autres enfants, d’éviter l’évacuation du camp début avril.
Il a 16 ans à la libération de Buchenwald.
À travers un parcours tortueux, France, Palestine, Algérie, il va reprendre ses études et reconstruire une vie, une famille. Devenu chirurgien-orthopédiste, il se consacre à ceux que le nazisme voulait éliminer : témoins de Jéhovah, malades mentaux, personnes âgées. Comme de nombreux survivants, il se tait. Puis, un jour, il comprend qu’il est de son devoir de témoigner…
Plus qu’un témoignage sur la Déportation, c’est une leçon de courage, d’intelligence et de compassion.
Anne Furigo
Elie Buzyn, J’avais 15 ans. Vivre, survivre, revivre, ALISIO Témoignages & Documents, 18 €


Portraits de résistants dans les Pyrénées-Atlantiques

Yves Castaingts, instituteur retraité, avait, en 2015, consacré à son père, déporté à Buchenwald, un livre puisé dans les archives de cet instituteur laïc, militant socialiste, citoyen engagé tout au long de sa vie, au XXe siècle (voir Serment 355).
Le voici aujourd’hui qui trace neuf portraits de résistants des Pyrénées-Atlantiques dont il a recueilli, ces dernières années, les témoignages. Ce ne sont pas les plus célèbres de la région, les plus connus. Ce sont ceux, rencontrés en diverses occasions, mais souvent dans l’entourage familial, dont il a apprécié la fraternité, le courage, la franchise, l’humour. Parmi eux, Virgilio Pena, le Chêne d’Espejo, né en 1914, et très récemment décédé. Un déporté de Buchenwald.
De ce jeune républicain espagnol, il raconte les combats des années 1937-1938 contre la rébellion franquiste, la retirada vers la France, le 9 février 1939 et l’internement à Saint-Cyprien. En décembre 1939, Virgilio Pena intègre une Compagnie de Travailleurs Espagnols à Saint-loup-sur-Thouet, aujourd’hui Saint-Loup Lamairé, dans des Deux-Sèvres. En février 1940, il se trouve en Charente-Maritime. L’officier qui commande son chantier l’invite, en juin 1940, à prendre la fuite. Virgilio se fait embaucher à Fronsac chez un vigneron bordelais. En liaison avec d’autres Espagnols résistants à l’occupant, il entre en mars 1942 dans une entreprise de bâtiment travaillant pour la marine allemande. Il devient saboteur. Arrêté en mars 1943, incarcéré au fort du Hâ, il est transféré à Compiègne en septembre 1943 et le 17 janvier 1944 part vers Buchenwald, matricule 40843.
Le témoignage de Virgilio Pena recueilli par Yves Castaingts nous éclaire sur l’organisation de la résistance dans le camp à la veille de la libération, et son action le 11 avril. Virgilio quittera Buchenwald en juin, direction Libourne, via l’étape du Lutétia à Paris. Il est retourné à Buchenwald à trois reprises, la dernière fois en 2010. Il est mort en juillet 2016. Sa biographie figure sur le site de l’association, ainsi qu’un long témoignage.
L’ouvrage d’Yves Castaingts les complète utilement.
D. D.
Yves Castaingts, Portraits de résistants dans les Pyrénées-Atlantiques, Ed. Gascogne, 20 €


K.L.B. Journal de Buchenwald

Ce livre est un véritable reportage écrit sur place durant les 21 mois qu’a durée la déportation de Monsieur Jean Hoen.
Ce dernier, né en 1884 est un ancien combattant de la guerre de 14-18 où il a été blessé. Il arrive au camp de Buchenwald par le convoi du 3  septembre 1943 où il reçoit le matricule 20224.
Hormis un court séjour au block 10 du grand camp après une quarantaine au block 63 puis 57, il ne connaîtra que le Petit Camp.
En effet, sa condition physique et son âge feront qu’il sera affecté au Block 55 des invalides puis au 60 celui des grands invalides.
Il sera affecté un temps au Kommando intérieur du Holzoff chargé de la collecte pour alimenter en bois de chauffe le camp.
Cela lui permettra de se déplacer au sein du complexe concentrationnaire et de décrire de visu les différentes installations, il met un point d’honneur à ne décrire que ce qu’il voit et pour les autres lieux, il en fait mention qu’après en avoir obtenu la confirmation auprès de plusieurs autres déportés. Sa description concerne aussi la vie au sein du Petit Camp. Il nous décrit son évolution entre son arrivée en 43 et sa saturation en 45 avec l’arrivée des évacuations des camps de l’Est, il y dépeint les hommes, nous renseigne sur les nationalités et sur leurs travers, sur la place des Français dans le camp lui qui arrive avec les premiers convois venus de France.
Dans ses descriptions, certaines remarques sont abruptes et peuvent de nos jours être choquantes, mais elles reflètent les mentalités de l’époque et surtout les conditions d’internement.
Il prend un soin particulier à noter l’identité des Français qu’il côtoie surtout ceux qui malheureusement ne reverront pas la France.
Il nous fait partager, sans aucune concession, ses sentiments envers le traitement infligé aux dépouilles.
Il nous renseigne sur les « activités culturelles » mises en place au sein des blocks du Petit Camp.
Au travers ses écrits, il nous relate la vie de tous les jours où la faim est omniprésente.
En avril 45, il quitte le camp lors d’un convoi d’évacuation. Il réussit lors d’une pointe de reconnaissance de tanks Américains à s’enfuir avec une quinzaine de camarades.
Pour des raisons de sécurité, le groupe se scinde en deux pour se cacher des patrouilles des SS revenues après cet incident sur place.
Malheureusement, l’un des groupes sera retrouvé et exécuté le lendemain.
Ce périple au travers la campagne allemande se terminera dans la ville de Hermsdorf à la rencontre des troupes américaines.
Puis le récit nous dépeint les difficultés que le groupe rencontrera auprès des autorités militaires pour être rapatrié, celui-ci aura finalement lieu et il regagnera la France le 6 mai 1945.
Ce livre qui peut comporter quelques inexactitudes a toutefois le mérite d’avoir été écrit sur place par Monsieur Hoen au cours de ses 21 mois de détention, puis, pour les derniers chapitres, lors de son retour en France.
Cet ouvrage qui nous dépeint la vie au sein du Petit Camp est un indispensable à avoir dans sa bibliothèque.

Jean-Luc Ruga

KLB. Journal de Buchenwald de Jean Hoen, aux Presses Universitaires de France


Et pourtant je suis là

Lionel Charbin a retranscrit dans ce livre le témoignage que lui a livré son beau-père François Lefrang sur sa déportation.
François Lefrang est né le 29 octobre 1922 à Colmar, il y grandit au sein d’une famille de sept enfants.
En août 1941, il est appelé pour servir au titre du RAD (le Reichsarbeitsdienst, le service du travail du Reich). Pour y échapper, il quitte son domicile pour rejoindre, selon lui, ce qui reste de la France .
Son périple le conduit à traverser les Vosges, puis il passe en zone dite libre et s’engage dans l’Armée d’Armistice au sein du 24 RA, à Carcassonne.
En novembre 42, il est démobilisé. L’Armée d’Armistice ayant vécu, il retourne à Evian où il est accueilli dans une famille d’exilés Alsaciens réfugiés depuis l’évacuation de Strasbourg en 1939.
En février 1943, il est appelé pour le STO. Il décide pour y échapper de passer en Suisse. Ses deux tentatives seront infructueuses, étant les deux fois reconduit, après un court séjour en prison, sur la rive française du lac Léman.
Revenu à Evian, il obtient grâce à ses contacts, un nouveau passeport le rajeunissant, autre façon d’éviter le STO.
Il est embauché dans une usine qui transforme le minerai de manganèse, où il noue des contacts avec le réseau de résistance existant en son sein.
Le 1er avril 44, alors qu’il termine sa nuit de labeur, les Allemands cernent l’usine et arrêtent tous les ouvriers présents.
Il est emprisonné à Annecy. Le 10 avril, il est envoyé à Compiègne. Puis le 12 mai, c’est le départ pour Buchenwald où il reçoit le matricule 49888. Le 6 juin, après sa quarantaine au Petit Camp, il est transféré au Kommando d’Ellrich Théâtre. Il y reste jusqu’au 17 juillet puis est muté au Kommando de Gunzerode, une ancienne bergerie transformée en camp, pour y construire une ligne de chemin de fer. En avril 45, c’est l’évacuation du Kommando, retour à Ellrich qui est entièrement vide car déjà évacué. Après une halte de 2 jours, c’est un nouveau départ. Il profite du passage d’un avion allié qui sème la panique au sein de la colonne, mais surtout auprès des gardiens pour s’échapper avec deux autres Français.
C’est un périple à travers les bois et les champs pour éviter de mauvaises rencontres. Ils retournent en direction d’Ellrich et découvrent la ville pavoisée de draps blancs à toutes les fenêtres et occupée par les Américains.
Puis Dora où une cellule de rapatriement a été créée. De là, ils sont emmenés en camion à l’aérodrome de Nordhausen pour embarquer dans un Dakota direction Le Bourget. Il regagne Colmar en train et arrive chez lui le 12 avril 1945.
Ce récit a la particularité de nous faire connaître les conditions d’existence au sein des Kommandos d’Ellrich Théâtre et de Gunzerode, mais surtout la détermination d’un jeune homme de 17 ans qui n’a pas hésité à quitter sa famille pour montrer aux Allemands que la jeunesse alsacienne ne leur était pas soumise.
Jean-Luc RUGA

Et pourtant je suis là de Lionel Charbin, Jérôme Do Bentziger, 22€

Article paru dans Le Serment N°370


L’Espérance d’un baiser

Ancien résistant, déporté à Auschwitz, Raphaël Esrail est depuis 1990 secrétaire général de l’Amicale  d’Auschwitz, puis président. L’Amicale deviendra, au début des années 2000, l’Union des déportés d’Auschwitz.  Raphaël Esrail est à l’origine de nombreux projets : enregistrement de témoignages,  voyages d’étude, édition du DVD-rom Mémoire Demain et création du site internet « Mémoires des déportations », en 2017. Ce site, fondamental, permet d’embrasser l’histoire de tous les camps de concentration, dont Buchenwald évidemment. De nombreux déportés, anciens de Buchenwald, ont participé à ce travail par leurs témoignages. Véronique de Demandolx, fille de Bertrand Herz, a été un membre actif de l’équipe qui a travaillé à ce projet. Raphaël Esrail est aussi vice-président du Comité international d’Auschwitz. Le témoignage reste pour lui un acte éducatif et un enseignement indispensable. Son dernier combat est la création d’un musée à Birkenau, pour retracer l’histoire du génocide dans le site où il a eu lieu, ce que ne retrace pas le musée d’État d’Auschwitz.
Né en 1925, en Turquie, d’un père turc venu s’installer à Lyon avec sa famille dans un modeste commerce de bonneterie, Raphaël découvre, à l’adolescence, l’existence des Éclaireurs israélites de France et trouve dans le scoutisme « un lieu essentiel de vie, d’éducation et de rencontres. » Ses parents, juifs, sont peu pratiquants mais son père fréquente la synagogue. La période 1939-1943 sera celle de la déclaration de guerre et son entrée dans la Résistance. La zone libre est occupée en 1942, les Allemands sont partout et les persécutions juives se déchaînent en région Rhône-Alpes, surtout à l’égard des Juifs étrangers. Raphaël s’engage dans le mouvement de résistance des Éclaireurs israélites. En 1943, il intègre l’École Centrale de Lyon mais il écrit : « mon esprit est entièrement tourné vers la guerre. » Raphaël se lance dans la fabrication et l’acheminement de faux papiers, principalement pour des Juifs, jusqu’au 8 janvier 1944, date à laquelle il est arrêté par la milice de Lyon, qui le remet à la Gestapo. Torturé, il est incarcéré à la prison Montluc et arrive, le 26 janvier 1944, au camp de Drancy. C’est là qu’il fait la connaissance de Henri Badour, 17 ans, et de son jeune frère René, 13 ans. Ils sont catholiques, mais élevés par leurs grands-parents maternels, qui sont juifs. Ils ont été arrêtés à Biarritz par la Feldgendarmerie (police allemande) avec leur sœur, Liliane, 19 ans. Raphaël tombe amoureux de Liliane.
Après un « voyage » de trois jours, son convoi arrive à Auschwitz, où il est sélectionné pour le travail forcé. Raphaël raconte l’arrivée au camp, l’appel, et parallèlement, Liliane raconte son arrivée à Birkenau et sa séparation d’avec ses frères, qu’elle ne reverra pas. Elle apprendra, peu de temps après, qu’ils ont été gazés, sans y croire au début. Liliane va travailler dans un AussenKommando, à l’extérieur, à des tâches de terrassement et Raphaël est affecté à l’usine Union Werke. Pris en grippe par un nazi, il se retrouve au déchargement de barres de fer puis, heureusement, à l’outillage comme aide-tourneur. Liliane échappe à une sélection au Revier.
Raphaël parvient à établir un contact avec Liliane, grâce à une certaine Fanny et à la faire intégrer à l’Union Werke, après l’intervention d’un ingénieur juif de l’usine. Raphaël va travailler pour le Kommando de nuit de l’usine, ce qui le fera bénéficier de conditions de vie plus favorables.
Auschwitz est évacué. Raphaël commence alors une « marche de la mort » jusqu’à Gross Rosen et Liliane, malade, quitte le Revier pour rejoindre ses camarades dans la crainte d’un assassinat collectif. Reparti de Gross Rosen en train, Raphaël fait une tentative d’évasion avec un ami. Celui-ci sera fusillé et Raphaël remis dans le train pour Dachau. Après Dachau, il se retrouve dans le Kommando Mühldorf – Ampfing puis dans un Kommando qui travaille sur les voies ferrées . Il est malade de la dysenterie. Le 25 avril, il repart pour une destination inconnue, dans un train qui sera mitraillé plusieurs fois par les alliés. « La faim et la soif sont lancinantes » écrit-il. Il est libéré le 1er mai 1945 en gare de Tutzing.
Puis ce sera le retour en France, où il retrouvera sa famille. Le silence s’installe autour de son passé.
La déportation l’a considérablement marqué. Il retrouve Liliane, qui lui raconte son passage par Ravensbrück. Ils se marient en janvier 1948. Il mettra dix ans à obtenir le titre de déporté résistant et Liliane 6 ans pour récupérer un bien dont elle a été spoliée à cause des lois antijuives du gouvernement de Vichy.
À la fin de son livre, Raphaël Esrail raconte sa vie professionnelle, notamment à la tête d’une école de métiers de Gaz de France. Il aime la formation des jeunes, qui l’aide à se reconstruire. Il devient chef des services généraux des écoles de formation d’Électricité et de Gaz de France et finit sa carrière en 1988, comme chef de centre chargé de mission à la direction générale de Gaz de France.
Le temps de la retraite les incite, Liliane et lui, à retrouver le monde de la Déportation.
Jeanne OZBOLT
Raphaël Esrail, L’espérance d’un baiser : le témoignage de l’un des derniers survivants d’Auschwitz. Éditions Robert Laffont, Paris, 2017

Article paru dans Le Serment N°370


L’Oublié de Dora

Ce livre, c’est d’abord l’histoire d’une famille, les « Lacroix ». Le père, Adrien, mobilisé en 1914, rescapé des grandes batailles de la Première Guerre mondiale, survivra à ces quatre années de guerre sans avoir aucune nouvelle de sa famille restée en territoire occupé par « l’ennemi ». Adrien est un homme empreint de valeurs morales et patriotiques qu’il transmettra à son fils Bernard.
Celui-ci naît en 1920, en région parisienne, dans une famille aimante et chaleureuse. L’enfant poursuit une scolarité au parcours sans faille, obtient son baccalauréat en 1939 et, à l’automne, entre à l’école d’électricité et de mécanique industrielle à Paris. Mais, bientôt, l’existence de chacun sera bouleversée par l’Histoire.
En 1943, Bernard refuse d’être incorporé dans le STO et part avec Jacques, un ami, en direction du sud de la France. Leur plan : trouver une filière pour passer la frontière espagnole, puis Gibraltar pour rallier les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle. Mais leur route s’arrêtera sur un chemin de montagne dans les Pyrénées où ils seront arrêtés par une patrouille allemande.
Transférés à la prison Saint Michel à Toulouse, questionnés, torturés, les deux jeunes hommes sont transférés au camp de Royallieu à Compiègne. Bernard et Jacques sont du premier convoi qui part vers Buchenwald le 25 juin. Quelque temps plus tard, Bernard est « sélectionné » pour travailler à Peenemünde au bord de la mer Baltique dans une usine secrète destinée à la fabrication des futurs missiles V1 et V2. En octobre, après une série de bombardements alliés sur le site, les prisonniers – dont Bernard – repartent pour Buchenwald puis pour le nouveau camp de Dora, « L’Enfer de Dora ».
En avril 1945, devant l’avance des armées alliées, le Kommando d’Ilfeld, où Bernard a été affecté entre temps, est évacué par une « marche forcée » en direction du nord-ouest. «  Affamés, à bout de forces, chaussés de sabots, habillés de haillons, les détenus doivent marcher sur des kilomètres. Mais renoncer à marcher c’est la mort assurée ». La mort, toujours omniprésente, puisque la route les conduit à Gardelegen où plus de 1 000  déportés seront assassinés, entassés dans un hangar livré aux flammes.
À quel endroit exact est mort Bernard ? On ne le sait pas. Sa trace se perd sur cette « Marche de la mort », au milieu de ses compagnons d’infortune.
Le destin de Bernard Lacroix, ce jeune Français déporté en Allemagne pour avoir refusé le STO, nous est raconté par son petit neveu qui est lui-même parti en Allemagne, 70 ans après les faits, pour retrouver les traces du disparu et sauvegarder sa mémoire.
Un livre émouvant contre l’oubli.
Violetta Mainar
David Clair, L’Oublié de Dora, – L’Harmattan

Article paru dans Le Serment N°370


André Verdet, poèmes de Buchenwaldchoisis par Marie-France Reboul (CD) (16 €)

La Lutte contre la déshumanisation, par Boris TASLITZKY – 69022

L’idée de donner un festival de poésie française allant de Charles d’Orléans aux poètes de la Résistance, est née de nos discussions à la table 2 du bloc 34. Sa réalisation se heurtait à bien des difficultés pratiques. Nous devions en informer la Direction Clandestine, ce qui se faisait par l’intermédiaire d’agents de liaison et demandait beaucoup de temps, puis il fallait prendre de multiples contacts afin de trouver qui savait par coeur et pouvait dire tels ou tels poèmes, organiser l’ordre chronologique du déroulement de la séance, lutter contre le refus de camarades qui pensaient inutile cette festivité s’adressant à des hommes épuisés de fatigue, de faim et de froid. La séance fut un succès et c’est debout que spontanément nos camarades ont écouté les derniers poèmes, ceux de la Résistance, dans le Flugel A du Block 34 (1).

Alors l’idée a germé de procéder à un concours de poésie écrite dans le camp. C’est dans les Waschraum (salle d’eau) que nous nous rencontrions pour en étudier les modalités pratiques. C’était le lieu le plus commode et le mieux secret, qui ne sentait pas plus mauvais que le camp lui‑même et avait l’avantage d’être franchement ce qu’il était. C’est parmi nos camarades accroupis que s’élaboraient nos projets culturels et parfois nous rêvions à ce que serait la Culture de notre peuple libéré. Nous y avons eu des discussions passionnées, parfois orageuses, des confrontations d’écoles et de tendances sous le regard pénétrant de Julien Cain, directeur de la Bibliothèque Nationale, qui souvent assistait à nos débats avec un calme olympien. Le petit comité de lecture reçut un nombre impressionnant de poèmes de toutes sortes, de diverses qualités, tous émouvants et souvent maladroits et quelques‑uns fort beaux. Ce fut Jean GANDRAY‑RETY qui remporta le prix. Symbolique évidemment. Et il vint lire son grand poème dédié à la France lors de la séance qui clôtura le concours, un dimanche soir, avant l’appel au Bloc 34.

Parallèlement à ces activités d’ordre général bien d’autres s’effectuèrent qui eurent pour auditeurs des publics beaucoup plus restreints. Pineau parla de la poésie de Valéry à notre table. J’y fis une conférence sur l’évolution de la peinture en France au travers des siècles. Il nous arrivait durant les longues heures passées debout sur la Place d’Appel, dans le vent glacé, de parler des destinées possibles de la Culture avec un, deux camarades. Pour certains ce fut l’éveil à des activités humaines qui jusqu’alors leur avaient été étrangères

Pris dans l’action collective de la Résistance, jamais nous n’avons cessé d’être des intellectuels, des artistes, et nous avons assumé en tant que tels nos obligations politiques et militaires, sans renoncer d’être ce que nous étions par formation, par éducation, par choix et par goût.

1 L’aile A du bloc 34 , bloc situé dans le grand camp a coté du fameux arbre de Goethe, accueille, à partir de janvier 1934 plus de 400 déportés français. Ils parviennent à former un groupe extrêmement solidaire et à créer les conditions les plus favorables à la survie de leur groupe : partage de la nourriture, organisations d’activités intellectuelles et manifestations culturelles.


Camps et Déportation : nouvelles recherches

Le numéro 10 de la revue trimestrielle En Jeu, que publie la Fondation pour la Mémoire de la Déportation propose des éclairages nouveaux sur les camps nazis, leur rôle et leur fonctionnement, les logiques de répression et de persécution qui y conduisirent des centaines de milliers d’hommes et de femmes et des aspects de leurs mémoires. C’est un bon numéro. Il permet de prendre connaissance de la fécondité des recherches récentes ou en cours sur le système concentrationnaire, recherches auxquelles notre association prend sa part et dont elle a accompagné ou accompagne encore les auteurs. Recherches dont toutes les thématiques concernent Buchenwald et ses kommandos, même si le camp et ses satellites ne sont pas le sujet en lui-même.
Deux articles méritent une attention particulière, qui ne dévaluent en rien la teneur et la tenue des autres contributions. Le premier est du à Laurent Thiery, bien connu de notre Association et qui dirige à La Coupole, le projet de dictionnaire biographique des détenus de Mittelbau-Dora. Il concerne un convoi d’inaptes au travail – et parmi eux 500 Français, partis de Dora le 6 mars 1945 vers Bergen-Belsen. L’étude de Laurent Thiery part des premières connaissances péniblement acquises par les familles des détenus dès 1946 pour aboutir, après un travail contemporain sur archives et témoignages, à une connaissance plus exacte du sort dramatique des 2 252 déportés du convoi.
Le second article est signé Thomas Fontaine, aujourd’hui directeur du Musée de la Résistance nationale de Champigny, mais le sujet traité n’a pas de lien direct avec cette fonction. Il s’agit ici d’une analyse de la généalogie du Mémorial national de la Déportation et de sa nécropole nationale installés sur le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Ce haut lieu de la Déportation résistante est, pour Thomas Fontaine, le résultat d’actions de mémoires de groupes à vocation militante bien plus que d’une volonté étatique. Si les associations d’anciens déportés, notamment celles proches de la sphère communiste, ont appuyé pour que le camp deviennent un site classé aux monuments historiques, ce sont essentiellement les associations de la sphère opposée – « les plus proches du pouvoir » dit Fontaine, qui ont obtenu que le Struthof devienne un lieu de commémoration de la déportation résistante « bien plus sans doute que dans l’image véhiculée du camp de Buchenwald » écrit Fontaine. On laissera au lecteur le soin de lire les conclusions de l’auteur sur le site du Struthof comme lieu mémoriel, conclusions qu’il caractérise lui-même de peu positives.
Dominique Durand

Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Nouvelles recherches sur les déportations et les camps, revue En Jeu numéro 10, Décembre 2017, 130 pages, Presses Universitaires du Septentrion, 17 €


L’Évacuation de Langenstein-Zwieberge

Un premier groupe de 28 détenus de Buchenwald arrive à Langenstein le 21 avril 1944. De mai 1944 à avril 1945 près de 7 000 détenus de 23 pays, dont un millier de Français, y creuseront dans la colline Thekenberge un réseau de galeries d’une superficie de 67 000 m2 destinées à abriter des ateliers de production de pièces d’avions. Leur travail s’effectuera dans des conditions extrêmes, le bilan sera lourd. Parmi les disparus, on compte 454 des 953 Français de ce kommando nommé Malachit, au sud de la ville de Halberstadt. Jean-Pierre Valantin et Nicolas Bertrand, l’actuel directeur du Mémorial de Langenstein, viennent de consacrer un ouvrage bilingue allemand-français aux marches de la mort des détenus du camp.
Celui-ci est évacué le 9 avril 1945. Le travail s’est arrêté le 5 au soir et les détenus ont imaginé le pire et le meilleur quand les avions alliés ont bombardé Halberstadt et survolé le camp. Le 9 avril, ceux qui ne peuvent prendre la route sont regroupés dans l’infirmerie, les autres réunis en 6 colonnes de 500 détenus. Le récit s’appuie sur de très nombreux témoignages, dont ceux, déjà anciens, de Paul Le Goupil, Georges Petit et Louis Bertrand. Les auteurs reconstituent de façon précise et vivante le déroulement de l’évacuation ainsi que les itinéraires des différentes colonnes. La construction thématique du texte (rapports avec les gardiens, solidarité et lutte pour la survie, etc.) permet d’appréhender pleinement les conditions de leurs avancées. Une grande partie des détenus va mourir d’épuisement ou exécutée par les gardes SS.
Une carte précise les itinéraires suivis entre les lignes de front américaines et soviétiques.
Edité sous les auspices de la Fondation des mémoriaux de Saxe-Anhalt, cet ouvrage affirme le travail de mémoire mené en Allemagne sur le nazisme et le système concentrationnaire. Il complète utilement la connaissance encore parcellaire des 139 kommandos de Buchenwald.

Jean-Pierre Valantin et Nicolas Bertrand, La marche de la mort des détenus du camp de concentration de Langenstein-Zwieberge, 90 pages, Mitteldeutscher Verlag, Halle (Saale) 2018, 12€


La famille BaIocchi

Alors qu’il vient d’accompagner à Buchenwald un groupe important d’élèves de Première du lycée Antoine de Saint-Exupéry à Lyon, notre ami Roland Beaulaygue, Président de l’AFMD du Rhône et neveu d’un déporté à Buchenwald, publie aux Editions Sainte-Clotilde l’Histoire de la famille Baiocchi, et plus particulièrement celle de l’un de ses oncles, Roland, et de l’un de ses grands-pères, Ernesto, immigré antifasciste italien en France. Le premier est mort à Ohrdruf, le second à Dachau.
Ernesto, son épouse et leurs enfants, dont Valéria, née en 1921, ont quitté l’Italie en 1923 et ont refait leur vie à Saint-Etienne. Roland Beaulaygue raconte simplement la vie dure, les enfants qui grandissent, se marient, le père qui part dans les brigades internationales, revient et dès août 1940 fait ses premiers actes de résistance. Il est arrêté en septembre 1943 et conduit au camp du Vernet. Il sera l’un des Résistants du train fantôme et partagera le sort de Guido, conté par Guy Scarpetta dans son ouvrage éponyme, avant que l’odyssée de ce train ne fasse l’objet du film de Jorge Amat. Ernest est mort à Dachau en février 1945.
Roland, son fils, maquisard dans la région d’Yssingeaux, est arrêté en avril 1944, envoyé à Compiègne en juin, puis à Dachau par le convoi du 18 juin celui que l’on appellera le « train de la mort ». Il n’y arrivera que le 5 juillet. En décembre 1944, il est transféré à Buchenwald puis Ohrdruf où il meurt en février 1945. En s’appuyant sur des témoignages, celui de Jacques Moalic notamment, et différents ouvrages, en ayant obtenu des documents administratifs, Roland Beaulaygue parvient à dessiner avec précision le calvaire de son oncle à Ohrdruf. Son enquête est scrupuleuse. Elle sait mettre en doute des récits, des souvenirs. Roland a–t-il revu son père à Dachau ?
Le fils de Valeria et de Baptiste, un jeune communiste qu’elle a épousé en octobre 1940, dresse dans ce livre de beaux portraits de sa famille, de beaux portraits de résistants, et dit en conclusion que personne n’a oublié la lutte pour la démocratie.

Roland Beaulaygue, Histoire de la famille Baiocchi, 169 pages, Editions Sainte Clotilde, Rillieux-le-pape, 25€


Auschwitz-Buchenwald-Flossenbürg

Ce récit nous plonge dans la vie d’un jeune garçon d’une dizaine d’années admiratif de son père qui a connu la déportation au travers de 3 camps tristement célèbres Auschwitz, Buchenwald et Flossenbürg.
Nous sommes dans les années 1950 dans une cité ouvrière située dans l’Est de la France. Nous découvrons ou – pour les plus âgés, nous replongeons – dans l’ambiance qui régnait à cette époque en famille. Le jeune Jean-Jacques, fils aîné d’une fratrie de 4 enfants nous fait partager ses activités après la classe, les visites aux grands-parents paternels qui aident financièrement à finir le mois, les veillées devant le poste de TSF, ainsi que sa vie à la maison avec sa mère, son père étant souvent absent, depuis son retour de déportation, suite aux nombreuses hospitalisations suivies de séjours en maison de repos.
Il nous fait vivre la préparation du noël 1953 pour lequel, grâce aux timbres ristournes collectés à la coop, sa mère a préparé un réveillon comme jamais il n’en avait connu, son père participant à cette préparation, en préparant des croquants. Mais une fièvre en fin d’après-midi nécessite son hospitalisation.
Puis il aborde le moment où son père lui demande de l’aider à transcrire le récit de sa déportation, récit qu’il avait tant entendu raconter lors des visites à la maison d’anciens déportés. Ces anciens déportés, «mes frères», pour reprendre l’expression de son père, dont, malgré la pauvreté du ménage, il a tenu à fleurir leurs tombes jusqu’à son propre décès.
Jean-Jacques est allé acheter un cahier épais à spirale avec une couverture verte. Il y calligraphie le récit de son père auparavant recueilli sur du papier brouillon récupéré dans un vieux registre jauni. Une véritable cérémonie qui se tient quand il a fini ses devoirs, le «beau cahier» qu’il tend fièrement le soir à son père pour une relecture.
Ce récit nous permet de connaître le parcours de Jean qui, pour échapper au STO, décide avec un copain de rejoindre le maquis du Vercors. Arrêté par les miliciens, ce sera Montluc puis Compiègne et le départ le 27 avril 1944 vers Auschwitz par le fameux convoi des Tatoués.
Le tatoué 183363 est envoyé à Buchenwald le 14 mai, puis le 24 mai vers Flossenbürg où il deviendra le 10162.
Il sera affecté le 17 juin 1944 au «kommando de la gare» après une période de quarantaine où il connaîtra les travaux de terrassement .
Cette affectation nous permet de découvrir la nature des «marchandises» qui arrivaient au camp, charbon, vêtements, machines-outils, nourriture, mais aussi tous les convois d’évacuations des camps de l’Est dont il nous décrit en détail l’état dans lequel il les découvre.
Evacué le 20 avril 1945, affublé d’un nouveau matricule ce qui rendra impossible l’identification des victimes, il rencontre dans la région de Cham, en forêt bavaroise, les troupes américaines et retrouvera le sol de France le 9 mai 1945.
La dernière partie de cet ouvrage est le résultat des investigations entreprises par l’auteur qui nous renseigne sur le fonctionnement du camp de Flossenbürg et de ses nombreux kommandos, sur les différentes marches de la mort, mais aussi sur les sentences émises lors des procès des SS et des kapos qui ont sévi dans ce camp et ses satellites.
Ce livre, qui nous replonge dans les années 1950, nous permet de partager le parcours d’un jeune enfant d’une dizaine d’années qui découvre les horreurs qu’a connu son papa puis l’homme qu’il est devenu et qui continue le travail de mémoire entrepris par son père.
Jean-Luc Ruga

Jean-Jacques Rousseaux, Mon père me raconte : Auschwitz-Buchenwald-Flossenbürg, 340 pages, Edilivre, 34€50


Crimes hitlériens

Ce livre retrace les péripéties qu’a connues le Service d’information des crimes de guerre, organisateur de cette exposition programmée toute de suite après la fin des hostilités , qui sera qualifié de « Musée des Horreurs » par le journal L’Humanité.
Ce récit nous permet de nous plonger dans l’atmosphère qui régnait dans la France libérée puis tout de suite après la capitulation de l’Allemagne.
Initialement prévue en décembre 1944, elle devait être le pendant de celle organisée par le Gouvernement Provisoire d’Alger en mai 1944 et devait traiter uniquement des crimes commis par l’occupant sur le territoire national, en effet des doutes avaient été émis pour savoir s’il convenait de faire état à cette date des atrocités commis en Allemagne car cela pouvait nuire aux négociations sur le retour des prisonniers et des déportés en compromettant leur sécurité et la vie des exilés et causés des tourments aux familles de déportés.
Ajournée une nouvelle fois en février 1945, ce sont les premiers reportages fait par les autorités américaines traitant de la libération des camps – dont celle d’Ohrdurf en avril 1945 – qui débloquera la situation, bien qu’en France, le ministre Henry Frénay, pour ne pas affoler les familles, demande lors de la diffusion de ne pas mentionner le nom et la localisation précise du camp.
L’exposition aura connu plusieurs titres « Crimes Allemands », « Crimes Nazis », pour retenir celui de « Crimes Hitlériens ». Elle comportait cinq sections : les Prisonniers de guerre et Travailleurs déportés civil, les Internés et Déportés politiques, les Déportés raciaux, les massacres en France, les Fusillés.
Elle aura lieu du 10 juin au 10 aout 1945 au Grand Palais à Paris où elle accueillera plus de 500 000 visiteurs puis dans toute la France où plus de 300 000 personnes s’y rendront.
Elle sera présentée également dans différentes capitales européennes telles que Prague et Vienne. Elle devait avoir lieu à Berlin, mais un refus d’utilisation de locaux dans cette capitale par les autorités américaines fit avorter le projet car dès 1946, les Anglo-américains étaient déjà plus tournés dans une stratégie d’endiguement du communiste en Europe.
Elle fut néanmoins présenter dans la ZFO ( Zone d’Occupation Française) sous le titre « Hitlers Verbrechen ».
Refusée également à Nuremberg par les autorités américaines bien que certains panneaux furent présentés lors du procès.
Enfin ,elle connaitra une seconde vie sous une forme plus réduite entre les mains par la FNDIRP.
Ce livre permet aux générations de l’après guerre de connaitre le climat et les préoccupations qui régnaient toute de suite après la fin des hostilités et la découverte des atrocités commises outre-Rhin.
Un véritable voyage dans le temps à surtout ne pas manquer.
Jean-Luc Ruga


Georges Despaux à Buchenwald. Des dessins pour l’histoire

Georges Despaux (1906-1969), résistant, vit au Pays basque avec sa famille. Arrêté à Bayonne le 1er février 1944, il est interné à Compiègne, de février à avril 1944. Il est du « convoi des tatoués », celui du 27 avril 1944, qui arrive à Auschwitz le 30 avril 1944. Les survivants repartent pour Buchenwald le 12 mai 1944 et arrivent le 14 mai dans le camp. Il y reçoit le matricule 53547 et le triangle rouge. Il reste dans le Petit camp (Blocks 57 puis 55), avec les invalides légers, car il souffre des séquelles d’une polio contractée dans son enfance, ce qui ne l’empêche pas d’être affecté au Kommando intérieur Holzhof (travail léger des bûcherons). Il sera aussi « photo-mécanicien » au laboratoire photographique des SS.
C’est au Petit camp qu’il rencontre Henri Vanmolkot, médecin belge, affecté au Revier. Une grande amitié va naître. A leur retour de déportation, en avril 1945, ils ne se revoient pas tout de suite, mais dans les années 1960, Georges reprend contact avec Henri. Il fera de fréquents séjours à Bruxelles, où il peint, sculpte, et joue avec les 6 enfants de la famille Vanmolkot. On ne parle pas de déportation mais l’expérience vécue ensemble à Buchenwald est un profond lien entre eux. C’est à cette époque que Georges donne à son ami Henri 180 dessins qu’il a réalisés au camp. Après la mort de ses parents, Rik Vanmolkot, se lance dans des recherches sur le passé de Georges et Henri au camp. En 1999, le Mémorial de Buchenwald, dans le cadre de Weimar, capitale de la culture, présente une exposition Leben Terror Geist, qui évoque 73 artistes et intellectuels de Buchenwald, et y inclut Georges Despaux. Une autre exposition, l’énigme Georges Despaux, en 2006, couronnera les recherches de Rik Vanmolkot.
A l’instigation de notre association, les portraits réalisés par Georges Despaux à Buchenwald en 1944-45 ont fait l’objet, en 2010, d’une exposition au Mémorial de Compiègne et, en 2016, au Bureau d’information en France du Parlement européen, en présence de Rik Vanmolkot.

L’ouvrage Georges Despaux à Buchenwald, des dessins pour l’histoire, aux Éditions Cairn, 2017, pour lequel la famille Vanmolkot a autorisé la reproduction des dessins, est un extraordinaire témoignage de l’horreur concentrationnaire. Cet ensemble a été produit dans la clandestinité par Georges Despaux, et au péril de sa vie. Comme d’autres artistes, il parvient à récupérer des feuilles de documents administratifs, du papier photographique et le minimum nécessaire pour dessiner. Dans l’univers du Petit camp, où les conditions de vie sont les pires, il dessine des portraits de ses camarades (une centaine), des scènes de la vie du camp et à l’intérieur des Blocks, des dessins d’animaux, des vues d’installations et de bâtiments, des croquis de mémoire et d’imagination. Il passe de l’esquisse au dessin plus abouti. Au moyen de traits et de hachures, il donne des détails vestimentaires, des gestes, des attitudes. Il utilise des mines de graphite, de l’encre brune. Ses dessins sont parfois rassurants quand il s’agit de représenter des moments de repos, mais terribles quand il dessine des visages décharnés ou moribonds, des entassements de cadavres, des « musulman »s ou les latrines par exemple. Acte de résistance ? Volonté de témoigner ? Moyen de triompher de la mort ? Dimension éthique ? Dérivatif où puiser de la force morale ? Dépassement de la souffrance ? La question se pose à propos des nombreux artistes qui ont dessiné à Buchenwald. De retour du camp, Georges Despaux a souvent repris sur ses dessins des traits fins de crayon pour les repasser à l’encre. Voulait-il revenir sur la tragédie vécue ou sauvegarder ses œuvres pour nous les transmettre ?
Cet ouvrage a été publié sous la direction de Laurent Jalabert, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Pau et des pays de l’Adour.
Avant-propos et histoire du camp, par Laurent Jalabert, suivis d’une biographie par Philippe Chareyre, professeur d’histoire moderne, d’un article de Rik Vanmolkot, fils d’Henri (ami et dépositaire des dessins de Georges Despaux), et d’un article de Sabine Forero Mendoza, professeure d’esthétique et d’histoire de l’art.

Georges Despaux à Buchenwald, Des dessins pour l’histoire, Éditions Cairn, 2017


Le Réseau Papillon

« Le Réseau Papillon » est une bande dessinée qui relate les aventures de quatre enfants en Normandie, qui participent à leur façon aux combats contre l’occupant. Le détournement par l’armée allemande de nombreuses œuvres d’art en direction de l’Allemagne est le sujet de ce Tome 1.
Le dessin est très lumineux, le scénario bien rythmé.
C’est un bel ouvrage pour aborder ce sujet avec un jeune public.


Par où passe l’aiguille

Véronique Mougin a fait de son cousin, jeune juif hongrois, déporté à Dora (matricule 55789), le héros de son roman Où passe l’aiguille. Tomi a 14 ans quand il est arrêté avec toute sa famille dans sa petite ville natale de Beregszasz en Hongrie, où la persécution des juifs a été très lourde. Sur le quai d’Auschwitz-Birkenau, son père et lui sont séparés de sa mère et de son jeune frère. Ils ne les reverront jamais. Tomi et son père sont emmenés en train jusqu’à Buchenwald, en juin 1944, puis à Dora. Son père est tailleur, métier qui lui sauvera la vie quand les Allemands, auront besoin de tailleurs professionnels. A Dora, Tomi apprendra à coudre (ce qu’il avait toujours refusé de faire avec son père), en observant les tailleurs du Block 5, où il a réussi à se faire embaucher pour réparer les vêtements rayés. Son tempérament débrouillard, ingénieux, intelligent, têtu, qu’il avait dès son plus jeune âge, lui permettra de se tirer de nombreuses situations périlleuses. Lui aussi sera sauvé. Tomi retrouvera son père, dont il avait été séparé, en avril 1945 à Bergen Belsen. Après la libération, ils tentent de retrouver leur maison à Beregszasz (désormais en Ukraine), mais celle-ci a été complètement pillée et dévalisée.
En 1947, nous les retrouvons tous deux, installés à Paris, et travaillant dans des ateliers de couture. Grâce à une association philanthropique juive, Tomi bénéficiera d’une formation à la haute couture, ce qui lui assurera un brillant avenir dans une maison de haute couture internationale à Paris. Il va aussi connaître l’amour, le mariage, les enfants. Il n’a jamais répondu à aucune sollicitation concernant sa déportation, mais un jour, il a quand même accepté de raconter son histoire à sa jeune cousine, qui en a fait ce livre. Les fantômes des êtres chers perdus reviennent le hanter. « Les gens normaux éprouvent rarement la simple joie de vivre. L’existence leur est naturelle, jamais ils ne sentent la fumée du crématoire ni n’entendent le bruit de la gamelle, jamais ils n’aperçoivent leurs morts. Moi, je sens le camp, je l’entends, j’entre malgré moi dans le boyau noir du souvenir mais quand j’en sors, le bonheur d’être en vie se jette sur moi, il m’emplit, il m’étouffe. » C’est ce que l’auteure fait dire à Tomi à la fin de l’ouvrage.
Véronique Mougin nous a dressé un portrait tout à fait réussi du personnage de son cousin, haut en couleurs, animé d’une furieuse volonté de vivre.
Ce livre est remarquable parce que le style de Véronique Mougin, alerte et vif, léger aussi et grave dans les moments dramatiques, s’accorde complètement avec le caractère de son héros. On n’est pas dans le pathos, mais dans la force intérieure, l’énergie, l’humour aussi. Les phrases sont courtes, incisives, les chapitres aussi, il n’y a pas de fioritures. A la fin de chaque chapitre où Tomi s’exprime à la première personne, les autres personnages parlent aussi (ils apparaissent en italiques), ce qui permet de voir le héros avec plus de distance et les événements avec un autre regard. Et quand on lit cette histoire, on comprend tout à fait que Tomi avait le profil exact de ceux qui s’en sont sortis. L’auteure a très bien intégré toutes les composantes de l’histoire de la Déportation. Elle est tellement bien entrée dans la peau de son personnage qu’elle a fait le voyage (sans lui, qui a refusé de venir) à Buchenwald et Dora en 2015, pour mieux s’imprégner de l’atmosphère des camps et se rapprocher, par là-même, de l’expérience terrible et des épreuves qu’il a endurées.
C’est un très beau livre, touchant, parfois dramatique, mais entièrement tourné vers la vie et l’espoir. Destin tout à fait extraordinaire que celui de Tomi, qui continue aujourd’hui, malgré son grand âge, à pédaler une heure par jour sur son vélo !
Jeanne Oszbolt

Par où passe l’aiguille, de Jeanne Mougin, Éditions Flammarion


Jorge Semprun Entre résistance et résilience

Psychologue   clinicienne,   Corinne Benestroff, a soutenu sa thèse « Résistance et résilience dans l’œuvre de Jorge Semprun », en 2013 à l’Université Paris VIII, devant un jury présidé par M. Serban Ionescu, Professeur émérite de psychologie clinique à Paris VIII et à Montréal, psychiatre de formation. Le jury comprenait également Françoise Nicoladzé, la première en France à avoir consacré une thèse à Semprun en 1996, éditée sous le titre «La deuxième vie de Jorge Semprun. Une écriture tressée aux spirales de l’histoire». Elle a obtenu un double doctorat, en littérature comparée et en psychologie clinique, ce qui est exceptionnel, avec les félicitations du jury.

La triple dimension d’une recherche transdisciplinaire de très haut niveau

La double formation de Corinne Benestroff, en littérature et en psychologie clinique, lui permet de lire l’œuvre de Semprun à partir de la notion de résilience, qui ne se réduit pas chez Semprun à un dépassement des expériences traumatiques, mais implique la désobéissance et la transgression. Le jury de thèse avait été impressionné par la triple dimension de l’étude, psychologique, littéraire et historique, soulignant « le goût de la candidate pour l’archive », qui « l’a conduite à enrichir son propos de nombreux documents photographiques, d’entretiens avec des vivants et des survivants qui donnent de l’épaisseur historique à son propos, qui placent l’homme et l’oeuvre dans leur contexte et constituent un matériau précieux. »
L’ouvrage publié aujourd’hui est issu de cette thèse. Les trente pages de la bibliographie montrent à quel point la démarche de l’auteur est pluridisciplinaire : son classement thématique aborde l’œuvre de Semprun, la littérature et la critique littéraire ; la psychanalyse, la psychiatrie et la psychologie ; l’histoire de l’Occupation et de la Résistance française ; la philosophie, la sociologie et l’anthropologie ; la physiologie et la neurologie. C’est un ouvrage difficile, impressionnant par son érudition, fort bien écrit, et construit de manière profondément pensée. Il concerne l’historien dans la mesure où Semprun s’est engagé en 1942 dans la résistance communiste, a été arrêté dans l’Yonne en 1943, et déporté à Buchenwald.
Corinne Benestroff a été lauréate du prix Marcel Paul en 2009 et du prix Fondation Auschwitz-Jacques Rozenberg en 2014 ; elle est reconnue aujourd’hui comme une spécialiste de l’histoire et de la mémoire de la Déportation. La mémoire du camp et la difficulté à témoigner est au cœur de l’œuvre.
La connaissance préalable de l’œuvre de Semprun est indispensable ; le rédacteur de ce compte-rendu répond à cette condition et il connaît aussi l’histoire de la Résistance et de la Déportation : c’est ce qui l’a conduit à découvrir ce livre. Néanmoins il doit avouer qu’il est bien loin d’avoir tout compris, en particulier les deux dernières parties («Écriture en Résistance», et «L’Écriture résiliente») pour lesquelles il manquait cruellement des bases nécessaires ! Il se limitera donc à une sensibilisation à l’œuvre de Semprun et à la démarche inscrite dans cet ouvrage construit en six parties et vingt-trois chapitres.

Le parcours de Jorge Semprun

Né à Madrid en 1923, Jorge Semprun est le fils d’un diplomate espagnol qui choisit l’exil en 1936, lors de l’insurrection militaire menée par Franco. En 1939, Jorge Semprun assiste, impuissant, à la défaite de la République Espagnole. Il en garde une profonde blessure morale, à la base de son engagement dans la Résistance. En juin 1940, Jorge Semprun, dont la famille s’est installée à Paris, est un brillant étudiant en Hypokhâgne, au Lycée Henri IV. Il s’engage dans la Résistance en 1942, par l’intermédiaire d’un ami de sa sœur, Michel Herr. Ce dernier appartient à la MOI, Main d’Oeuvre Immigrée, organisation communiste parisienne. Séduit par la volonté et la forte personnalité du jeune espagnol, il en fait son adjoint. Semprun («Gérard»), suit son chef dans l’Yonne afin d’infiltrer un réseau britannique bien implanté dans l’Aillantais (département de l’Yonne, autour d’Aillant-sur-Tholon), pour y récupérer des armes. Semprun est arrêté au petit matin du 8 octobre 1943, par la Gestapo, au domicile d’Irène Chiot. Il porte un révolver et tente de s’en servir. Conduit avec Irène Chiot, à la Feldgendarmerie d’Auxerre, il est interrogé, torturé, puis emprisonné à Auxerre jusqu’en décembre 1943.
Il est ensuite transféré au camp de Compiègne puis déporté à Buchenwald en janvier 1944. Après la période de quarantaine dans le Petit Camp, il est affecté par l’organisation communiste clandestine du camp à l’Arbeitsstatistik (l’administration du travail), ce qui constitue un poste moins exposé. Par ailleurs, il a l’occasion (pendant la demi-journée de repos du dimanche après-midi) de fréquenter le sociologue Maurice Halbwachs ainsi que le sinologue Henri Maspero, eux aussi détenus à Buchenwald, jusqu’à ce qu’ils y meurent.
Libéré après l’arrivée des troupes américaines et l’insurrection des déportés, Semprun rentre à Paris, mais ne se considère pas comme un rapatrié puisqu’il estime ne plus avoir de patrie, l’Espagne étant franquiste, où bien en avoir deux, la France et l’Espagne. Dans l’un de ses plus beaux livres, L’Écriture ou la vie, il expliquera qu’il a dû renoncer à écrire car l’écriture en activant sa mémoire lui faisait revivre l’expérience du camp qui le conduisait à la mort. Pour ne pas mourir d’écrire, il fit l’effort d’oublier et se lança dans l’action politique clandestine en devenant militant communiste dans l’Espagne franquiste, sous le pseudonyme de Fédérico Sanchez. C’est en écoutant son logeur lui raconter ses souvenirs du camp de Mauthausen, qu’il décida d’écrire enfin, et ce fut Le Grand Voyage, paru en 1963. D’autres œuvres suivirent dont le camp est le thème, mais que l’on ne peut qualifier vraiment de littérature concentrationnaire : L’évanouissement en 1967, Quel beau dimanche en 1980, La Montagne blanche en 1986, L’Ecriture ou la vie en 1994, Le Mort qu’il faut en 2001 et enfin, publié en novembre 2012, 18 mois après sa mort Exercices de survie.

Un revenant qui a fait l’expérience du Mal radical

Il y a une grande part d’indicible dans l’expérience vécue, et choisir de la dire avec des mots est d’une extrême difficulté dans la mesure où l’écriture impose de réactiver la mémoire, et donc de revivre des moments qui furent horribles et insupportables. Semprun théorise l’impossibilité de véritablement témoigner du plus profond de l’expérience par un simple récit de la réalité vécue. Il revient plusieurs fois dans son œuvre sur cette conviction et réaffirme que «l’artifice de l’œuvre d’art» est indispensable pour rendre l’expérience transmissible.
Semprun fit donc le choix de se taire et de ne pas écrire pendant plus de quinze ans. À partir du moment où il parvient à surmonter son impossibilité d’écrire, Semprun construit une œuvre littéraire, comme le firent aussi David Rousset, Primo Lévi, Robert Antelme, Élie Wiesel et quelques autres. Œuvre caractérisée par la structure narrative, récurrences et mise en abyme, la dimension philosophique du texte, l’universalité de bien des considérations apparemment autobiographiques.  Retenons deux idées forces, empruntées à son roman L’Écriture ou la vie :

1. Les déportés revenus du camp ne sont pas des rescapés mais des revenants : « Car la mort n’est pas une chose que nous aurions frôlée, côtoyée, dont nous aurions réchappé, comme d’un accident dont on serait sorti indemne. Nous l’avons vécu… Nous ne sommes pas des rescapés, mais des revenants… Ceci, bien sûr, n’est dicible qu’abstraitement. Ou en passant, sans avoir l’air d’y toucher… Ou en riant avec d’autres revenants… Car ce n’est pas crédible, ce n’est pas partageable, à peine compréhensible, puisque la mort est, pour la pensée rationnelle, le seul événement dont nous ne pourrons jamais faire l’expérience individuelle… Qui ne peut être saisi que sous la forme de l’angoisse, du pressentiment ou du désir funeste… Et pourtant, nous aurons vécu l’expérience de la mort comme une expérience collective, fraternel de surcroît, fondant notre être ensemble.»

2. Les déportés ont fait l’expérience du « Mal radical » (Semprun se réfère ici à Emmanuel Kant) :
« – L’essentiel, dis-je au lieutenant Rosenfeld, c’est l’expérience du Mal. Certes, on peut la faire partout, cette expérience… Nul besoin des camps de concentration pour connaître le Mal. Mais ici, elle aura été cruciale, et massive, elle aura tout envahi, tout dévoré… C’est l’expérience du Mal radical…
Il a sursauté, son regard s’est aiguisé. 
 Das radikal Böse ! Il a saisi visiblement la référence à Kant. Le lieutenant Rosenfeld était-il aussi un étudiant en philosophie ?
C’est dans la puanteur du bloc 56, celui des invalides, que j’aurais dû commencer ce récit, dis-je au lieutenant américain. Dans la puanteur étouffante et fraternelle des dimanches, autour de Halbwachs et de Maspero. Le Mal n’est pas l’inhumain, bien sûr… Ou alors c’est l’inhumain chez l’homme… L’inhumanité de l’homme, en tant que possibilité vitale, projet personnel… En tant que liberté… Il est donc dérisoire de s’opposer au Mal, d’en prendre ses distances, par une simple référence à l’humain, à l’espèce humaine… Le Mal est l’un des projets possibles de la liberté constitutive de l’humanité de l’homme… De la liberté ou s’enracinent à la fois l’humanité et l’inhumanité de l’être humain…»

Quelques acquis majeurs de l’étude

Corinne Benestroff répond de façon complexe   et argumentée aux questions simples qu’elle dit s’être posée  : résister favorise-t-il la résilience ? Pourquoi et comment un jeune homme rêvant d’être écrivain décide-t-il de s’engager dans la Résistance ? Pourquoi décide-t-il de se taire à son retour ? Et pourquoi 18 ans plus tard choisit-il le roman pour évoquer son expérience concentrationnaire ? Semprun a donné à ces questions ses propres réponses dans son œuvre ; et Corinne Benestroff montre bien combien Semprun lui même est le clinicien de sa souffrance et de sa résilience. Elle qualifie l’œuvre de Semprun comme un journal clinique, «une auto-analyse minutieuse dans laquelle il décrit les perceptions, les sensations, les émotions, les idées», mais ajoute-t-elle, «cette apparence du moi autobiographique est aussi une anamorphose qui sert d’asile aux personnes disparues : la mère, les copains du maquis et de la prison, ceux de Buchenwald et du Parti communiste espagnol ».
Corinne Benestroff reconstitue les grandes étapes de la vie de Semprun, montre la complexité de son œuvre, révèle par la contextualisation, le contenu informatif des romans et étudie la Résistance dans le camp de Buchenwald. Elle met en évidence les racines de l’engagement, les modalités de survie, les conditions du retour et le rôle de l’écriture dans la résilience (ce qui constitue la partie la plus difficile d’accès de l’ouvrage).
Elle démontre que :
– Le témoignage n’est pas seulement un document historique mais que c’est aussi un document clinique qui « montre que le syndrome psychotraumatique est trop souvent isolé de la vie de celui qui en souffre» ;
– La culpabilité du survivant, « souvent évoquée comme un fait attesté, ne semble pas être une constante » ;
– L’offrande aux disparus qui ne purent être sauvés forme la matrice des témoignages des déportés : « le chagrin et non la culpabilité se trouve au premier plan » ;
– La résilience n’est pas un état, mais « un ensemble de processus en perpétuel remaniement», qu’elle ne peut advenir que par et grâce à autrui. Son étude des « tuteurs de résilience », qui peuvent être des personnes réelles, des personnage de roman, des activités culturelles et artistiques, est lumineuse.
– « La littérature et l’écriture sont des armes de guerre assurant la survie individuelle et collective ».

Le fait résistant : un processus de résilience

Le postulat de Corinne Benestroff était de considérer le fait résistant (caractérisé par le besoin d’agir) comme un processus de résilience. Résister devient « une lutte contre le noyau mélancolique ». La prise en considération du fait résistant comme élément structurel de l’identité apporte un éclairage nouveau sur l’engagement de Semprun dans la clandestinité du Parti communiste espagnol après Buchenwald, y compris dans sa dimension d’aveuglement. Pour illustrer sa démonstration, l’auteur rédige et répartit dans l’étude des arrêts sur images, intitulées focales qui nous sont apparues comme des analyses psychanalytiques de l’œuvre de Semprun. Un des intérêts de l’étude est encore de caractériser ce que l’auteur appelle des biographèmes (récits des moments de la vie de Semprun qui l’ont profondément marqué), apparaissant et réapparaissant au fil des romans à des moments souvent inattendus, et qui sont des éléments de compréhension, à la fois de l’inconscient de Semprun et des clés de sa construction romanesque.
Corinne Benestroff concluait son allocution, lors de la remise du prix Auschwitz-Jacques Rozenberg, par ces mots «Les valeurs idéales de la Résistance structurent l’identité ; elles permettent de vaincre l’effroi et de continuer la lutte. Elles sont des tuteurs pour notre présent ».

Joël Drogland (paru dans le Serment N°367)

Jorge Semprun – Entre résistance et résilience, de Corinne Benestroff, CNRS Éditions, 2017, 436 pages, 26 €

 


« Les représentations de l’Allemagne et des Allemands chez d’anciens concentrationnaires en France (1945-1975) »

Jeune historien, Henning Fauser a soutenu, sous la co-direction d’Annette Wieviorka et de Dorothée Röseberg, une thèse sur les représentations de l’Allemagne et des Allemands chez d’anciens déportés. Nous lui avons demandé de nous présenter très brièvement son travail avant qu’il ne soit publié.

Ma thèse se propose de cartographier l’imaginaire lié à l’Allemagne et aux Allemands chez les survivants de l’univers concentrationnaire en France entre 1945 et 1975. J’ai choisi de m’intéresser à ce sujet afin de savoir si l’expérience concentrationnaire a généré des représentations particulières au sein de ces déportés. Afin de répondre à cette question, trois catégories de sources ont été étudiées : les publications de quatre associations d’anciens déportés (FNDIRP, FNDIR-UNADIF, ADIR et Amicale d’Auschwitz), notamment leurs journaux (Le Patriote Résistant, Le Déporté, Voix et Visages et Après Auschwitz), des témoignages et des récits autobiographiques de survivants publiées entre 1945 et 1975 ainsi que les sources issues du contact avec d’anciens concentrationnaires depuis 2005 (61 correspondances, 45 réponses à un questionnaire, 39 interviews).
Un acquis majeur est l’identification de quatre aspects qui ont marqué ces représentations des voisins d’outre-Rhin : le patriotisme, l’orientation politique, l’appartenance religieuse et l’humanisme. Il en résulte quatre perspectives sur l’Allemagne et les Allemands dans lesquelles s’insèrent les diverses représentations et images  : la perspective patriotique, dominante dans les années d’après-guerre ; la perspective politique, opposant les perspectives antifasciste et antitotalitaire. La religion constitue un troisième prisme à travers lequel l’Allemagne est perçue ; enfin, il existe une perspective humaniste.
Ma conclusion de cette analyse : ce sont avant tout les appartenances de ces survivants à différents groupes sociaux ainsi que les valeurs et orientations de ceux-ci qui ont déterminé leurs représentations des voisins d’outre-Rhin. L’expérience concentrationnaire et ses séquelles n’auront donc pas généré chez les rescapés des camps de concentration de représentations inédites de l’Allemagne et des Allemands. Or, les transformations sociales et politiques en France et en Allemagne au cours des deux décennies d’après-guerre ainsi que l’évolution des relations entre les deux nations ont contribué à la création de plusieurs schémas qui leur sont propres. Il s’agit d’une part de la distinction entre Allemands et nazis et d’autre part de deux topoi mettant en lien la mémoire des crimes nazis et l’attitude vis-à-vis des Allemands : « Ni haine, ni oubli » et « Pardonne, n’oublie pas ».
Enfin, en examinant les représentations de l’Allemagne et des Allemands au sein de quatre associations d’anciens déportés, ma thèse retrace les activités et présente les acteurs principaux de celles-ci, apportant ainsi sa pierre à l’écriture de l’histoire du mouvement déporté français.

(paru dans le Serment N°367)


Rendez-vous avec l’heure qui blesse

Le roman de Gaston-Paul Effa nous relate des épisodes de la vie du Martiniquais Raphaël Elizé, déporté en 1943 à Buchenwald.
Nous découvrons que celui qui a été, en 1929, le premier « homme de couleur » à devenir maire d’une ville de Métropole a vécu une existence parsemée d’innombrables événements
Né en 1891 en Martinique dans la commune du Lamentin, il échappe dès son plus jeune âge à la catastrophe qui frappe la ville de Saint-Pierre en 1902. Replié à Paris avec ses parents, après de brillantes études, il devient vétérinaire. Il est mobilisé en 1914 et son courage et sa dévotion de vétérinaire lui valent la Croix de Guerre. Il s’installe, après la guerre, à Sablé-sur-Sarthe dont il est élu maire en 1929. En 1941, il est destitué par le préfet pour «  des préjugés de couleur », puis c’est la Résistance. Il est « pianiste » dans le réseau Buckmaster. Arrêté en 1943 il est déporté à Buchenwald (Mle 40490) où il sera accueilli dès la descente du train, le 19 janvier 1944, par des « Neger ! Neger ! ». Il y disparait le 9 février 1945. Raphaël Elizé sera membre du Comité des Intérêts français, le CIF, il pratiquera, comme il le dit, « la résistance de l’esprit », en participant avec les « mohicans » (appellation  des rédacteurs entre eux) à la composition d’un journal produit en un seul exemplaire qui se passait de main en main à travers le camp. Mais, avant tout, ce livre met en parallèle la vie concentrationnaire et celle de sa famille au travers l’histoire de nos compatriotes d’Outre-mer au début du 20e siècle.
Il nous apprend également ce qu’était, dans la France de l’entre-deux-guerres, la vie d’un « homme de couleur » venu s’installer dans l’ouest de la France pour y exercer la profession de vétérinaire. Un roman qui, malgré la fin tragique du narrateur, nous permet de connaitre ou de redécouvrir un homme simple, plein de compassion pour son prochain, devenu une référence nationale.
J.-Luc Ruga
Gaston-Paul Effa, Rendez-vous avec l’heure qui blesse, Gallimard, 17,90€

(paru dans le Serment N°367)


Train de vie

L’amour des trains provoque la rencontre d’un jeune garçon peureux et solitaire et d’un homme lourdement handicapé, dans la France des années 1950. Petit à petit, des liens se nouent. Cette amitié permettra-t-elle au garçon de dépasser ses peurs ? Quel est le secret qui entoure son ami ? Mais, surtout, quel est le rapport avec la déportation? Deux personnages, deux façons de réagir face à la peur. Que fut la vie du plus âgé ? Que sera celle du plus jeune ?
Vous aurez la réponse, chers lecteurs, en lisant La Micheline de 18h23 écrit par Michel Fabre, éditions Lucien Souny. Ce second roman de l’auteur est inspiré de l’histoire des déportés de Buchenwald-Dora, matricules 14000. Notre association est même citée page 176. C’est un roman tendre et grave. C’est aussi un hommage à ceux qui ont su résister et l’ont souvent payé de leurs vies.
A. F.

Michel Fabre, La Micheline de 18h23, Éditions Lucien Souny – 2017

Article paru dans Le Serment 365


Résistance et Marches de la mort – Un Normand dans la tourmente – Auschwitz, Buchenwald et Langenstein

Il y a quelques jours, Paul Le Goupil m’a adressé son dernier livre. Il s’agit d’une nouvelle version profondément remaniée de son livre Un Normand dans … Itinéraire d’une guerre 1939-1945 dont l’édition de 1992 est épuisée. Dans le petit mot qui accompagne son envoi, il précise qu’il existe une édition en allemand parue en 2016 et qu’une édition anglaise paraîtra en fin d’année. Je connais Paul depuis plus de 20 ans et j’ai toujours apprécié son honnêteté et sa sincérité. J’ai donc pris grand plaisir à relire son parcours de Résistant puis de Déporté ainsi que les nouvelles pages qui concernent le retour et l’après.
Peu de livres de témoignages sont aussi précis et documentés. La première partie du livre est consacrée à la drôle de guerre et à l’invasion allemande. Paul y décrit avec minutie, en s’appuyant sur son journal intime, par chance bien conservé, ses activités, ses pensées et réflexions, ce qui donne à son récit toute son authenticité. L’écriture est descriptive, précise, vivante et très agréable à lire.
Il évoque ensuite son arrestation, ses longs mois d’isolement à la prison Bonne nouvelle de Rouen, son transfert à Compiègne et son effroyable voyage en wagon à bestiaux vers Auschwitz-Birkenau.
Après un court mais terrible séjour, il est transféré à Buchenwald où grâce à son ami Yves-Pierre Boulongne, il intègre le grand camp au Block 40. Le 24 août 1944, l’usine Mibau où il travaille est bombardée et après le nettoyage des restes de l’usine, il part vers un Kommando. Il est d’abord affecté à l’usine Junkers d’Halberstadt puis à Langenstein-Zwieberge. Le 9 avril 1945, il fait partie d’un groupe de près de 3 000 détenus évacués sur les routes. Cette longue marche de la mort de près de 250 kilomètres réalisée dans des conditions dantesques se terminera le 26 avril 1945. Paul y perdra de nombreux amis. Le récit de cette dernière partie est bouleversant et les larmes me sont venues aux yeux à de nombreuses reprises.
Puis Paul évoque « l’après », les difficultés du retour à la vie « d’avant ». Quarante ans plus tard, il retourne sur tous les lieux de détention et se souvient de ses amis disparus.
Ce qui fait aussi la richesse de cette nouvelle édition, c’est son iconographie. D’abord des photos, celles de Normandie, des allemands dans Rouen, des tracts des Résistants, mais aussi des tickets de rationnement. Ensuite on peut lire de très brèves biographies accompagnées de photographies des personnes en regard du texte où elles sont évoquées ce qui nous les rend plus proches. Et puis, il y a les remarquables dessins de Pierre Dietz, les plans, les cartes qui aident à mieux comprendre. Tout cela donne un ouvrage de très grande qualité et ce témoignage constitue une source indispensable de compréhension de ce que furent la Résistance et la Déportation.

D.O.

Paul Le Goupil, Résistance et Marches de la mort – Un Normand dans la tourmente – Auschwitz, Buchenwald et Langenstein, Éditions Charles Corlet 14110 Condé-sur- Noireau, avril 2017.

Article paru dans Le Serment 365


La foi conduit à Buchenwald

Jeune alsacien de 17 ans, Jean-Paul Kremer, l’Alsace annexée par les nazis, refuse de faire le salut hitlérien, refuse d’entrer dans la Hitler Jugend, refuse de prêter serment à Hitler quand il fait son Reicharbeitdienst (service de travail obligatoire pour les jeunes allemands), refuse d’être incorporé dans la Wehrmacht, et finit par être arrêté par la Gestapo. Il est envoyé au Struthof, puis transféré à Buchenwald, matricule 10564, en mars 1942. Il y sera « protégé » par la résistance interne, à laquelle il rend un hommage discret. Il existe une seule raison à ces refus successifs et cette résistance de Kremer à l’occupation de l’Alsace et l’asservissement de ses jeunes : la foi. Une foi de mennonite, cette minorité protestante qui refusait les armes, les serments, et tout autre soumission que celle voulue par Dieu et Jésus-Christ. C’est de cette foi, cause de son martyre mais aussi de sa délivrance, qu’il témoigne simplement, ne voulant jamais faillir à ses convictions. Un excellent appareil de notes accompagne son témoignage.
On ne s’étonnera pas que ce petit ouvrage soit publié en terre protestante, à Alès, annoté par un théologien protestant et édité par une jeune maison liée à une mission protestante.
Dominique Durand

Jean-Paul Kremer, Le Salut ne vient pas d’Hitler, un mennonite déporté à Natzweiler et Buchenwald, Mission Timothée, SARL Cocebal, Alès, 2016

Article paru dans Le Serment 365


Le déporté de Dora, Mémoires d’un survivant des camps de la mort

Paul Schwarz, jeune mosellan d’une vingtaine d’années, a dû quitter en 1940 son domicile avec ses parents pour éviter une incorporation d’office dans les jeunesses hitlériennes, la Moselle étant annexée par le Reich dès 1940.
Alors que ses parents gagnent l’Afrique du Nord, il s’engage dans l’Armée d’Armistice au 24e BCA. En novembre 1942, lorsque les nazis envahissent la zone dite « libre », il est démobilisé et rejoint alors son frère qui est membre du Corps Franc Pommiès, un des principaux éléments de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Arrêté en décembre 1943 par la Gestapo, il connaitra la prison, le camp de transit de Compiègne, le Petit camp de Buchenwald et l’enfer de Dora.
Ce récit nous fait vivre de façon très réaliste et surtout sans rien édulcoré son arrestation et l’interrogatoire qui s’en suit, le transport vers Buchenwald et la quarantaine au Petit camp et Dora qui, en févier 1944, n’est qu’un tunnel dévoreur d’hommes et de vies humaines, le camp extérieur étant à peine ébauché. Puis ce sera l’évacuation vers Ravensbrück et enfin l’évasion lors d’une ultime « marche de la mort ».
Une lecture bouleversante qui ne peut laisser indifférent, la mémoire d’un temps qu’on ne peut oublier.
Jean-Luc RUGA

Paul Schwartz, Le déporté de Dora, Mémoires d’un survivant des camps de la mort, Editions François Bourin, 2017, 224 p.

Article paru dans Le Serment 365


Mémoire gravée, Pierre Provost, Buchenwald 1944-1945

image-memoires-gravc3a9es« Graveur de talent avant guerre, Pierre Provost arrive à Buchenwald en janvier 1944. Il y trouve la force et les moyens de graver quelques objets et quelques médailles, ce qui était son métier. Il lui fallait être à l’abri des regards, posséder les outils nécessaires et la matière à transformer. Face à la machinerie nazie, la mécanique de la solidarité des détenus se met en place. Elle lui fournit les moyens d’exprimer son art. Il met cet art au service de ses compagnons de captivité. C’est sa manière de continuer à résister. »
Dominique Durand, Comité International de Buchenwald-Dora

« L’œuvre exceptionnelle de Pierre Provost m’a transportée dans un univers où se juxtaposent de façon ininterrompue l’Art et l’Histoire, celle du XXe siècle, qu’il a éprouvée dans ses heures les plus tragiques. « Dans une absolue maîtrise du dessin, de l’art de graver et de sculpter, il anime le métal et lui donne la parole, usant souvent de la symbolique, pour étendre la portée de son message de mémoire sur l’inhumanité du régime nazi, mais aussi sur l’inaltérable solidarité humaine. On voudrait refermer les doigts sur chacune de ses pièces, lentement, comme on le fait quand on tient un trésor qu’on ne veut plus lâcher. »
Agnès Triebel, Comité International de Buchenwald-Dora

Auteur : Gisèle Provost

Broché avec rabats – 16 x 22 cm – 144 pages – 72 documents et photographies en quadrichromie – mai 2016 – ISBN 978-2-86266-738-6

Ouvrage disponible à l’association à l’adresse ci-dessous au prix de 23 €, (frais de port : 5€) Association française Buchenwald, Dora et kommandos 3/5 rue de Vincennes 93100 Montreuil – Téléphone : 01 43 62 62 04 – Fax : 01 43 62 63 08 Mail : contact@buchenwald-dora.fr


Buchenwald par ses témoins. Histoire et dictionnaire du camp

BUCHENWALD PAR SES TEMOINS« Le dictionnaire documente des aspects très divers de la réalité concentrationnaire : la vie quotidienne, les événements importants de l’histoire du camp, la pathologie concentrationnaire, la production de guerre, les mémoriaux ou les associations de déportés. On trouvera aussi de nombreuses entrées sur les personnalités liées à l’histoire du camp, véritable carrefour européen au sein du système concentrationnaire. (…) Cet ouvrage témoigne donc de la vitalité persistante de la mémoire dans la constitution de l’historiographie française de la Déportation. » Michel Fabréguet, Vingtième Siècle, octobre-décembre 2015
« Ce remarquable ouvrage édité chez Belin trouvera assurément sa place non seulement dans les bibliothèques publiques, mais en ce qui concerne l’Éducation nationale, dans les centres de documentation et d’information présents dans tous les collèges et lycées de France. L’élève y consultera des occurrences signalées en classe par son professeur, celui-ci pourra également construire son cours à partir de telle ou telle entrée ; enfin le lecteur averti mais curieux pourra à la manière d’une lecture en hypertexte suivre son inspiration ou le hasard des pages, reconstituant à sa façon une histoire qui restera toujours parcellaire selon le mot de Primo Levi : « Nous les survivants ne sommes pas les vrais témoins (…) nous n’avons pas touché le fond. » Jean-Michel Crosnier, la Cliothèque, février 2015
Ouvrage disponible à l’association à l’adresse ci-dessous au prix de 34 €, frais de port inclus (29 € sans les frais de port) Association française Buchenwald, Dora et kommandos 3/5 rue de Vincennes 93100 Montreuil – Téléphone : 01 43 62 62 04 – Fax : 01 43 62 63 08 Mail : contact@buchenwald-dora.fr
Paru dans le Serment N°359

Lors des Rendez-vous de l’histoire 2014 à Blois, Dominique Orlowski a présenté le livre « Buchenwald par ses témoins ». Retrouvez l’entretien ici : https://www.youtube.com/watch?v=1AO2LhL590U


Le Pull-over de Buchenwald

1716270-20412-thickboxBertrand Herz est déporté vers Buchenwald à l’âge de 14 ans. De retour à Paris, en 1945, il reprend ses études, fait carrière, vit sa vie. Ce n’est qu’au début des années quatre-vingt-dix qu’il revient sur son passé : En retournant à Buchenwald, en participant aux activités de l’Association. Aujourd’hui il publie ses souvenirs en s’efforçant de nous faire partager le regard qu’il avait à l’époque.

« Je suis un miraculé. J’aurais dû être déporté à Auschwitz et gazé comme la quasi-totalité des 76 000 juifs de France arrêtés. Mais j’ai été interné à Buchenwald. J’aurais pu, à Buchenwald, mourir d’épuisement dans la sinistre carrière où les déportés devaient extraire des pierres sous les coups des surveillants SS. Mais je n’y ai presque jamais travaillé. J’aurais pu être battu ou même tué parce que j’avais, un jour, donné un coup de pied à un Stubendienst. Mais il ne m’est rien arrivé. J’aurais pu succomber aux graves infections que j’ai contractées. Mais ma constitution physique m’a permis de m’en sortir. J’aurais dû, pendant l’évacuation forcée vers Buchenwald pour fuir les Américains, traînard épuisé au bord de la route, recevoir une balle de SS dans la nuque. Mais cette balle, je ne l’ai pas reçue. J’aurais dû, à l’issue de cette évacuation, arriver à Buchenwald et repartir vers l’Est dans une « marche de la mort ». Mais, inexplicablement, j’y suis arrivé trop tard et juste à temps pour me faire libérer. En 1945, après mon retour, j’ai voulu effacer de ma mémoire le souvenir de ma déportation. Mais n’était-ce pas injuste vis-à-vis des hommes qui étaient à mes côtés, notamment mon père, un homme d’un courage et d’un optimisme extraordinaires, qui n’a cessé de me protéger jusqu’à sa mort ? » D’une admirable simplicité, ce récit est le bouleversant témoignage d’un adolescent déporté dans les camps de la mort pour la seule raison qu’il était juif. Le lecteur n’en sortira pas indemne. (Texte tiré du site de l’éditeur)

Retrouvez le témoignage de Bertrand Herz

Ouvrage disponible à l’association à l’adresse ci-dessous au prix de 19,90 €, (frais de port : 4,10€) Association française Buchenwald, Dora et kommandos 3/5 rue de Vincennes 93100 Montreuil – Téléphone : 01 43 62 62 04 – Fax : 01 43 62 63 08 Mail : contact@buchenwald-dora.fr


Lutetia 1945

La très belle exposition mise en œuvre par les Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation de Paris sur le retour des déportés, trouve son prolongement dans la parution d’un modeste recueil de témoignages réalisé par Catherine Breton, fille de Pierre Breton, KLB 44109, et titré : Lutetia, 1945. Le choix très pertinent des témoignages, y compris ceux de journalistes accompagnant les libérateurs, ou de personnalités les accueillant, est éclairé de statistiques, d’une chronologie et d’une rapide description des organismes accompagnant ce retour. Il permet de saisir les difficultés matérielles mais aussi les questions éthiques et politiques auxquels la société française se trouva confrontée, et d’abord de nombreux de déportés.

Lutetia 1945, AFMD-DT 75, 12€
Article paru dans Le Serment 361


De Trouville-sur-mer à Buchenwald

Résistant normand, Lucien Levillain, déporté à Buchenwald fin janvier 1944 (KLB 44861) et de retour à Trouville fin mai 1945. Il avoue que « la cicatrisation n’aura jamais lieu » et que « la résurrection (a été) plus pénible que prévue ». Il aura attendu 1995 pour commencer à fixer ses souvenirs de résistant et de déporté, « heureux d’avoir mis à l’abri de tourments supplémentaires » ses parents et son épouse, car « personne n’aurait pu comprendre ». Mais voici enfin ces souvenirs écrits et publiés, un livre dense, souvent épique, qui reste au plus près du quotidien. Le camp de Buchenwald n’y représente qu’un moment relativement court car Lucien Levillain, après quelques semaines de quarantaine au block 62 du petit camp est transféré vers le Kommando Julius de Schönebeck sur Elbe, usine Junkers. Bien que relativement favorisé par un travail dans un atelier, il doit survivre dans un environnement qu’il décrit avec précision. Début avril, le Kommando est évacué. Débute alors une grande errance de 23 jours, qui le conduira jusqu’au Nord de l’Allemagne et au contact avec les troupes américaines qui l’accueilleront fraichement. Son incompréhension, sa colère et son ressentiment sont encore perceptibles, comme le souligne dans sa préface, le Professeur Fournier. Plus de soixante dix ans après la libération, le temps des témoignages n’est pas encore révolu.

Lucien Levillain, De Trouville-sur-mer à Buchenwald, itinéraire d’un déporté résistant, Editions Charles Corlet, Condé sur Noireau, 2014, 300 p. 26€
Article paru dans Le Serment 361


Le Serpent chauve devient zazou

Dans les premiers jours de juillet 1943, l’antenne de Falaise (Calvados) du réseau de résistance Prosper-Physician est décapitée par les services allemands. Ses trois responsables sont immédiatement transférés à Paris où ils s’aperçoivent rapidement que la Gestapo sait tout, ou presque tout, du réseau. Les arrestations locales s’enchainent. Après des semaines ou des mois passés en prison les hommes du groupe de Falaise se retrouvent en novembre au Frontstalag de Compiègne. Ils prennent la route des camps en décembre 1943 et janvier 1944. Jean Michel Cauchy est déporté à Buchenwald par le convoi du 14 décembre, celui de Christian Pineau, le reste des hommes par celui du 17 janvier, les femmes vers Ravensbrück le 31 janvier.
Le Professeur Gérard Fournier, qui raconte avec précisions et allant cette histoire s’appuie sur nombre de documents familiaux pour serrer au plus près la vérité : photos, courriers, liste de transports, interrogatoires. L’histoire de quelques jeunes hommes et femmes, souvent chef de famille, qui s’engagent auprès des Alliés contre l’occupant.
Tout d’abord en quarantaine au block 62 du petit camp, les résistants Falaisiens sont intégrés dans des transport pour Dora ou Flossenbürg, à l’exception de leur chef, Cauchy, affecté au bloc 34 et de Georges Bertin, déplacé au bloc 58 puis admis au Revier où il décèdera. Cauchy sera par la suite transféré à Langenstein. Le 9 avril il sera intégré dans une marche de la mort de laquelle il tentera de s’échapper pour être abattu.
Avaient-ils été trahis ? Comment leur réseau, le plus important réseau britannique du Spécial Opérations Executive en France a-t-il pu s’effondrer en quelques semaines et la plupart de ses agents disparaître dans l’univers concentrationnaire ? Fournier avance prudemment l’hypothèse qu’un « accord, ou un pacte, non écrit, a été passé entre le SD de Paris et les organisateurs du réseau Prosper » en se refusant à accréditer la thèse d’un double jeu des britanniques.

Gérard Fournier, Le serpent chauve devient zazou, Editions Charles Corlet, Condé sur Noireau, 2015, 330 p. 25€
Article paru dans Le Serment 361


Revue Europe. « Témoigner en littérature »

Le débat relatif au primat du témoignage sur la démarche historique archivistique ou, inversement celui du « métier d’historien » versus la parole de « celui qui a compris avec sa chair », est vieux comme la pratique de la démarche historique testimoniale .
De Thucydide à Pierre Nora, en passant par Villehardouin et Michelet , le débat ne cesse de se nourrir d’arguments aussi contradictoires qu’inépuisables .
L’excellent dossier que la revue « Europe *» consacre au sujet a le grand mérite, non seulement de traiter des approches très pragmatiques de la question, mais encore d’ouvrir « grand l’angle de vision » l’inépuisable polémique, incontournable et à rebonds multiples, liée aux grands conflits armés européens du vingtième siècle. Ici, en effet, pas de sujet tabou, pas d’anathèmes à obsession récurrente, mais une pluralité d’approches au service des sujets traitées, avec pour seul point commun : Témoigner en littérature
Mais attention ! Il s’agit bien de littérature avec le «l» minuscule qui s’impose ; les auteurs évoquant ici la nature plus que le sujet de l’écriture ou même sa forme sémantique ou lexicale: ils y insistent constamment, privilégiant, sans reprendre souffle, la méthode au procédé.
Certes, se retrouvent au détour des pages de la revue, Primo Levi , Jorge Semprun ou Robert Anselme… mais le postulat de base y est, avec obstination , la pluridisciplinarité : de l’Economie avec la crise de 1929 ; du Droit avec le procès Eichmann ; de la barbarie d’ Etat avec la Kolyma stalinienne, les crimes de Mao ou les massacres de Pol Pot… tandis qu’aux détours d’analyses savantes mais limpides , se nichent également des perles d’un humanisme bouleversant, tel, notamment le superbe article de Oka Yoko- Todeschini consacré aux victimes des bombes d’Hiroshima et Nagasaki où des dizaines de milliers de femmes et d’enfants furent « plus témoins que tout autre», du fait, rappelle Madame OKA Yoko, que soixante-dix ans plus tard , des petits-enfants de ces « enfants du feu nucléaire » naissent encore victimes de leucémies ou de mal-formations … Un hommage appuyé également pour la remarquable analyse proposée par François Rastier et dévolue au «mentir-vrai» testimonial : un authentique bonheur de subtile érudition .
Bref, un numéro d’anthologie pour qui veut approfondir l’inépuisable thème de la «mémorialisation» et nous invite à ne jamais lâcher le fil d’Ariane devant nous guider, toujours , avec une infaillible vigilance sur le chemin des Hommes de la liberté…

Revue « Europe », Témoigner en littérature, (numéro 1046-1047 janvier-février 2016) 20€
Article paru dans Le Serment 361


Je suis en vie et tu ne m’entends pas

Triangle rose déporté à l’âge de 19 ans, à Buchenwald de 1941 à 1945, Klaus, le personnage principal du roman de Daniel Arsand, rentre chez lui à Liepzig. Il y retrouve sa mère, son père et son frère. Au chaos indescriptible de cette ville dévastée, se mêle celui, tout aussi indescriptible, de son âme et de son corps. Torturé adolescent par le rejet sournois de sa famille en raison de son orientation sexuelle ; torturé pas les sévices de 4 années d’enfermement d’un « triangle rose » dans un camp de concentration ; torturé enfin par la disparition de son amour, interné avec lui et mort en déportation ; Klaus décide de quitter l’Allemagne. Sa rencontre avec Maurice, déporté français à Sachsenhausen, est décisive. Maurice, lui, ne se sent pas capable de retrouver sa femme avant d’avoir retrouvé forme humaine. Ensemble ils regagnent Paris. A pied. Au prix d’un long périple à travers l’Allemagne puis la France. A Paris Klaus reprend progressivement une vie sociale, une activité professionnelle. Dans ce Paris d’après guerre la vie d’un homosexuel n’est pas des plus simple.
Daniel Arsand nous fait vivre le combat de Klaus au travers d’une écriture haletante. L’enchaînement de phrases courtes, au rythme accéléré des battements du cœur de celui qui craint perpétuellement d’être pris, d’être vu, d’être découvert, offre au lecteur une vision forte, un ressenti charnel de la lutte quotidienne d’un être bien vivant et qui peine tant à se faire entendre.

Christophe Rabineau

Daniel ARSAND « Je suis en vie et tu ne m’entends pas » : Acte Sud, – 2016, 270 p. 20 €
Article paru dans Le Serment 362


Une petit ville nazie

L’historien américain William S. Allen propose la radiographie minutieuse et passionnante d’une petite ville d’Allemagne : Thalburg en Basse-Saxe. L’analyse recouvre la période 1930-1935, elle a pour objectif de mettre à jour les rouages de la montée du nazisme dans une petite ville ordinaire bien tranquille qui a voté majoritairement pour le Troisième Reich.
L’enquête de W.S. Allen relève de l’anthropologie. Ici, pas de grande envolée théorique, c’est en ethnologue qu’Allen officie en s’intéressant à tous les détails de la vie quotidienne : salaires, allocations de chômage, coûts des denrées et aussi, vie associative, activités paroissiales, élections, etc. Allen se sert de tout : registres municipaux, presse locale et régionale, entretiens. On voit avec précision les effets de la crise de 29, la montée progressive du nazisme, les jeux de pouvoir entre les différentes factions politiques, l’influence des églises catholique et luthérienne. En effet, l’idéologie nazie s’est infiltrée insidieusement sur fond de crise, de chômage, d’inégalités sociales criantes en véhiculant un rêve grandiose réparateur, une mélodie du bonheur pour mille ans…
Servi par un style clair et enlevé, cet ouvrage technique se lit comme un roman qui montre comment cela a pu arriver : « Sur place, écrit Allen, presque personne à cette époque ne réalisait ce qui se passait […] Chaque groupe discernait bien tel ou tel aspect du nazisme, mais aucun ne le saisissait dans toute son ampleur et dans toute son horreur » (p.373-374).
Un livre sur le passé pour décrypter le chant des sirènes d’aujourd’hui.
Corinne Benestroff

William S. Allen, (1965), Une petite ville nazie, Paris, Collection texto- Editions Tallandier, 2016, 444 p. 10,50 €
Article paru dans Le Serment 362


La Liberté guide nos pas

« La commémoration du centenaire de la naissance du poète et Académicien français Pierre Emmanuel (1916 -1984) donne lieu à la publication d’un superbe recueil de  ce qu’il  nommait lui même la  » poésie résistante « .
Pierre Emmanuel s’occupa, durant toute l’Occupation,  de la publication de journaux pour la Résistance, (notamment dans la Drôme et le sud de la vallée du Rhône) et de la publication de documents destinés à ses frères de combats. Ses amis ? Paul Eluard, Robert Desnos, Louis Aragon… Ses intimes ? Pierre Seghers et aussi Henri Maspero (matricule 77489), mort à Buchenwald en mars 1945 , et qui n’a cessé d’habiter ses pensées  : de ces  » Hommes (qui ) ont su  mourir pour demeurer des Hommes  » écrira-t-il. Beaucoup de ses amis n’ont pas survécu ; lui eu la chance de ne pas être arrêté et de pouvoir  continuer à  » brandir la plume comme une arme « . Grand humaniste, fervent chrétien, Pierre Emmanuel voit aujourd’hui certainement parmi les plus beaux de ses poèmes publiés dans cette nouvelle édition de textes « datant de l’époque de la servitude » et paru à la Libération chez Seghers ou dans la revue Fontaine, de Max Pol Fouchet, à Alger.

Jean-François Fayard

La liberté guide nos pas, Editions Bruno Doucey, 2016, 144 p.15€
Article paru dans Le Serment 362


Revue En Jeu

Le septième numéro de la revue En Jeu consacre un mini – dossier (et le défini comme tel) aux conséquences psychotraumatiques de la déportation et les questions liées à leur évaluation. Les auteurs en sont connus et spécialistes. Ils ont participé à de nombreux colloques sur la déportation (Serge Raymond dans le colloque sur le corps à l’épreuve de la déportation dont les actes sont publiés aux éditions du Geai bleu, Serge Raymond et Michel Pierre au colloque de la FMD, en 1992 sur Témoins et témoignages paru chez L’Harmattan ) et il est heureux qu’ils publient enfin leurs connaissances et réflexions dans une revue à vocation scientifique. La contribution de Martin Catala et Jean-Michel André est la plus innovante car elle s’intéresse à l’épigénétique et la transmission biologique à la descendance des séquelles du stress de la déportation. Dans une autre contribution, Serge Raymond revient sur la souffrance des déportés libérés,et sur la transmission par le non-dit. Pour sa part, Michel Pierre, s’interroge sur l’identification et l’évaluation des séquelles psychotraumatiques des déportés,

En Jeu, numéro 7, juin 2016, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, 152 p. 17€
Article paru dans Le Serment 362


Revue En Jeu. Actualité de Jean Norton Cru : Usages et mésusages des témoignages

EN JEULa Première Guerre mondiale a la particularité de voir surgir sur la scène éditoriale, et cela aussitôt le 11 novembre passé, le témoignage de ceux l’ayant vécue ; mais le Jean Norton Cru acteur et témoin de Verdun n’est pas Fabrice del Dongo à Waterloo…
Ainsi, l’auteur de Témoins  : essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants, ouvre-t-il le territoire du récit testimonial non seulement à la « chose vue » (et vécue), mais aussi au droit, à la psychologie, à la linguistique, à la littérature dite « de guerre », autant d’approches ayant fourni le terreau et la méthode de ce qui ne tardera pas à s’appeler la Nouvelle École historique.
Maurice Genevoix, autre combattant, sera d’ailleurs parmi les premiers à déceler la sagacité et la pertinence de la démarche de Cru pour la connaissance et le reconnaissance du fait historique appréhendé dans sa globalité et sa variété analytique. Le contre-coup ? La réfutation par certains témoins de leur propre expérience mémorielle confrontée à celle d’autres s’étant trouvés dans des circonstances similaires. Mais Jean Norton Cru, lucide, avait d’ailleurs, dès l’immédiat après-guerre, évoqué les possibles conflits mnésiques menés, en toute bonne foi pour la plupart, par les différents « participants » à cet événement singulier que fut 14/18.
C’est ainsi que l’expérience concentrationnaire de la Seconde Guerre mondiale verra, elle aussi, l’émergence d’une authentique littérature portée par ses victimes (Levi, Semprun et tant d’autres), ceux-ci s’étant trouvés en butte à la suspicion en légitimité d’autres témoins.
La récurrence de ce casus belli autour de la « mémoire litteraire » porte désormais un nom, celui que lui a donné l’historienne Charlotte Lacoste : le « couplage éthique-esthétique ».
Ce type de débats, ambigu dans le genre, mais passionnant dans l’expression, est pertinemment analysé par l’excellent dossier que consacre la revue En Jeu dans sa dernière parution intitulée  : Du témoignage autour de Jean Norton Cru. A lire toutes affaires cessantes pour qui s’intéresse aux formes que doit adopter ce que Milan Kundera nomme « l’inépuisable lutte de la mémoire contre l’oubli ». J.-F. F.

Revue En Jeu, n°6, (décembre 2015 ) publié par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation
Article paru dans Le Serment 360


Léon Blum, un portrait

BLUMLa biographie que Pierre Birnbaum consacre à Léon Blum est à la fois robuste et subtile. La robustesse est celle de cet héritier de Jaurès dénonçant, avec une conviction d’apôtre laïque la persistance chronique du « mur de l’argent » cloisonnant de manière pérenne « ceux qui peuvent vivre sans travailler,de ceux qui ne peuvent vivre qu’en travaillant ». La subtilité réside dans l’évocation de Léon Blum qui, sous le feu croisé et successif des barresiens et des staliniens, exprime son émerveillement pour la phrase stendhalienne, une mélodie de Bruckner ou l’engagement « féministe–» de Virginia Woolf ! Atterré d’avoir vu ses amis socialistes voter les «pleins pouvoirs» à Laval, il est arrêté par la police pétainiste le 15 septembre 1940 avant d’être traduit devant ce qu’il appellera le « tribunal de l’abjection » en février 1942. Envoyé finalement à Buchenwald (comme éventuelle « monnaie d’échange ») il y retrouve Georges Mandel, hébergé également dans un pavillon se trouvant en dehors du camp. C’est là, au milieu de ses livres préférés (Shakespeare, Gide, Hugo ou, ironie du sort, Goethe) qu’il épouse, le 8 octobre 1943, Jeanne Levylier. Le 24 août 1944, du fait du bombardement allié sur les usines dépendant du camp, Blum découvre « l’horreur quasi démente » du crématoire (il évoquera longuement cette atroce révélation dans son livre Le Dernier mois). Léon Blum est finalement rapatrié en France le 14 mai 1945 et Pierre Birnbaum nous donne à lire des extraits de la correspondance qui se noua entre lui et le chef de la France Libre  : « Je ne conçois pas qu’un tel pouvoir (celui issu de la Libération) puisse s’établir et fonctionner sans vous » avant de terminer par « l’assurance de sa haute considération ». Venant de De Gaulle, l’hommage n’est pas mince  ! J.-F. F.

Leon Blum, un portrait, Pierre Birnbaum, Éditions Le Seuil, 2016, 20 €
Article paru dans Le Serment 360


Les guérir

LES GUERIRLe médecin nazi danois Carl Vaernet est mort à Buenos aires en 1965 à l’âge de soixante-douze ans d’une rupture d’anévrisme. Le 5 mai 1945, Carl Vaernet avait été arrêté chez son frère, et, comme d’autres collaborateurs nazis, détenu à Alsgade Skole, à Copenhague. Il avait été interrogé par les services de renseignements danois et la mission britannique militaire au Danemark. En septembre il fut considéré comme un criminel de guerre et, à ce titre, déféré devant le tribunal de Nuremberg qui allait juger les médecins nazis en janvier 1947. En novembre, à la suite d’un accident cardiaque, il fut hospitalisé trois mois puis autorisé à poursuivre sa convalescence chez son frère. Le médecin lui donnait une espérance de vie limitée. En août 1946 son état s’étant, selon les médecins, détérioré, Vaernet fut autorisé à se rendre en Suède pour suivre un nouveau traitement. En décembre 1946 il rendit visite à un médecin d’Amsterdam. Puis sa trace fut perdue. On le retrouvera au Brésil, puis enfin en Argentine. Le Danemark demandera vainement son extradition puis abandonnera ses démarches en février 1949.
De quel crime de guerre Vaernet était-il coupable ? C’est le sujet que traite, sous une forme légèrement romancée, Olivier Charneux, dans son livre Les Guérir. Et Buchenwald y tient une bonne place. Car le docteur Vaernet s’y livra, avec l’autorisation express d’Himmler, à une série d’expériences sur des détenus homosexuels allemands dans le but de Les guérir, les guérir de ce que Vaernet considérait comme une maladie les rendant malheureux.Eugen Kogon, dans l’Etat SS a parlé de ce médecin qui arrive à Buchenwald à l’automne 1944 et qui injecte des hormones synthétiques à des cobayes homosexuels et procède également à des essais sur des castrats.Le texte que nous propose Charneux est dense, rapide, proche d’une biographie. Mais il est totalement centré sur son sujet : dire ce qui conduit Vaernet à s’intéresser médicalement aux homosexuels, et à considérer qu’une thérapie peut les rendre « normaux ». Montrer comment ce projet est soutenu par la haute hiérarchie nazie en lien avec des laboratoires.C’est au block 46 qu’eurent lieu les expériences. On retrouve dans le récit de Charneux le docteur Ding-Schuler et le kapo Arthur Dietzsch, on découvre la personnalité des cobayes. L’écriture est sobre, rigoureuse, ne s’autorise aucun détour. Un seul cobaye a survécu.
« Faire connaitre un personnage et des faits historiques totalement oubliés ont été mes motivations principales pour écrire ce livre. Des expériences médicales sur des déportés homosexuels ont été menées en 1944 au camp de Buchenwald par un médecin danois devenu nazi Carl Værnet qui n’a jamais été inquiété ni extradé d’Argentine où il a fini ses jours en 1963. Mon but était de raconter son parcours de 1914 à 1945 hors de tout manichéisme et diabolisation, dans sa banalité même. Værnet n’est pas Mengele. La rapidité et la facilité avec laquelle se sont mises en place ces expériences sont sidérantes. Il a suffi d’un terrain favorable conjuguant une pensée eugéniste assez répandue en Europe et dans les pays anglo-saxons, un médecin ambitieux et opportuniste, une industrie pharmaceutique avide de dividendes et la rencontre avec un pouvoir politique réceptif (Himmler a reçu Værnet, l’a financé, lui a ouvert les portes de Buchenwald et fournit les cobayes) pour qu’une minorité soit réduite au rang de souris. Certains propos entendus au moment de La manif pour tous conjugués aux résultats inquiétants du FN et à certaines déclarations politiques évoquant la « race blanche » m’ont convaincu de la nécessité d’écrire ce livre, dédié aux victimes. Le roman permet de révéler des comportements, de raconter l’Histoire dans le quotidien, de mettre en situation de vrais discours politiques ou médicaux, de montrer l’aveuglement d’un homme d’une façon concrète et vivante. » Olivier Charneux

Article paru dans Le Serment 360


Lettres d’un ouvrier déporté

lettres-ouvrier-deporte-dietz-zPaul Le Goupil, déporté à Langenstein, m’a adressé ce livre pour que je le porte à votre connaissance. Je l’en remercie car il retrace l’itinéraire d’un homme William Letourneur et ses difficiles conditions tout au long de sa captivité au travers de ces extraordinaires courriers conser- vés par la famille.
William Letourneur est né le 24 février 1898 à Pont Audemer. A cette époque sa mère était déjà veuve, et mère de deux autres garçons. Lors de la première guerre mondiale il est envoyé au front où il sera blessé. Après la guerre, il se syndique et adhère au parti communiste. Lors de la seconde guerre mondial, il s’en- gage très rapidement dans le mouvement de résistance Front National. Il est arrêté le 3 mars 1943 sur dénonciation et est incarcéré à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen. Commence alors une extraordinaire corres- pondance avec son épouse Hélène où il dé- crit autant que faire ce peut ses conditions de détention. De la prison, il demande à son épouse de transmettre des nouvelles des autres détenus, par le biais d’un pot à double fond mis avec le linge après lui avoir expliqué comment le réa- liser. Ainsi il pourra faire passer des messages aux familles des autres résistants. Du 7 mai au 26 juin 1943 il est à Compiègne. Il continue sa correspondance et explique que les conditions sont moins difficiles. Il demande à son épouse des vivres et précise qu’il partira sûrement en Allemagne. Effectivement il fait partie du convoi du 25 juin 1943 qui arrive à Buchenwald le 27. Il reçoit le matricule 14516. Il reste au camp jusqu’au 26 janvier 1944 où il est transféré à Lublin (matricule 9316). Il y restera jusqu’au 22 juillet 1944 où il est à nouveau transféré à Auschwitz (matricule 190530) d’où il sera libéré le 27 janvier 1945. C’est après un long voyage de retour qu’il retrouvera sa famille le 10 mai 1945.
Nous suivons son parcours au travers des très émouvantes lettres échangées avec Hélène. Ces lettres sont reproduites dans le livre et retranscrites car parfois difficile à lire en raison de la qualité du papier utilisé. Les témoignages de Paul Le Goupil, Floréal Barrier et René Louis Besse viennent éclairer le lecteur et enrichir le récit historique.
C’est son arrière petit-fils, Pierre Dietz, de nationalité allemande, car sa mère, la petite-fille de William Letourneur, a épousé un allemand, qui a réuni ces courriers pour en faire ce très beau livre, illustré par ailleurs, de nombreux dessins d’Auguste Favier et Pierre Mania, de photos et reproductions d’affiches d’époque, additionné de graphiques retraçant les parcours successifs de William Letourneur.

Pierre Dietz, Éditions Charles Corlet,14110 Condé-sur-Noireau, juillet 2015, 298 pages, 22 euros
Article paru dans Le Serment 359


De Poitiers à Bergen-Belsen. Mémoire d’un résistant-déporté

POITIERSNé en 1886, médecin et maire de la commune de Latillé, dans la Vienne depuis 1929, le Docteur Armand Roux s’engage dans la résistance des 1940 : Faux papiers, passage de la ligne de démarcation, aide aux réfractaires, etc. En septembre 1942 il intègre l’un des réseaux du SOE britannique, le réseau Artist et étend son action à la réception de parachutages d’armes et de matériels et à l’entretien de filières vers l’Espagne. Sans doute trahi, il est arrêté par la Gestapo en février 1944, incarcéré à Poitiers, conduit vers Compiègne en avril 1944 et embarqué dans le convoi dit des « tatoués » vers Auschwitz, le 30 avril. « Le bruit se répandait (à Compiègne) qu’il s’agissait de représailles pour l’affaire Pucheu » écrit-il dans le journal qu’il rédigea à son retour des camps et qui est enfin publié. On sait que ce convoi fut des le 14 mai renvoyé vers Buchenwald, le Dr Roux écrivant à ce sujet que Kramer, le commandant d’Auschwitz « ayant été fort troublé de constater qu’il n’y avait là que des Français catholiques (…) et ne voulant pas endosser la responsabilité (de leur) exécution». Le 15 mai le train est à Buchenwald. Armand Roux devient le matricule 52 845 et est dirigé vers le block 51 du petit camp où il reste jusqu’en juillet avant d’être au block 57. Il est alors intégré dans le kommando du Holzhof puis dans celui de la ferme. Fin juillet 1944 le voici dans le grand camp au block 45. Fin août il assiste au bombardement de la Gustloff et est ensuite muté, avec l’aide de Marcel Paul, au grand Revier comme « Häfling Artz », détenu médecin. Le 15 septembre c’est donc comme médecin qu’il part pour le Kommando de Holzen en cours d’installation. En avril ce camp est évacué en direction de Bergen-Belsen où les détenus survivants, décimés par une succession de bombardements des voies parviennent le 10 avril. Le 15 le camp est libéré par les troupes anglaises. Fin mai le Dr Roux rentre en France. Le 7 juin il est accueilli dans sa commune dont il restera maire jusqu’en 1957. Il décèdera en 1960.Son témoignage est exceptionnel : Détaillé sur les conditions de vie, précis à l’extrême dans les descriptions, souvent accompagnées d’un croquis de situation. Dur ou compréhensif vis a vis de ceux qui l’entourent. Sa relation du camp de Bergen-Belsen est effroyable. Celle de Buchenwald l’est moins. Ce sont des descriptions de clinicien. Un ouvrage où l’on apprendra beaucoup sur la vie quotidienne des détenus et sur des endroits peu connus du camp comme la ferme.Armand Roux dans la folie du bombardement de Celle, qui avait détruit le train le conduisant à Bergen-Belsen, s’était fait volé ses « trésors ». Parmi eux, les dessins que lui avait confiés Camille Delétang, l’un de ses compagnons à Holzen. Ces dessins ont été retrouvés 67 ans plus tard et font désormais l’objet d’une exposition inaugurée en Allemagne en 2013. L’ensemble constitue un témoignage de grande valeur sur ce que fut la déportation dans les camps nazis de patriotes français.

Armand Roux, De Poitiers à Bergen-Belsen, mémoires d’un résistant-déporté, Geste éditions, La Crèche, 424 pages, 25€
Article paru dans Le Serment 359


Carnet de déportation

Né à Evian en 1908, arrêté le 15 septembre 1943 par la Gestapo, Gabriel Blanc part de Compiègne vers Buchenwald par le convoi du 17 janvier ( Matricule 41233) et est immédiatement transféré vers Dora où il arrive le 12 février 1944. Le 6 avril 1945 il est évacué vers Bergen-Belsen, où il sera libéré le 15 avril. Durant sa déportation, il écrit sur un petit carnet des recettes de cuisine, des listes de denrées alimentaires, des adresses mais surtout des poèmes. Sa famille a conservé ce trésor qui vient de faire l’objet d’une édition

Article paru dans Le Serment 359


BLOCK 46

Couverture Block 46 définitiveAvec le block 50, le block 46  est à Buchenwald, le laboratoire de l’institut d’hygiène de la Waffen SS. Son responsable est le Docteur Erwin Ding-Schuler que seconde le Dr Waldemar Hoven. Le block 50, un laboratoire ultramoderne, est dédié à la recherche de production de vaccin contre le typhus. On sait que la maladie est provoquée par des rickettsies, celles-ci étant transmises à l’homme par les poux. Les rickettsies inactivées par le formol peuvent constituer un vaccin efficace mais on ne sait pas les cultiver à grande échelle en tube à  essais. Diverses expériences sont conduites. A Buchenwald la principale voie choisie est d’infecter des lapins, prélever leurs poumons, qui, une fois broyés et traités au formol  sont transformés en vaccins. Une soixantaine de prisonniers sont  affectés à cette production que conduit Alfred Balachowsky, pasteurien et entomologiste reconnu, membre d’un groupe de résistance rattaché au réseau britannique Prosper, arrêté en juillet 1943 et arrivé à Buchenwald en janvier 1944. Si le block 50 est un block de production, le block 46 est lui le block d’expérimentation. Des détenus y sont transformés en cobayes depuis le début de l’année 1942. On y brûle des détenus au phosphore pour tester des pommades cicatrisantes, on y injecte des hormones à des homosexuels « pour guérir la pédérastie » ; on y cultive des rickettsies sur des prisonniers dont le sang sert ensuite à infecter d’autres cobayes ; on y teste des vaccins et des médicaments contre le typhus et la fièvre jaune… De 1942 à fin 1944, 24 séries d’essais furent menées portant sur un nombre de détenus variable, un millier au total. Qui étaient ces malheureux cobayes ? une poignée de volontaires attirés par des promesses jamais tenues, des « droits communs », des « asociaux », des prisonniers de guerre soviétiques et quelques détenus politiques ». Le kapo du block est un triangle rouge nommé Arthur Dietszch qui est membre de la résistance clandestine du camp.
Bibliographie : Eugen Kogon, L’enfer organisé, 1946, pp 159 / Nicolas Chevassus-au-louis, La recherche, numéro 370, décembre 2003

Le livreL’affaire commence presqu’évidemment  par la découverte d’un cadavre sur une plage suédoise. Un cadavre mutilé dont les mutilations rappellent d’autres cadavres, ceux d’enfants cette fois, découverts auparavant dans la banlieue nord de Londres. Un commissaire suédois, une profileuse britannique, une écrivaine française mènent l’enquête. Mais parfois nous sommes dans la peau du tueur. Ou dans celle de son complice. Un tandem de sociopathes donc. Souvent aussi nous sommes à Buchenwald, au coeur du block 46, en compagnie d’Erich Ebner. Nous sommes arrivés avec lui au camp en juillet 1944, nous connaissons son numéro matricule, nous savons qu’il est Allemand, qu’il est affecté aux crématoires et que bientôt il l’est au block 46 où il devient l’assistant du médecin SS qui…
A la libération du camp, en avril, Erich, interné survivant, a été évacué vers Ravensbrück d’abord puis la Suède, où il s’est installé.
La succession de courts chapitres qui charpentent le livre de johana Gustawsson nous fait aller d’un pays à l’autre, d’un moment à l’autre du présent au passé. C’est une façon habile de brouiller les pistes tout en forgeant des certitudes, sans coup de théâtre. Des indices apparaissent qui lentement se cristallisent pour former solution. Mais ce précipité est-il celui de la vérité ?
Il faut attendre les dernières pages du livre pour se dire « mais oui, bien sûr » !
Pour qui ne savait rien de Buchenwald il apprendra beaucoup. Pour qui savait il ne pourra nier la part de vérité de l’histoire que finiront par trouver les trois enquêteurs.

Johana Gustawsson : « Block 46 est le point de rencontre d’envies et de besoins qui bouillonnaient en moi depuis longtemps : le désir de m’immiscer dans la tête d’un tueur en série et dans celle d’un profileur et de les accompagner dans leur chasse à l’homme ; l’envie de créer un duo d’enquêtrices qui, chacune à sa manière, l’une par la plume, l’autre par la psychologie, se nourrissent des serial killers qu’elles traquent.
Mais le désir le plus impérieux était de fouiller un pan de mon histoire familiale : celui de la déportation de mon grand-père, Simon Lagunas, au camp de concentration de Buchenwald. Je ressentais le besoin d’exhumer les bribes de récits que j’écoutais enfant, à la fois fascinée et terrifiée, de retrouver ses cauchemars de déporté ; rassembler les souvenirs racontés par mon père ; me les approprier pour mieux les ressusciter. Block 46 est ainsi progressivement devenu une plongée dans la Seconde Guerre mondiale et dans l’âme trouble des serial-killers, qui interroge le crime de masse à l’échelle de la grande comme de la petite histoire.
Lors de mes recherches, j’ai découvert une réalité bien plus atroce, barbare et sanguinaire que celle qui m’avait été racontée. Une réalité que j’ai tenté de retranscrire dans Block 46 à travers l’histoire d’Erich Ebner. Une réalité qui au fil d’un thriller classique, rend hommage à la mémoire des survivants de l’enfer des camps, celle des cinquante-six mille victimes qui moururent à Buchenwald, ainsi que des millions d’autres qui périrent dans les camps nazis. »

Article paru dans le Serment N°358


Courage et espoir

COURAGELes témoins disparaissent, leurs familles « rangent » les papiers et découvrent des correspondances, des documents, des photos. Yves Castaingts vient de connaître cette expérience et publie le récit de déportation de son père, instituteur à SaintPalais (zone occupée) mais demeurant à Béhasque-Lapiste (Zone libre) et membre du réseau Brutus. Arrêté en décembre 1943 à Lyon, JeanPierre Castaingts est interné à Montluc, transféré à Compiègne début mai 1944 et embarqué dans le convoi du 12 mai, celui de Ducoloné et Sudreau, vers Buchenwald où il devient le 52292. Il n’est pas, comme il l’écrit « tiré » de ceux qui sont désignés pour partir vers Dora et se retrouve, en juin, à Harzungen, puis en janvier 1945 à Ellrich. Le 3 avril il commence une «marche de la mort» vers Hambourg, puis Brême et Bergen-Belsen. Dans un état de santé pitoyable, il ne prend la route du retour que le 10 juin, et est chez lui le 5 juillet. Les lettres qu’il envoie à ses parents et qui sont également publiées complètent fort utilement la brièveté du récit d’origine, de même que les quelques allocutions qu’il prononça sur la tombe de ses camarades de résistance ou de déportation, ou les articles qu’il fit paraître dans l’hebdomadaire de la fédération socialiste des Basses Pyrénées (aujourd’hui Atlantiques) Le Travail. On y remarque la solidarité permanente des Basques.
Le poème que lui dédie le troubadour Jean-Pierre Gaubert en fin d’ouvrage résume parfaitement ce qu’a été « Ce Jean-Pierre là », instituteur, résistant, militant de la République et du Progrès, apôtre des lendemains mais aussi de l’Ovalie, « cœur ardent à s’engager ».

Yves Castaingts, Courage et espoir, L’Harmattan, 2015, 200 p. 20euros.
Article paru dans le Serment N°357


Plus fortes que la mort

CV_PlusForteMortOK4.inddQuelques unes de ces «femmes oubliées» plus connues aujourd’hui, que notre association avait présentées en 2007 sont les actrices de la courte étude que MarieJosèphe Bonnet vient de consacrer aux gestes d’amitiés, de solidarité, que les déportées ont pu pratiquer dans les camps tout simplement pour survivre.
Le mérite de ce livre est d’utiliser une quarantaine de témoignages féminins pour mettre en valeur le tissage de liens sociaux voire amoureux pour résister à la déshumanisation, par-delà les clivages sociaux et nationaux. Cette approche complète utilement des travaux plus académiques menés notamment par Claire Andrieu ou Christine Bard sur la déportation féminine.

Marie-Josèphe Bonnet, Plus forte que la mort, Editions Ouest France, 176 p., 13euros
Article paru dans le Serment N°357


La Mémoire de la Déportation

histoire_SHOAHOn connaît le travail pionnier d’Olivier Lalieu sur le « devoir de mémoire », ses travaux sur la mémoire de la déportation, son livre sur la résistance française à Buchenwald qui complète utilement le livre que Pierre Durand avait écrit il y a près de quarante ans sur le même sujet. C’est à la mémoire de la shoah qu’il consacre sa dernière étude. De facture classique, suivant une chronologie que lui dictent les événements et la société, le temps gaullien, le temps Klarsfeld, le temps Chirac Olivier Lalieu montre l’émergence publique d’une mémoire juive de la déportation, qui va supplanter la mémoire résistante et politique de celleci. Quelles sont les raisons de ce paradigme, si paradigme il y a ? Olivier Lalieu refuse de se situer dans cette alternative. Il parle d’évolution et non de rupture, décrit les facteurs endogènes et exogènes de cette situation : A la libération, 3000 rescapés «raciaux», 50 000 survivants « résistants et politiques ». L’ordonnance de 1945 qui définit un statut du déporté en le plaçant sous le signe de la résistance. Des témoignages et une mémoire où dominent, dans l’immédiat après guerre Buchenwald et Ravensbrück. Une amicale d’Auschwitz qui contribue à asseoir «l’image d’un camp à part par l’ampleur des crimes commis et les moyens employés par les nazis et en même temps d’un sort non spécifique aux juifs ». La création d’une Association d’anciens déportés juifs de France où l’antifascisme prédomine. L’autonomisation de la perception du génocide est liée aux procès qui s’ouvrent dans les années 1960 puis au renouveau historiographique des années 1970. Elle s’affirme avec des reconnaissances législatives et institutionnelles au début des années 1990, une présence inédite dans la culture de masse au gré d’inflations littéraires ou cinématographiques. La page n’était pas blanche en 1945, conclut Lalieu, la Shoah s’est échappée de la globalisation. Il faut conserver dans l’avenir une mémoire collective des victimes du nazisme.

Olivier Lalieu, Histoire de la mémoire de la shoah, éditions Soteca, 250 p. 22euros.
Article paru dans le Serment N°357


Une Jeune fille qui a dit non

Livre Une jeune fille qui a dit NON P 11La parution du Petit Cahier sur les évasions des Marches de la mort, nous a permis de découvrir le récit de notre amie Juliette Bes Une jeune fille qui a dit non, déportée à Ravensbruck, envoyée en juillet 1944 au Kommando de Leipzig-Schönefeld puis jetée sur les routes dans la nuit du 13 au 14 avril, pour une errance qui s’acheva le 8 mai 1945.
Cette longue route, Juliette Bes en raconte les jours et les nuits, et la transformation d’une colonne de femmes en troupeau puis en horde. Le groupe s’est disloqué quand les gardiens SS ont disparu. Avec quelques «copines», Juliette a erré jusqu’à se retrouver seule avec l’une de ses camarades, Paulette, et devoir affronter les balles et les hommes. Elles ont échappé aux premières et ont dû se protéger des seconds, trouvant chez les uns convoitise et chez d’autres compassion.
Début mai, elles ont croisé un camion américain. La liberté et le retour vers la France n’ont pas été une chose simple mais enfin ce fut Paris.
«Ai-je repris une vie normale ? écrit Juliette Bes. Lorsque je suis rentrée je n’avais pas 22 ans, j’étais devenue vieille. Il m’a fallu des années pour retrouver mon équilibre, pour réapprendre à sourire, à ne plus avoir peur».
Ce court témoignage, édité chez Cap Bear éditions, ferait un beau film. Il montre le cheminement qui a conduit de nombreux jeunes ayant grandi dans un climat de luttes sociales, de solidarité antifasciste à s’engager dans la résistance, être arrêtés, déportés, qui, après guerre, se sont reconstruits et, en témoignant, poursuivent leur engagement.Juliette Bes, Une jeune fille qui a dit non, Cap Bear Editions, 114 pages, 12 euros
Article paru dans le Serment N°356

Souvenirs, souvenirs

André Boulicault, fils d’Henri, déporté à Buchenwald (Mle 44478) vient de coucher sur le papier quelques «éclats de vie» qui éclairent son parcours d’enseignant, d’éducateur, de militant, d’honnête homme engagé. C’est un texte écrit d’abord pour sa famille et ses amis, où sont mis en valeur quelques épisodes de sa vie personnelle dans un désordre chronologique. Né en 1934, André a eu une enfance «fracassée» par le nazisme avec la disparition de son père, secrétaire du syndicat CGT des cheminots de Chagny, en Bourgogne, militant communiste, conseiller municipal de la ville, tôt passé dans la résistance FTP puis arrêté et déporté à Buchenwald où il est mort le 6 mars 1944. C’est en lisant le courrier qu’André Boulicault a adressé au célèbre psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, que le poids du père disparu prend toute son importance pour comprendre les engagements du fils dans la laïcité, l’éducation populaire, et la transmission de la mémoire de la déportation dont il est encore, à plus de quatre-vingts ans un ardent protagoniste.

André Boulicault, Souvenirs, souvenirs, 15 euros sur commande à : boulicault@orange.fr
Article paru dans le Serment N°356


L’Enfer réglementé

Livre Nicolas Bertrand L'enfer réglementé P 11La thèse de Nicolas Bertrand sur l’encadrement normatif qui s’est appliqué aux camps de concentration nazi apporte un éclairage nouveau au fonctionnement de ces camps. Jorge Semprun avait écrit, dans Quel beau Dimanche ! que «tout était administré, classé, répertorié, inventorié et contresigné à Buchenwald», que «l’ordre bureaucratique règne sur l’empire SS», et il avait raison. Cette administration obéissait à des règles de droit, comme le démontre parfaitement le remarquable travail de M. Bertrand. Avec la minutie du juriste, il reconstruit les procédures précises qui gèrent la détention, de l’arrivée du détenu au camp jusqu’à l’incinération de son cadavre et le traitement de ses cendres. Cet encadrement normatif, invisible du déporté qui ne perçoit que le règne de l’arbitraire, comme le relève avec la vision du témoin Stéphane Hessel dans la préface de l’ouvrage, est fait pour broyer le détenu après avoir exploité sa force de travail. Mais il a une autre fonction : légitimer les violences de l’encadrement. Le SS qui frappe et tue agit «dans les règles».
Le travail de N. Bertrand permet de mieux comprendre la question du courrier ou des colis, la gradation des châtiments, les différents statuts du travail dans les camps, etc. Plus fondamentalement il apporte de nouveaux éléments aux discussions sur la nature du régime nazi souvent considéré comme un régime arbitraire dans lequel l’ordre de la terreur peut s’exercer sans contrainte.
Cependant, comme en convient Nicolas Bertrand, s’il existe des règles, ce sont celles d’un régime totalitaire, souvent à discrétion de celui qui les applique, mais permettant au camp de fonctionner conformément à un ordre d’apparence juridique et rationnelle.

Nicolas Bertrand, L’Enfer réglementé, le régime de détention dans les camps de concentration, Perrin, 400p. 23,90 euros
Article paru dans le Serment N°356


Une Vie contre une autre

COMBESÀ Buchenwald en 1944, des communistes allemands sauvent un enfant juif âgé de trois ans d’un convoi pour Auschwitz en rayant son nom de la liste. L’histoire de cet enfant servira de trame au livre de Bruno Apitz Nu parmi les Loups. Si cet enfant a été sauvé, un autre est parti à sa place. Ces «échanges de vies» ou de vie contre un mort, comme le raconte Semprun dans Le mort qu’il faut en 2001 étaient connus et acceptés comme une nécessaire solidarité. Mais les circonstances du sauvetage de cet enfant là et la découverte de procès secrets menés à la fin de la guerre dans la zone d’occupation soviétique et en RDA contre des détenus politiques anti-nazis, devenus kapos de Buchenwald, procès qui conduiront certains d’entre eux à la mort, posent une multitude de questions soulevées dès la libération puis revenant régulièrement au gré du contexte politique (en France dans les procès faits à Marcel Paul notamment à la fin des années 1940) puis des interprétations historiques. En Allemagne, la parution du livre collectif de Niethammer sur Les Kapos rouges de Buchenwald, en 1994 puis celle du documentaire éponyme de Bönnen et Endres en 1996 marquent à ce titre un tournant.
Fondée sur l’écoute de témoignages essentiellement collectés par la Shoah Foundation, sans que ce choix soit clairement explicité, croisés avec une partie de la littérature mémorielle ainsi qu’avec des archives personnelles de déportés (notamment celles de David Rousset), l’étude de Sonia Combe veut montrer comment la substitution de déportés a pu être une modalité de survie dans les camps de concentration dont ont bénéficié aussi bien Stéphane Hessel qu’Imre Kertész ou encore Jorge Semprun pour citer des noms connus. Analysant la pratique de l’échange comme une situation à laquelle médecins déportés et prisonniers politiques ont été confrontés au quotidien, elle s’interroge sur les usages de la révision de l’histoire de l’antifascisme dans l’Allemagne actuelle. Sans idéaliser la conduite des détenus comme avait pu le faire une certaine vulgate de la résistance antifasciste, ni la condamner au nom de l’éthique, elle cherche à comprendre l’évolution des jugements portés sur la pratique de «l’échange de vie» dans les camps en fonction du nouveau climat politique et d’une reconfiguration des mémoires.
La réception de son livre en France a été instrumentalisé par une partie de la presse, et ces critiques ont été l’objet de vigoureuses réactions d’anciens déportés, dont nos amis Viens et Herz. Sonia Combe a accepté de répondre à leurs objections.
Historienne, chercheuse à l’ISP-CNRS (Université de Paris-Ouest) et chercheuse associée au Centre Marc Bloch, à Berlin, où elle a enseigné à l’université Humboldt et à la Freie Universität, Sonia Combe est l’auteure notamment de Archives interdites, L’histoire confisquée (La Découverte, nouvelle édition 2001) et Une société sous surveillance, les intellectuels et la Stasi (Albin Michel, 1999).
Dominique Durand

La réponse de Sonia Combe : « Je crois avoir expliqué dans ma préface les raisons de cette étude : dans le prolongement de mes recherches sur la réécriture de l’histoire dans la période de l’aprèscommunisme, le traitement du sauvetage de Stefan J. Zweig m’est apparu comme un cas d’école : on « découvre » qu’il a été échangé et cet échange serait la preuve que les héros de la Résistance antifasciste glorifiés par la RDA ne seraient pas des héros. On parle désormais de « mythe antifasciste » et de « légende » du sauvetage. Cette nouvelle vision de l’histoire a deux conséquences sur le remaniement de l’exposition du Mémorial : a) surévalué par la RDA, le rôle des antifascistes (essentiellement communistes) à Buchenwald est désormais minoré (le mot « communiste » est pratiquement banni des panneaux d’explication) ; b) la surexposition du cas de Stefan J. Zweig dans l’exposition (exhibition de la liste) vise à détruire un mythe de l’idéologie antifasciste estallemande. Malheureusement elle ne conduit pas à l’essentiel, soit à expliquer cet aspect de la « zone grise » que constituait l’échange. De surcroît, il s’agit, vis-àvis de Stefan J. Zweig, d’un manque de tact (Herzenstakt, comme on dit en allemand) de la part des commissaires de l’exposition dont le directeur reste, en dernière analyse, le responsable. Quel était alors le but recherché ? Son cas donne l’impression d’avoir été surtout utilisé pour délégitimer l’historiographie et l’exposition de la RDA.
Mon objectif n’était pas d’écrire l’histoire de Buchenwald. D’autres (que je cite) l’ont fait et sont bien plus qualifiés que moi pour l’écrire. Je me suis concentrée sur une pratique, reprochée aujourd’hui aux antifascistes, qui est celle de l’échange de victime dont je crois avoir démontré qu’elle relevait du quotidien. Comme il n’existe pas d’ouvrages qui lui soient consacrés, j’ai recherché dans la littérature mémorielle des références à ce procédé (ma connaissance des archives et de l’œuvre de David Rousset m’a beaucoup aidée) et j’ai pensé que c’étaient dans les témoignages oraux ou audiovisuels que je pourrais en trouver. Il est rare, ou alors sous la plume sophistiqué de Semprun, qu’on trouve mentionné dans un récit avoir été échangé et cela se comprend. Les entretiens écoutés ont confirmé mon hypothèse et leur indexation, notamment pour ceux recueillis par la Shoah Foundation, comme je l’explique, en permettait le repérage.
En ce qui concerne les archives, celles de Buchenwald sont à Bad Arolsen où je me suis rendue et j’ai pu voir des listes de convois pour Auschwitz ou pour des commandos de travail. Des noms y sont bel et bien rayés et remplacés, ce qui atteste de la pratique de l’échange. Je doute qu’elle soit inscrite dans les documents produits à Buchenwald. »

Article paru dans le Serment N°353


Si j’avais su, j’aurais pas entendu

-si-j-avais-su-j-aurais-pas-entendu-une-enfant-et-le-silence-des-deportes-de-marie-jose-bernanose-van-gheluwe-livre-896627407_LCheffe d’entreprise Marie José Bernanose – Van Gheluwe raconte, dans un langage simple et précis, ses souvenirs d’enfant face au silence des déportés. Son grand père paternel, engagé dans le réseau Turma Vengeance est mort à Buchenwald. Sa grand mère paternelle, elle aussi membre de ce réseau, a été déportée à Ravensbrück. Son père a été déporté à Dachau et est mort quelques années plus tard. Elle avait alors quatre ans. Elle n’a appris ce passé que par bribes et a enfin compris des silences, des attitudes, disons le des manies, tous ces signes qui ont parfois hanté ses rêves. Les chapitres sont courts, liés à ses souvenirs dont l’empilement problématique ne trouvera son explication que tardivement.
Cela commence par l’affaire du Liquide vaisselle pour dégraisser les assiettes, passe par ces noëls qui ne sont pas des noëls, évoque les miettes de pain ramassées sur la table, raconte les visites au médecin, l’inquiétude et la tristesse d’une mère.
Ces fragments de mémoire sont écrits avec les mots de la vie courante et les lecteurs de ma génération y retrouveront sans doute des lambeaux de leurs propres souvenirs.
L’auteur de cet ouvrage témoigne désormais dans les collèges normands où sa parole est très écoutée. Elle n’a pas été témoin déportée mais elle sait dire la reconstruction mémorielle à laquelle elle s’est livrée pour évoquer ce que fut la déportation des siens et les séquelles qui en ont imprégné sa vie.
Si j’avais su, j’aurais pas entendu, une enfant et le silence des déportés, éditions Fabert, 15 euros.

Article paru dans le Serment N°353


Les amis séparés

Livret réalisé par les élèves de la classe de CM1 CM2 de l’école Matisse à Vesoul (70), pour le concours départemental de la Résistance et de la Déportation 2012 : ils ont obtenu le premier prix. Pour préparer ce concours, Colette Gaidry (Présidente de l’ANACR 70) les a rencontrés pour expliquer ce qu’est la déportation, à l’aide de dessins d’un enfant déporté, Thomas Geve, réalisés à la libération de Buchenwald. Ils ont imaginé une fiction mettant en scène deux enfants de leur âge, qui vivent des situations ayant réellement existé.

Edité par l’ANACR 70. Prix : 3 euros (4,55 euros avec port) Commander à Colette GAIDRY, 5 rue de Franche Comté, 70000 VESOUL
Article paru dans le Serment N°353

Ouvrage disponible à l’association à l’adresse ci-dessous au prix de 3 €, (frais de port : 2€) Association française Buchenwald, Dora et kommandos 3/5 rue de Vincennes 93100 Montreuil – Téléphone : 01 43 62 62 04 – Fax : 01 43 62 63 08 Mail : contact@buchenwald-dora.fr


Auguste Celse, dit le Guste, matricule 40035

Le parcours tragique d’Auguste Celse, dit le Guste, ressemble à celui de mon oncle, Marcel Thouplet – matricule 41163. Tous deux sont arrêtés le même jour lors de la manifestation patriotique du 11 novembre 1943 à Grenoble, internés à Compiègne pendant deux mois, puis déportés à Buchenwald dans le même convoi le 17 janvier 1944. Auguste se retrouve dans le block 62, oncle Marcel dans le block 51. Le premier est transféré à Dora le 11 février, le second deux jours plus tôt.
A son retour de déportation, Auguste Celse consigne son calvaire dans un cahier d’écolier pour l’enfouir aussitôt au fond d’un tiroir et tenter de l’oublier. Mais cette précieuse mémoire resurgit 60 ans après grâce à son fils, Jean-Pierre Celse, et au journaliste Claude Muller qui décident de publier son récit.
Auguste est dépouillé de tout. Il connait la désinfection, la faim, les appels interminables, les nuits sans sommeil sur des châlits pouilleux. Puis c’est la sélection et le départ pour les tunnels de Dora. Auguste y travaillera 12 heures par jour pendant 14 mois sous la férule de gardiens sadiques et brutaux. Sa première équipe compte 118 déportés. Trois mois plus tard, ils ne sont plus que 18 encore vivants ou en état de travailler. Auguste tient bon grâce aux colis et aux photos objets strictement interdits que sa femme lui envoie. Au mois de janvier 45, il assiste à l’arrivée d’un convoi de déportés évacués d’Auschwitz. Véritable spectacle d’épouvante. 4000 personnes entassées dans des wagons sans eau et sans nourriture pendant 13 jours. Peu d’entre elles survivent. Les rations alimentaires, déjà bien maigres, diminuent et les exécutions sommaires se multiplient ; Auguste doit défiler devant ses camarades pendus. Mais les troupes alliées se rapprochent et l’ordre d’évacuation est lancé le 4 avril 1945. Débute alors un voyage-supplice de 10 jours dans des wagons à bestiaux, sans nourriture et sans hygiène, puis à pied sur un terrain difficile. Certain de ne pas survivre, Auguste pleure et transmet ses dernières volontés à un camarade qui parvient à le réconforter. Le 14 avril, affamé et épuisé, il atteint le camp de Ravensbrück. Il y restera jusqu’à son évacuation le 26 avril. Auguste doit repartir sur les routes. Deux jours plus tard, à son réveil sur les bords d’un lac, il s’aperçoit que les gardiens ont disparu. Auguste est libre ! Hélas, le retour en France n’est pas une mince affaire. Auguste et ses camarades voyagent par leurs propres moyens jusqu’à Ludwigslust. Pris en charge par les armées américaine et anglaise, ils se retrouvent dans le camp de rapatriement de Rheine. Pour Auguste, un nouveau voyage en train commence à Kevelaer. Le trajet sera : KevelaerBruxelles, puis Bruxelles-Hasbruck dans le nord de la France. Après un arrêt à Lyon, Auguste arrive enfin chez lui, à Grenoble, le 22 mai 1945.
Isolé, loin de la France et des êtres qui lui sont chers, Auguste nous décrit au fil des pages sa souffrance morale et physique : les privations, le froid, la sauvagerie des S.S. et des kapos – il est férocement battu à plusieurs reprises. Il explique le processus de deshumanisation du système concentrationnaire nazi : lorsque les hommes en sont réduits à voler dans les gamelles des chiens pour survivre. Mais le récit d’Auguste est aussi truffé d’anecdotes qui révèlent une camaraderie à toute épreuve, un espoir toujours latent, toujours précieux, et une extraordinaire résistance de l’homme dans les pires conditions.
Oncle Marcel aussi est rentré de déportation, mais rongé par la maladie. Une maladie inoculée volontairement par un médecin nazi. Cobaye humain pour des expériences médicales sur la tuberculose, il n’a jamais pu recommencer sa vie là où elle s’était arrêtée un 11 novembre 1943 à Grenoble devant le monument des Diables Bleus. La maladie finit par l’emporter un jour de mai 1962, à l’âge de 38 ans.
Agnès Barnard

Auguste Celse – Ma déportation, Editions Claude Muller 594 rue du Brocey 38920 Crolles-Prix 15 euros (+frais de port)
Article paru dans le Serment N°352


Vingt-trois mois dans les camps nazis

MulierMembre de notre association, André Mulier a voulu dans son livre raconter sa vie avant, pendant et après la déportation car ces trois périodes sont inséparables. La première, par la résistance, l’a conduit à Buchenwald et Langenstein. Typographe de formation, le journal de Pithiviers L’Avenir où il travaille étant interdit par les Allemands en 1942, il est embauché à la Société nationale de constructions aéronautiques du Nord, en banlieue parisienne, où il sabote du matériel destiné à l’occupant. Il rentre dans la résistance au Front national de Libération. Il est arrêté avec une partie de son groupe pour se retrouver à Compiègne et fait partie du convoi du 25 juin 1943. Décrivant la vie quotidienne à Buchenwald, il parle de son travail à la DAW mais aussi de ses camarades de Pithiviers, dont son ami Albert Muller grâce auquel il obtiendra le poste de stubedienst à Langenstein, Kommando où il est transféré le 26 septembre 1944.
S’il a pu ainsi éviter le travail dans le tunnel, il n’échappe pas à la faim terrible de fin 1944. Evacué le 9 avril 1945, il s’échappe avec d’autres de la «marche de la mort». De retour à Pithiviers le 9 mai 1945, il souffre des séquelles de sa déportation. De nombreuses opérations, à partir de 1951, dix jusqu’à maintenant, affectent son moral et il connaît plusieurs dépressions. «Le camp nous a littéralement démolis, physiquement et moralement …la déportation a complètement bouleversé ma vie….c’est impossible d’oublier.»
Il se bâtit néanmoins une nouvelle vie, se marie, a deux enfants et reprend son travail de typographe à Pithiviers puis à Orléans. Il a, à nouveau, des activités sportives et musicales mais surtout il partage des moments heureux avec ceux qu’il appelle «des amis pour la vie», tous anciens déportés. Avec eux, il se donne pour mission de faire connaître la déportation à travers l’association des Mutilés du Loiret, l’UDAC et l’AFMD. Son livre est à la fois un témoignage et un flambeau de la Mémoire de la Déportation qu’il veut transmettre.

Marie-France Reboul André Mulier, Vingt-trois mois dans les camps nazis Buchenwald et Langenstein, L’Harmattan, 2013
Article paru dans le Serment N°351


La Déportation dans les camps nazis

racontezmoiCette nouvelle édition de 56 pages, ouvrage relié et illustré, insiste sur la déportation en France et explique les particularités des principaux camps en Europe. L’ouvrage explique également les raisons de la montée du nazisme en Allemagne et de son expansion dans toute l’Europe. Il décrit ce que furent les camps de concentration et d’extermination : le voyage, la vie dans les camps, les maladies, les violences mais aussi la Résistance et la solidarité. Le livre relate la fin des camps : la libération, le procès de Nüremberg et aborde également le devoir de mémoire face à cette atrocité que fut la déportation. Les encarts « Saviez-vous que… », véritable ADN de la Collection du Citoyen, complètent la lecture en la rendant plus pédagogique. Ce sont des précisions ou des commentaires originaux, qui dépassent le cadre purement informatif et permettent d’élargir sa culture générale.
Par exemple : « Saviez-vous que… Les crimes contre l’Humanité sont imprescriptibles, c’està-dire que leurs auteurs peuvent être poursuivis jusqu’au dernier jour de leur vie. ».
La déportation est un événement capital et terrible de notre histoire. Connaître la réalité des camps est nécessaire pour éveiller les consciences face à toutes formes de barbarie. Cet ouvrage, Racontez-moi… La Déportation, a pour but de faire découvrir aux lecteurs cette période noire de l’Histoire, de faire savoir ce qu’ont été ces camps de l’horreur.
Un livre indispensable pour découvrir avec des mots simples un fait capital de l’Histoire.
Explique-moi… racontez-moi, expliquez-moi… raconte moi, La déportation dans les camps nazis
Auteur : Agnès Triebel
Préface : Marie José Chombart de Lauwe, présidente Fondation Mémoire de la Déportation
Format : 15 x 21cm, 56 pages, Ouvrage relié illustré
Editeur : NANE Editions
ISBN : 978-2-84368-106-6

Prix public : 10 euros TTC (13 euros port compris)
Article paru dans le Serment N°350


Les Loups de Germanie

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Publié sous forme de feuilleton dans un journal local de l’Eure en 1946, le récit de la déportation de Raymond Levasseur, ancien séminariste, à Buchenwald et Neu-Stassfurt est réédité pour la quatrième fois. “Les Loups de Germanie”, est un témoignage poignant et authentique, construit à partir des notes d’un jeune déporté, depuis son arrestation dans l’Eure par les SS en mai 1944 alors qu’il est entré dans la résistance et cherche à établir un contact avec Le Front national de libération jusqu’à son évasion d’une marche de la mort, un an plus tard.
Chaque étape est évoquée avec précision, dans un style clair et d’une lucidité parfois brutale. Pour la préface à une réédition antérieure, R. Levasseur, décédé en 1982 avait publié le courrier que lui avait adressé un de ses lecteurs, compagnon de déportation. Celui-ci écrivait «Chacune des pages des «Loups de Germanie» a pénétré dans ma chair, tes souvenirs sont mes souvenirs, tes souffrances sont les miennes, tes déceptions, tes colères, tes angoisses font partie de mon passé et peut-être de mon présent.(…) Ton livre est plein de choses qui résonnent en ma mémoire et de cris que j’étouffe encore en ce moment.(…) Puissent les générations futures se pencher sur des livres comme le tien, s’y réfugier, imaginer les méfaits d’un peuple qui s’est laissé diriger par une meute et accepter le spectacle que nous avons connu !»

Les Loups de Germanie, éditions Charles Corlet,19 €
Article paru dans le Serment N°350


UN PARCOURS AGITÉ
De Émile Gente

Notre ami Emile Gente, plus de quatre-vingt-dix ans aujourd’hui, s’est enfin décidé à fixer par écrit les souvenirs qu’il livre avec une passion exemplaire depuis des années aux plus jeunes : il y raconte l’inhumanité des hommes, lorsqu’ils deviennent racistes ou xénophobes sous différents drapeaux. Robert Charvin, Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Nice a raison de souligner, dans sa préface la «vie d’honnêteté, de désintéressement, de refus des compromissions, de fidélité de l’auteur,» que ce récit, ou plutôt ce témoignage, illustre. C’est un homme du nord, de ceux dont les parents ont vu passer les Hulans pendant la grande-Guerre, de ceux qui n’ont pu poursuivre leur scolarité, réservée à l’ainé, et qui se sont retrouvés au boulot dès la sortie du Primaire. Travaillant ici et là, suivant des cours du soir, pas malheureux, Emile a 15 ans au moment du Front Pop’. Il s’engage contre l’extrême-droite. Il est mobilisé en juin 1940, a dit-il, «juste le temps de s’habiller en militaire et de disposer d’un fusil sans bandoulière» pour suivre l’armée qui recule, « sans provisions, ni nourriture ». Parce qu’il est de la classe 1939, le voici en chantiers de jeunesse, en Lozère, et enfin démobilisé il revient chez lui. Il y retrouve ses « copains », rentre aux FTP et de juin 1943 à avril 1944 assure des liaisons entre des groupes et avec les FFI. Arrêté, il arrive en août 1944 à Buchenwald. Il faut lire son récit de l’arrivée à la gare de Weimar, son entrée dans le camp. Comment se retrouve –t-il au block 26 et à la blanchisserie du camp, qui côtoie-t-il ? Le témoignage d’Emile Gente est précis, explicatif. Le 8 avril 1945 il part dans une colonne, une marche de la mort dont il s’évade le 28. Il croise les troupes Américaines le 1er mai, est en France vers le 8 ou 9 mai. Dans l’élan de la reconstruction, il devient permanent communiste avant de rompre avec le Parti assez rapidement. Il entre alors à la Sécurité sociale où il poursuivra sa carrière.
J’ai connu Emile Gente alors qu’il présidait la Mutuelle générale de Nice avec la passion qui l’avait fait survivre jusque là. Elle anime ses mémoires et lui permet de continuer son chemin. Scellé dans la mémoire d’Emile demeure à jamais le souvenir d’une scène originelle qui, régulièrement, refait surface. Ce pacte conclu le 2 mai 1945 entre les quatre jeunes hommes émaciés et tremblants, qui s’étaient évadés : ne jamais oublier les camarades tombés derrière les barbelés et témoigner de l’horreur des camps…Depuis, près de soixante-dix ans ont passé et Emile Gente se remémore la solidarité qu’il avait organisée au block 26. Inlassablement, il continue à dérouler cette page d’histoire, à transmettre ce corpus tissé d’héroïsme, de peur, de sang, de courage et de lâchetés, cette mémoire douloureuse et nécessaire.
DD

Emile Gente, Souvenirs d’un homme libre, intègre et rassembleur, les Amis de la Liberté, 4 rue Fodère, Palais Astraudo 06300 NiceTéléphone : 06.87.09.25.44 Email : amisdelaliberte@yahoo.fr
Article paru dans le Serment N°350