Paul Le Goupil (1922-2017) KLB 53354

Décédé le 10 septembre 2017, Paul Le Goupil KLB 53354, a fait partie du convoi dit des tatoués, avant d’arriver à Buchenwald et d’être envoyé ensuite à Langenstein. Instituteur il a beaucoup travaillé sur l’histoire de Buchenwald et de ses kommandos. Il a notamment assuré une relecture scrupuleuse du Buchenwald par ses témoins paru en 2015 chez Belin. Nous avons demandé à Dominique Orlowski, qui a conduit l’équipe de rédaction de ce dictionnaire, d’évoquer la mémoire de Paul. Ce premier article s’attache à sa biographie. Un second nous conduira sur les traces de l’historien de la Déportation.

Lorsque je suis arrivée à l’association, j’ai très rapidement travaillé sur le Mémorial de Buchenwald, et je me suis alors rapprochée de Paul qui venait de terminer le Mémorial des Français déportés au camp de Langenstein-Zwieberge et avait donc une expérience de ce type de recherches. Nos premiers échanges ont été difficiles, Paul et moi ne partagions pas la même vision de ce que devait être ce Mémorial. Mais sa grande rigueur, son honnêteté, sa sincérité et notre envie commune de réussir ont marqué le début d’une amitié qui ne s’est jamais démentie au cours des années.

L’instituteur

Paul est né à Connéré dans la Sarthe en 1922. Après une scolarité brillante, il décide, en 1937 de devenir instituteur. Il entre à l’École Normale (EN), voie classique de l’accession à la profession à l’époque, le 19 novembre 1939. « Cette année scolaire 1939-1940 passée à l’internat de l’École Normale, fut un révélateur de ma personnalité. L’internat, qui tend à disparaître, est la meilleure école de formation de caractère de l’individu car, ainsi, l’adolescent coupe le cordon ombilical qui le relie à sa famille. S’ouvre alors à lui de nouveaux horizons par la confrontation à des milieux différents […] Ainsi, j’arrivai à l’EN avec des idées conservatrices et nationalistes correspondant à une imprégnation familiale. Des discussions avec plusieurs camarades ébranlèrent peu à peu la conception dogmatique que j’avais de la guerre, principalement de celle de 1914 » écrit-il dans ses mémoires.
En septembre 1942, il est nommé au Grand Quevilly dans une école de 12 classes. Comme la tradition le veut, le dernier arrivé récolte le poste le moins intéressant, celui dont personne ne veut ! Cette classe accueille de nombreux redoublants de parents pauvres : « Cette quarantaine d’enfants étaient, pour la plupart, mal nourris, maigres, toujours fatigués, pouilleux et galeux ».
« Après réflexion, je pense que les instituteurs débutants, pourtant remplis de bonne volonté, sont parfois maladroits mais la faute première en revient à une mauvaise formation car, à côté des cours sur la psychologie de l’enfant, utiles certes, prodigués par des professeurs qui n’ont sans doute eu qu’un contact lointain avec les élèves, il aurait fallu équilibrer notre formation par des cours sur la psychologie des parents dispensés par des enseignants expérimentés. »
C’est en 1947 qu’il rencontre la femme de sa vie, Évelyne, qu’il surnomme affectueusement Zinou. Il ne se sépareront que lors du décès d’Évelyne en mars 2016. Ils ont trois enfants, Martine, Dominique et Frédéric.
Après la guerre, il est nommé à Rouen puis à Brévands et enfin à Valcanville, en 1950 où il prendra, à partir d’octobre 1964 la direction de l’école jusqu’à la retraite en 1978.
À Valcanville, comme il est de coutume dans les petits villages, il est aussi secrétaire de mairie et s’occupe des affaires de la commune.
Pour conclure ce paragraphe voici ce qu’écrit Paul : « C’est un métier où je me suis trouvé engagé par défaut et il est probable que je me serais mieux épanoui si j’avais embrassé une autre carrière : journaliste, écrivain, archiviste et même secrétaire principal de mairie à temps complet. J’ai toujours fait mon travail honnêtement, sans plus, sauf à partir de 1968 où je me suis impliqué pleinement dans la recherche pédagogique. »

Le Résistant

Au cours de sa formation à l’EN, il commence la rédaction d’un journal, ce qui lui permet d’avoir des traces fiables pour la période allant du 10 novembre 1941 au 21 mai 1943.
À la date du 25 octobre 1942 on peut lire : « J’ai revu M.-L., la sœur de C. qui m’a apporté quelques brochures du P.C. et L’Humanité. Le PC a fait un gros effort pour imprimer ces brochures ». Puis, le 1er novembre : « … j’ai rencontré Marie- Louise, […] elle m’a remis, afin que je les distribue, 39 Humanité, des paquets de tracts et quelques brochures. Elle m’a donné le tout enveloppé dans un journal, comme si elle se débarrassait d’un colis encombrant. Le choc psychologique a été rude et j’ai eu bien du mal à faire bonne contenance. Mon cerveau bouillonnait et je dois l’avouer, j’avais peur. Je pris le sage parti de réfléchir. Trois solutions s’offraient à moi : les brûler, les distribuer ou les faire distribuer par quelqu’un d’autre comme M.-L. venait d’agir à mon égard. J’écartai d’emblée la première solution car il aurait été dégoûtant de détruire ce que tant de militants avaient édité au péril de leur vie. »
Paul distribue les tracts puis les suivants que lui remet à nouveau M.L.. Peu à peu, il s’engage, rencontre d’autres résistants, et intègre le Front Patriotique de la Jeunesse (FPJ) en février 1943. L’objectif est de contrer le départ des jeunes vers l’Allemagne dans le cadre du service du travail Obligatoire (STO). Paul, en stage dans un centre d’apprentissage à Issy-les-Moulineaux, propose « gratuitement aux futurs réfractaires des cartes d’identité et des cartes d’alimentation […] Outre des instituteurs de toute la Normandie, il y avait des séminaristes, des jockeys et quelques apprentis ». Ils devaient, à l’issue de cet apprentissage, « partir en Allemagne construire des sous-marins dans un chantier naval près de Hambourg ».
En fin de semaine, il rentre à Rouen où son contact Georges (en réalité Gilbert Pineau) l’attend. Ce dernier lui remet des faux papiers et des cartes d’alimentation destinés aux réfractaires. «  Mon officine commençait à être connue et rencontrait un certain succès sauf chez les séminaristes qui jugeaient de leur devoir de partir pour que Dieu soit présent parmi les jeunes qui travaillaient en Allemagne » […] Au moins trente requis, dont une dizaine d’instituteurs de Rouen, avaient profité de l’occasion qui leur était offerte de ne pas partir en Allemagne, mais hélas, une bonne dizaine avaient été piégés au centre et étaient partis manu militari avec leurs faux papiers en poche. J’étais devenu un réfractaire et je ne pouvais plus rester dans la légalité sous peine d’être arrêté.  »
Il rompt alors tout contact avec sa famille et devient Henri Lenoir. Sous ce nom il réorganise le FPJ dans la région de Duclair. En octobre 1943, il se voit confier la direction régionale du mouvement. À la suite d’un bavardage, le 13 octobre, il est arrêté ainsi que 12 autres personnes dont un certain nombre de responsables de la région rouennaise.
« Je fus tellement torturé que les Allemands durent m’hospitaliser une dizaine de jours avant de m’interner à la prison Bonne-Nouvelle de Rouen tellement je n’étais pas présentable […] Reconnaissant mes actions afin de soulager ceux qui avaient été arrêtés en même temps que moi, je m’attendais, chaque matin, à ce qu’on vienne me chercher pour me fusiller. De plus, j’étais seul dans ma cellule et, pour une tentative d’évasion ratée, je fus mis aux fers pendant 163 jours, dont 35 avec fers aux mains et aux pieds  ».
Début avril 1944, des bruits courent : par crainte d’un débarquement, les détenus vont être évacués, ils seront envoyés soit dans une autre prison en France soit comme travailleurs libres en Allemagne. Le 11 avril, un groupe de 80 prisonniers traversent la prison, après une fouille minutieuse et une visite médicale sommaire, ils intègrent d’autres cellules avant un départ pour un autre lieu.

Le Déporté

Le 12 avril 1944, ils quittent la prison en camion puis en train où ils arrivent à Compiègne. Après un court voyage, ils sont internés au camp de Royallieu. Paul reçoit le matricule 31672. Il retrouve avec plaisir quelques camarades. Les conditions de vie dans le camp sont bien meilleures que celles de la prison Bonne Nouvelle de Rouen. Le 25 avril, lors de l’appel général son nom est cité. Quelques heures plus tard, il est enfermé dans un wagon à bestiaux avec une centaine d’autres détenus dans ce qui sera nommé le convoi des tatoués. Le voyage est dantesque « On entendait des jurons, des cris, des coups … Il y eut des morsures, des hurlements de douleurs[…] Je haïssais, jusqu’à vouloir les détruire, ces corps et ces membres qui pompaient ma vie. De ce voyage, j’ai conservé une peur du métro, de l’autobus, une angoisse des foules. » Le soir du 30 avril 1944, il arrive à Auschwitz-Birkenau. Paul se souvient d’un tract du FPJ « Danièle Casanova est morte à Auschwitz … »
« Ce fut une nouvelle plongée dans l’horreur, de nouveau la soif, la faim, l’humiliation, la dérision, le tatouage sur l’avant-bras gauche du matricule 185899 et cette menace permanente de voir notre vie finir dans les cheminées qui fumaient jour et nuit » puis, après quelques jours, il est transféré à Buchenwald en mai 1944 ou il reçoit la matricule 53354 « Au premier abord, le camp nous parut plus accueillant, mieux tenu : les routes étaient empierrées, nos claquettes ne collaient pas à la boue comme à Birkenau… » Il est d’abord interné au Block 57 puis grâce à son ami Yves Boulongne au Block 40. Il travaille dans le Hall 4 de la Mibau où il contrôle des pièces pour les gyroscopes des V1. À la suite du bombardement de l’usine, il est envoyé en Kommando d’abord à Halberstatd puis à Langenstein. Il est libéré à l’issue d’un longue marche de la mort, le 30 avril 1945.
À son retour, la vie reprend doucement et c’est en 1962, qu’il commence une carrière d’historien que je vous raconterai dans un prochain écrit.
C’est avec une très grande émotion et une très grande tristesse que j’ai appris, par un court message de son fils, son décès survenu le 10 septembre 2017. J’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer et de travailler avec lui.

Dominique Orlowski

Source : Serment 367