Témoignage de François GUERIF

Extraits des Mémoires

Merci à Jean-Pierre Guérif qui nous a transmis ces extraits des Mémoires écrits par son père

Chapitre V : Buchenwald

« Jedem das Seine » (A chacun son dû)
A quelques kilomètres de Weimar et dominant la vaste plaine d’Erfurt, s’élève la colline de l’Ettersberg. C’est sur le versant nord de cette colline, balayée par tous les vents, que la S.S ouvrit, le 16 Juillet 1937 un camp qui fut appelé quelques jours après, Camp de Concentration de Buchenwald par Himmler, chef des S.S et de la Gestapo.

Des ressortissants de tous les pays d’Europe y furent internés, et parmi eux, de nombreux Français. Le but des Nazis était clair : utiliser jusqu’à l’épuisement une main d’œuvre gratuite, sans cesse renouvelable, et mettre hors d’état de nuire les adversaires tombés entre leurs mains.

Les concentrationnaires étaient livrés sans défense au sadisme et à la cruauté des S.S. Le régime des camps était conçu pour avilir l’être humain et l’amener à la déchéance complète avant la mort. A la fin, les crématoires ne suffisaient plus, alors on creusait des fosses, véritables charniers humains…

Chapitre VI : La Survie

… Hier, le block 21, composé de Juifs, a été expédié en convoi. Aujourd’hui, 8 Avril 1945, c’est notre block 26, qui est poussé sur la place d’appel. Tout autour de nous, il y a déjà de nombreux cadavres de camarades, abattus par les S.S.

Sous les hurlements et les coups de ces sauvages, nous sommes dirigés vers la gare de Weimar (10 kilomètres environ) à pieds bien entendu. Lentement, le train s’ébranle, et nous roulons… nous roulons… vers la Tchécoslovaquie. Nous avons froid, nous avons faim, nous avons soif…

Après plusieurs jours de cet affreux calvaire, ce train maudit montait une côte en peinant, et je ressentis un violent choc au cœur en lisant le nom d’une gare : Falkenau (aujourd’hui Sokolov). C’est la gare du camp de concentration où souffrait ma femme (Zwodau aujourd’hui Svatava). J’ai appris, après mon retour, que le 11 Avril, ma chère femme faisait partie d’un convoi identique au nôtre et devait être tuée sur une route de Tchécoslovaquie.

Pendant des jours et des jours, nous avons roulé. Le 16 Avril, notre train s’est arrêté dans la petite gare de Klenci, au fond d’une vallée. Un train, entièrement clos, était arrêté près de nous. Nous apprenons qu’il s’agit du convoi des camarades Juifs du block 21, composé de morts et de mourants. Epuisés… encore plus déprimés par ce que l’on vient d’apprendre…

J’ai l’impression, tout à coup que mon cœur retrouve ses battements normaux. En effet, des collines environnantes, descendent à pied, à bicyclettes, des femmes Tchèques habillées de jupes aux couleurs voyantes, corsages blancs, châles multicolores sur la tête, apportant dans des seaux, des brocs, des bassines de café au lait, de la soupe et bien d’autres bonnes choses que les S.S font verser, pêle-mêle dans les auges à cochons et, nous faisant descendre, wagon par wagon, pour recevoir une louche de ce mélange qui nous semble si bon. Nous avions tant faim…

Cette solidarité de la part des Tchèques me rappelle un fait survenu au hall 7 à Buchenwald : un Tchèque qui travaillait sur une bobineuse,… près de moi, partageait avec les hommes de la chaîne de travail les colis qu’il recevait.

Il y a quelques années, une délégation de la Mairie de Klenci invitée par l’amicale, vint à Paris et j’eus le plaisir de pouvoir recevoir, à St Brévin les Pins, l’une de ces magnifiques femmes, Mme Hélèna Massinova, accompagnée de son fils Volsek.

Avant notre arrivée à Klenci, notre convoi avait été scindé en deux. J’ai su, plus tard, qu’une partie de nos camarades avaient été dirigées sur Flossenburg.

Nous partons vers Dachau où nous n’arriverons pas. Ce camp sera libéré avant notre arrivée par les Américains. A un moment donné, alors que notre train était arrêté et que nous étions descendus du premier wagon, pour recevoir une distribution de pommes de terre crues (une des rares fois), le train a été attaqué par une dizaine d’avions « Mosquitos » (j’ai su le nom plus tard). Le premier avion plongea et mitrailla le train, le deuxième amorçait déjà son plongeon. Nous nous précipitâmes à quelques-uns, en terrain découvert, les bras en croix. Les aviateurs, voyant notre tenue de bagnards ne tirèrent pas. Le premier tir avait malheureusement fait des morts dont un Français, notre camarade Bugaret.

Les voies de chemin de fer sont coupées par les bombardements alliés, nous marchons sur les routes, couchons dans les champs. Nous sommes rembarqués dans des wagons fermés comme ceux de nos camarades Juifs, dans lesquels nous suffoquons et heureusement pour nous, les lignes sont à nouveau coupées.

Remis sur la route, nous semons nos morts tout au long du trajet. Vers le soir, nous sommes parqués en bordure de la route, sur un terrain vague. Le vendredi 27 Avril, vers 10 Heures, notre colonne de moribonds se remet en route. Chose extraordinaire, les malades ne sont pas abattus. Des charrettes de paysans ont été réquisitionnées et nos camarades y sont entassés. Ou les conduit-on ? J’aurais le plaisir de les retrouver après mon évasion de la colonne à l’hôpital de Fressing, mais avec quel serrement de cœur, il font peur à voir.

Nous poursuivons la marche péniblement, mais il faut choisir entre la souffrance ou une balle dans la nuque. Au cours de la journée, les monstres qui nous encadrent nous font pénétrer dans une prairie ou nous nous écroulons. Oh ! surprise, un camion portant l’inscription « Comité international de la Croix Rouge » s’arrête sur la route, devant nous. Nous croyons rêver. Un officier Français nous serre la main : nous en pleurons. Du camion on nous fait remettre un colis à chacun. Nous ne mangeons pas depuis trois semaines et brusquement nous avons du sucre, des pâtes de fruits, du raisin sec, du lait en poudre, de la margarine, du saumon, du corned-beef et des paquets de cigarettes américaines. Malgré nos conseils de ne pas trop manger, certains de nos camarades n’ont pu résister.

Vers 19 Heures réapparaît le camion de la Croix Rouge. Un médecin inspecte les malades étalés sur la berge et les embarque. Ils vont, dit-on, à l’hôpital de Fressing. Nous continuons notre route en traversant le pont sur la rivière « Isar ». Nous marchons sous une pluie torrentielle et, pour la première fois, les S.S nous font mettre, après plusieurs heures de marche, dans une grange.

Je compris que ma chance de survie (et je pensais aux six bambins à élever à la maison, leur maman courant les mêmes dangers que moi) était de me débrouiller seul. Le fumier sur lequel nous étions couchés était du fumier de mouton. Les chiens ne sentiraient pas ma présence…

Chapitre VII : L’Evasion

Toute la nuit je creusais un trou dans le fumier et, le matin, lorsque nous reçûmes l’ordre de partir, je m’enfouis dans ce trou, piétiné par mon petit camarade, Pierre, qui ne voulait pas me suivre. La colonne partit et aussitôt j’entendis que l’on fermait les deux portes de la grange.

J’entendais toujours parler Allemand dans la cour de la ferme. Tout à coup, une porte est ouverte brutalement, et des voitures pénètrent dans la grange. Je suis envahis par une grande joie, pensant qu’il s’agissait des Américains mais, prudent, j’écarte un peu le fumier pour constater qu’il s’agissait de voitures occupées par des officiers S.S . Une voiture de réparation était arrêtée à quelques mètres de moi et, je dus attendre, dans mon trou, jusqu’à la nuit suivante.

Il faisait très noir quand ces voitures partirent. Je sortis péniblement de ma cachette pour aller donner un coup de tête dans le mur et m’évanouir. Lorsque je repris mes sens, j’avais très soif et faim. A tâtons, j’arrivais à une machine à battre sur laquelle avec beaucoup de difficultés je me hissais et, dans la menue paille, je découvris un œuf de poule. Oh ! le sauveur !

Après avoir absorbé cet oeuf cru, je ressentis une violente chaleur dans tout mon corps et, après avoir retiré mon costume rayé, je le cachais dans le trou d’où je sortais. Au camp, j’avais réussi à me procurer un costume civil qui était sous mon rayé et, je sortis par la porte opposée à la cour de la ferme d’où j’entendais parler Allemand, un groupe d’hommes, sans doute des soldats…

Je marchais d’abord en me cachant, mais j’étais si épuisé que je dus prendre la route en me guidant sur le bruit des obus qui passaient au-dessus de ma tête. Je fus arrêté au coin d’une ferme, par une sentinelle qui, au bout de son fusil, m’appuyait sa baïonnette sur ma poitrine. Je lui dis « Frei arbeit » (ouvrier libre), et faisant un geste de la main, je désignais, à droite Deutsch et à gauche Américain. D’un geste il m’indiqua une direction en reprenant « Américain ». J’imitais le geste de chien savant utilisé par les Allemands et, je dis, « nix gut », et je partis dans la direction des Allemands et, dès que je fus à couvert sous bois, je partis dans la direction des Américains, mais vite, je me heurtais à la rivière, L’Isar.

Me précipitant sur l’eau, à plat ventre comme une bête, je bus beaucoup trop, ce qui me provoqua l’entérite dont je souffris pendant plusieurs années.

Après plusieurs heures de marche, j’arrivais devant une route en surplomb et, j’aperçus une petite patrouille de soldats déambulant sur cette route. Bien que me trouvant sur un sol marécageux, je me jetais à plat ventre dans la boue. Et là, je n’ai jamais ressentis une telle émotion de ma vie : S’il s’agissait des Alliés, j’étais sauvé, mais s’il s’agissait d’ennemis, j’étais presque à bout de forces.

Il pleuvait, ces soldats portaient cet imperméable de plastique bariolé. Je n’avais jamais vu la tenue des Américains de cette guerre. Par groupes de vingt-cinq environ, se suivant à intervalle régulier, je dévorais des yeux ces groupes, mais mon cerveau réalisait mal. Je constatais néanmoins qu’ils marchaient en sautillant, contrairement au pas lourd des Allemands. En rampant, je m’approchais de la route, et aussitôt un groupe passé, je réussis à me hisser sur la route.

A une certaine distance, je vis un groupe important de femmes et d’enfants qui formait une haie sur le bord de la route. Je n’eus plus de doute. Il s’agissait des vainqueurs. Je me suis dirigé vers eux les en leur disant « Américain ? »… « Ya ».

J’attendais l’arrivée des Américains et, à l’officier qui les commandait, j’essayais de faire comprendre, dans mon « sabir » de camp, qui j’étais et je voulus le dissuader de marcher sur la route, sachant qu’il allait vers la mort. Le bois dont je sortais était truffé d’Allemands qui continuaient à se battre. Il me repoussa dans les rangs et je dus revenir sur mes pas en tremblant de frayeur… être si près de la Liberté, et…

Si je peux écrire ces lignes, je le dois au hasard qui m’a si souvent aidé à survivre. Tout à coup, les Américains s’arrêtèrent pour « casser la croûte » et, à mon grand affolement, posèrent -TOUS- leurs armes à terre. Quelques S.S eurent suffit pour nous détruire.

J’aperçus, passant près de nous, un prisonnier de guerre Français. Ce fut mon sauveur. Je lui expliquais en peu de mots ma situation et combien j’étais fatigué. Il me poussa vers une auberge (mi-ferme, mi-café) et parlant en Allemand aux habitants de cette maison, il leur demanda de me servir une grande tasse de lait et, me faisant déshabiller, il mit mes loques à sécher autour du poêle. Il partit en me disant qu’il allait revenir.

Alors que j’étais dans cette tenue sommaire, j’entendis une voix très faible, demandant en Allemand, de la porte d’entrée, s’il n’y avait pas, ici, un petit Français de Buchenwald nommé Guérif. Personne n’avait demandé mon nom, pas même le prisonnier. Dans l’état de faiblesse ou j’étais, je me crus dans un autre monde et je vis se présenter devant moi un grand squelette. Il s’agissait d’un Belge qui était tombé d’épuisement dans notre colonne de moribonds, et, avait roulé dans le ravin qui bordait la route. Les S.S tirèrent sur lui avec leurs mitraillettes pour l’achever.

J’étais stupéfait de le voir vivant et il me dit : « je viens de rencontrer un soldat Français qui m’a remis 60 Marks, provenant d’une collecte dans son kommando, en me demandant d’aller les porter à un petit Français de Buchenwald se trouvant dans la ferme. Cette somme permettra de payer votre nourriture jusqu’à ce que nous soyons libérés ».

Nous dormîmes encore quelques jours sur le fumier avec les cochons, jusqu’à ce qu’un travailleur libre Italien nous prévint qu’une passerelle venait d’être établie sur la rivière. Nous nous rendîmes tous deux au point indiqué pour apercevoir, accrochées aux pierres provenant de la démolition du pont et mises bout à bout, de simples planches utilisées par les maçons. Le bons sens voulait que vu notre état de faiblesse, surtout celui de mon ami, nous ne puissions accomplir cette acrobatie téméraire, mais, sans nous consulter, l’un derrière l’autre, en nous tenant, nous parcourûmes ce trajet en titubant.

Arrivés enfin sur l’autre berge, un prisonnier de guerre Français nous indiqua son kommando où nous nous trouvâmes dans un groupe de prisonniers Français complètement ivres qui nous offrit un grand verre d’alcool que nous bûmes d’un trait et nous fûmes dirigés sur l’hôpital de Fressing où je revis les camarades emmenés par la Croix Rouge avant notre passage sur le pont de Fressing, et qui étaient tous atteints de dysenterie et d’entérite.

A cet hôpital, personne ne s’occupait de nous. Nous devions nous nourrir de colis « Croix Rouge ». C’était condamner mon camarade Belge. Pour lui, j’eus le courage de me rendre à la cuisine avec de la farine et du lait en poudre provenant des colis.

Une vieille sœur Allemande, qui dirigeait la cuisine, me refusa son matériel, mais une jeune sœur, les larmes aux yeux, me tendit une casserole et, pendant plusieurs jours, je pus nous nourrir tous deux d’une nourriture légère.

Je suis persuadé qu’une très grosse partie de nos camarades sont morts en mangeant le produit de boîtes de conserve et le chocolat qui était si tentant, après tant de privations. J’ai appris ensuite que mon ami Belge avait été intransportable jusqu’au 15 Octobre.

Il y avait quelques jours que nous étions à cet hôpital, lorsqu’un médecin Belge vint nous demander si parmi nous il y en avait quelques un pouvant marcher pour être dirigés sur un camp de transit. Je fus de ceux là et nous nous retrouvâmes a cinq « crevés », ne se connaissant pas, dans la cour de l’hôpital, où l’on nous indiqua que nous devions partir à pied, jusqu’à la caserne des chars, se trouvant à environ 2 kilomètres. Nous en étions incapables. Heureusement, passa près de nous une camionnette conduite par un prisonnier Français qui voulut bien nous y conduire.

Nous pensions être sauvés en arrivant à ce camp, mais, pour notre malheur, « Vichy » régnait encore. Le commandant de cette caserne était une femme : « la Lieutenant Simonin ». Je me présentais à elle, au nom de mes camarades et lui exposais notre situation. Sans un mot, elle me fit remettre un colis Croix Rouge, encore un, et me désigna une baraque.

Cette baraque n’avait plus ni porte, ni fenêtre, d’autres avant nous en avait fait du feu. Rien pour se coucher, même pas de la paille. Je retournais voir la « Lieutenant Simonin », lui demandant au moins des couvertures. Elle me fit chasser du bureau. Nous avions découvert une cuvette de toilette en métal et, avec les produits de notre colis, en brisant un peu plus la baraque pour faire du feu, nous pouvions manger un brouet chaud.

Un matin, plusieurs camions découverts de l’armée Américaine entrèrent dans le camp. Tous les prisonniers de guerre et les travailleurs libres, qui étaient des hommes valides, montèrent rapidement dans ces camions et, nous étions là, une vingtaine de loques humaines, à regarder, incapables de nous hisser, lorsque le Commandant de ce convoi, qui par bonheur était un Canadien, demanda en Français si parmi nous il y avait des déportés. Nous nous avançâmes vers lui, et il fit descendre tout le monde des camions. Il donna l’ordre à la Lieutenant Vichyssoise de placer des bancs dans les camions, ce que d’abord elle refusa, et nous fit hisser à bord.

Ces camions nous emmenèrent dans une caserne de Nuremberg. Au cours du parcours, fréquemment l’autoroute était coupée par les bombes et les camions devaient passer dans des fondrières, ce qui nous arrachait des cris de douleur. Nous avions tous le ventre « pourri ».

Nous arrivâmes dans une caserne en parfait état, et un sous-lieutenant Français nous désigna un bâtiment de plusieurs étages et nous dit d’occuper le dernier étage ou il n’y avait que de la paille sale, alors qu’à tous les autres étages nous avions vu des salles propres, inoccupées, avec de bons lits dont nous rêvions depuis longtemps.

Mon esprit combatif n’était pas totalement brisé. Je proposais à mes camarades d’aller trouver le commandant de cette caserne et de le prier de nous donner des lits. Ce dernier, toujours le sous-lieutenant, me mit à la porte de son bureau sans autres explications. Je revins vers mes camarades et leur proposais de revenir tous avec moi au bureau de cet officier Français, très probablement « collaborateur ». J’entrais seul dans son bureau, sans frapper. Il m’enjoignit de sortir, en hurlant comme les sadiques S.S. Je lui répondit : « Regarde par la fenêtre, je ne réponds pas des gars. Nous allons certainement « te casser la gueule » et prendre ta place si tu ne nous donnes pas satisfaction ». Il sortit avec moi, promit tout ce que l’on voulait, et fit une distribution de cigarettes et de chocolat.

Quelques temps après, nous fûmes réunis et ce même sous lieutenant, indigne de porter des galons français nous dit que nous allions faire une petite marche pour nous rendre à la gare, où un train « confortable » nous attendait pour nous emmener en France. Je ne le crus pas, et avec un jeune camarade, nous emportâmes un petit matelas (les lits Allemands sont composés de trois matelas). La surprise fut générale. Nous avions à notre disposition des wagons de marchandises ne contenant ni sièges, ni paille. A tour de rôle, mon jeune camarade et moi nous pouvions au-moins reposer nos reins sur ce petit matelas de 0,65 cm.

Le train se mit en route à environ 5 kilomètres à l’heure. Les mécaniciens Allemands crevaient les chaudières des machines. Il fallut remplacer ces mécaniciens par des soldats. En cours de route, nous échangions avec des paysans, nos boîtes de conserve contre du pain, des fruits, et de l’eau.

Enfin, nous arrivâmes à Lunéville, très déprimés, mais nous fûmes, pour la première fois depuis notre départ de Buchenwald, réconfortés par un officier supérieur Français qui nous dit : « Je demande à mes amis, les déportés des camps de concentration de me suivre et, je préviens ceux qui se glisseraient parmi eux que je prendrais des sanctions sévères contre eux ».

D’un groupe d’une centaine, nous ne fûmes plus qu’une quarantaine devant lui. Il nous dit : « Je n’ai pas été déporté, mais j’ai beaucoup souffert de la guerre. Je me considère comme l’un des vôtres. Entrez dans le magasin, et prenez tout ce qui vous fera plaisir… »

Souvent, j’entends dire : « Vous devez détester les Allemands ». Je pense alors à ceux que je cite dans ce texte et qui ont non seulement déshonoré l’uniforme Français, mais sont responsables de ce que beaucoup de déportés n’ont jamais revus nos frontières, et que, personnellement, je dois mon retour parmi les miens à des Allemands.

François GUERIF
Déporté à Buchenwald
Matricule 30580