Témoignage de Marcel BOUVIER

Le massacre de Nordhausen

Six mois après mon arrivée à Buchenwald (26 juin 1943) je suis transféré à Dora. Les tunnels n’étaient pas achevés, le travail s’effectuait dans des conditions épouvantables.
En janvier 1945, je suis hospitalisé pour une pleurésie purulente au Revier près des fours crématoires. Au bout de trois mois ayant été jugé irrécupérable comme la plupart de mes camarades, on évacuait tout l’hôpital sur Nordhausen le 24 mars à 14 heures comme condamnés à mort, sans soins, sans vivres et sans eau, nus comme des vers, avec une simple couverture pleine de poux sur le dos.
Et c’est dans ces fameux garages de SS, parqués à six par étage, tête-bêche, que nous attendions la mort. Nous n’avions même plus la force et le courage de parler ; partout on n’entendait que plaintes et gémissements. La maladie, l’épuisement, la dysenterie faisaient des ravages. Nous étions de 4 à 5 000 de toutes nationalités venant de tous les commandos.
D’après les bombardements que nous entendions, on savait que les Américains s’approchaient, c’était la délivrance toute proche. Hélas, le 4 avril 1945 à 16 heures, premier raid d’aviation sur notre bâtiment en piqué, avec des bombes de gros calibres, c’était un vrai carnage, de la folie. Ceux qui étaient encore un peu valides et qui voulaient échapper à cette tuerie étaient abattus net par les SS qui, mitraillette au poing, fanatiques et fidèles au poste, se sont fait tuer jusqu’au dernier en nous tirant dessus !

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Vue aérienne du bombardement du camp de Buchenwald

Et c’est alors que le R.P. Bonnaventure de Lyon, m’a sorti des ruines, gravement blessé aux yeux. Nous commencions à nous organiser et nous secourir, quand le lendemain matin, nouvelle vague américaine à 9 heures du matin qui est venue tuer encore une certaine partie du peu que nous restions ; et des 4 à 5 000 que nous étions, il ne restait en tout et pour tout que 400 survivants, et quels survivants !
Les SS eux étaient partis et dans la soirée arrivaient les corps francs américains. Sur les ordres du R.P. Bonnaventure et les bons soins de la Croix-Rouge belge, j’ai été dirigé à nouveau sur Dora, complètement désert, pour y être opéré de l’œil gauche par le docteur Girard (dit Papa) avec le concours d’un docteur polonais, bien sûr avec les moyens du bord.
Après quinze jours de convalescence, je retournais à Nordhausen, camp d’aviation américain pour regagner la France par avion le 3 mai 1945 à 23 heures au Bourget. Mon calvaire était terminé. Mais jamais je ne pourrai oublier les journées des 4 et 5 avril 1945, jamais ne pourrai s’effacer de ma mémoire le carnage qui s’est déroulé sous mes yeux.
Ne jamais oublier, tout mettre en oeuvre pour que jamais plus de pareilles atrocités ne puissent se renouveler.

Texte publié en mai-juin 1975 dans Le Serment N° 104

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