Témoignage de Pierre DURAND

L’enfer d’Ohrdruf

Le 6 octobre 1944, l’effectif du camp de Buchenwald atteint son maximum: 89 143 détenus. Le 29 octobre, le Kommando extérieur de Dora-Mittelbau et ses annexes en sont administrativement détachés. Pour les trois derniers mois de l’année, la situation à Buchenwald est la suivante :

Octobre
nouveaux arrivants : 6.728
morts : 732
effectifs : 55.473

Novembre
nouveaux arrivants : 10.305
morts : 612
effectifs : 59.261

Décembre
nouveaux arrivants : 12.755
morts : 1.113
effectifs : 63.048

Cette période est marquée par la mise en place d’un nouveau Kommando extérieur, celui d’Ohrdruf (dit S III en langage codé) qui sera l’un des plus terribles qu’ait connu l’enfer concentrationnaire. Des détenus y furent amenés de différents camps, mais en majorité, semble-t-il, de Buchenwald.

Un dimanche matin, les S.S. encerclèrent les prisonniers montés sur la place d’appel et en “prélevèrent” mille, directement, sans passer par les organismes habituellement chargés de préparer les “transports”. Au soir même de ce jour, le 20 novembre, ils les acheminèrent vers Ohrdruf. Un mois plus tard, ce nouveau camp, placé sous l’autorité de la Wehrmacht, comptait 7.500 hommes. Le 26 mars 1945 l’effectif à son maximum atteignait 13.726 détenus.

Une mortelle pagaïe
La hâte avec laquelle avait été menée cette opération conduisit à un désordre épouvantable. En principe, les détenus du Kommando avaient été retirés des effectifs de Buchenwald. De nouveaux numéros matricules devaient leur être attribués. Faute de personnel compétent, les S.S. furent incapables d’y procéder. Ils ordonnèrent de les affecter à nouveau aux effectifs de Buchenwald. Mais comme un grand nombre de déportés étaient arrivés d’autres camps, sans que personne en ait tenu la comptabilité, l’affaire s’avéra impossible.

Il en résulta qu’environ 2.000 prisonniers furent affectés au camp dit du Nord et 5.000 au camp dit du Sud (7.648 au total) dont 1.400 furent renvoyés à Buchenwald le 12 janvier 1945. Plus de 200 d’entre eux arrivèrent à la gare de Buchenwald soit morts, soit dans un tel état qu’ils étaient incapables de dire leur nom et leur matricule.

Les survivants firent le récit de l’épouvantable vie qu’ils avaient connue dans des travaux souterrains dont ils ne connaissaient pas le but (il s’agissait de construire, a-t-on appris par la suite, un quartier général pour Hitler et des abris où seraient cachés des objets précieux, de l’or, des bijoux, etc.).

Le massacre
Les détenus arrivés au bout de leurs forces comme l’avaient été les 1.400 renvoyés à Buchenwald, ne furent plus transportés au camp. Les S.S. les envoyèrent à Bergen-Belsen où ils moururent tous, à quelques exceptions près.

À l’approche des troupes alliées – il s’agissait des Américains – les survivants du Kommando furent envoyés à pied en direction de Buchenwald. Ceux qui ne pouvaient suivre étaient exécutés sur place. Entre le 4 et le 7 avril 1945, les S.S. leur firent à nouveau quitter le camp. 2.700 hommes malades et incapables de marcher avaient été tués à Ohrdruf même.

On ne connaît pas la nationalité de ceux qui furent envoyés à Bergen-Belsen (nationalités “diverses”, selon les rapports S.S.). Trois transports vers ce camp de la mort furent organisés : le 14 février 1945, le 25 février et le 24 mars. Un “transport” de 1.000 “invalides” qui avaient été ramenés de S III à Buchenwald fut en outre expédié à Bergen-Belsen.

Lorsque les soldats américains arrivèrent à Ohrdruf (avant de découvrir Buchenwald), ils furent saisis d’horreur et l’on dit qu’ils exécutèrent sur place et sans pitié tous les S.S. qui tombèrent entre leurs mains.

Pierre Durand

N.B. – La plupart des informations que nous reproduisons ici proviennent de l’excellente histoire de Buchenwald publiée à Berlin sous la direction de Walter Bartel, qui reste l’une des plus précieuses sources bibliographiques à notre disposition. Une histoire exhaustive d’Ohrdruf n’a, à notre connaissance, jamais été écrite jusqu’ici, mais nous savons qu’une organisation de jeunes antifascistes de cette région y effectue actuellement des recherches.

Texte publié en octobre-novembre 1994 dans Le Serment N° 239

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