Témoignage de Henri RIBACK

Musique à Buchenwald

Pierre Mania : De temps en temps, certains dimanches, les SS permettaient l’organisation de concerts où, entre déportés, on faisait assaut de bonne humeur. Mais certains camarades se laissaient aller à dormir de fatigue.

Notre ami SOSSO dans son article cite le Chêne et le Roseau que j’avais récité dans un block et sa signification. Mais j’avais participé à d’autres manifestations. Je m’étais spécialisé dans l’interprétation des chansons de Charles TRENET.

Je me rappelle au block 34 sur la scène improvisée, deux camarades dont j’ai perdu le nom s’étaient avec peu de moyens, mais beaucoup d’ingéniosité costumés en ménestrels et nous avaient interprété, avec beaucoup de talent, une très vieille romance  » L’amour de moi y est enclose « .

Aussi ce spectacle que nous avions monté au manège, une revue Casino de Paris avec une meneuse de revue, des boys et des girls. Nous avions répété pendant des semaines dans les pires conditions car c’était le soir après les commandos ainsi que le dimanche après-midi de repos. Nous étions exténués, morts de fatigue, mais nous étions animés d’un tel enthousiasme qu’il nous portait littéralement, nous étions sublimés, quelque chose nous occupait l’esprit et nous sortait de notre misère et nous apportait à tous une raison de plus d’espérer.

Mon dernier souvenir : le concert de musique de chambre que notre ami HEWITT donna au Revier un dimanche après-midi. J’ignorais tout de la musique classique, ce fut pour moi une chose inoubliable, un véritable choc. Je découvrais Mozart les larmes aux yeux, ce fut un moment prodigieux. Le plus beau moment de mon existence, non seulement concentrationnaire, mais de toute ma vie.

On sait que tout côté négatif a son côté positif. Ce côté positif de Buchenwald (il y en eut d’autres aussi) fut pour moi cette découverte de la beauté et de l’amour. Il m’a permis et me permet encore de supporter bien des moments difficiles.

Et puis il faudrait parler encore des prodiges pour trouver ces instruments orchestraux qui permirent à HEWITT ainsi qu’à Yves DARIET de jouer classique et jazz, mais d’autres le feront bien mieux que moi.

Texte publié en mars-avril 1980 dans Le Serment N° 133