Noël à Buchenwald

La résistance dans les camps nazis a pris différentes formes. Celles-ci ont été longuement décrites à l’occasion du Concours national de la résistance et de la déportation 2011-2012 dont ce fut le sujet.
Plongés dans un univers de négation de la personne, d’asservissement, d’humiliation, de violence et de terreur, les déportés et internés ont mis en oeuvre des stratégies de défense que l’on peut qualifier de résistance. Cette résistance a emprunté des voies, des méthodes et des moyens différents, conditionnés par le milieu, les circonstances, l’environnement, l’éducation, les choix politiques, l’état physique aussi, bref par une série de facteurs propres à chaque individu ou groupe d’individus.
L’entraide et la solidarité, le soutien moral apporté à l’un et l’autre ont permis de survivre.
A Buchenwald et dans quelques uns de ses kommandos, Noël 1944, alors qu’on savait que les troupes alliées étaient dans les Ardennes, aux portes du Reich, est resté dans les mémoires.

Pierre Mania : De temps en temps, certains dimanches, les SS permettaient l'organisation de concerts où, entre déportés, on faisait assaut de bonne humeur. Mais certains camarades se laissaient aller à dormir de fatigue.
Pierre Mania : De temps en temps, certains dimanches, les SS permettaient l’organisation de concerts où, entre déportés, on faisait assaut de bonne humeur. Mais certains camarades se laissaient aller à dormir de fatigue.

Extrait du Serment N°298

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capture-decran-2016-12-14-a-09-57-59KLB 85250 : Louis Bertrand
KLB 21802 : Floréal Barrier

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Témoignage de ANNE BURDO-AQUENIN

(…) Fin juillet 1944, un nouveau départ ferroviaire conduisit Anne jusqu’à Hasag-Leipzig, le plus grand kommando de femmes de Buchenwald. Un jour, une Française entra dans le block des détenues polonaise juives, demandant si quelqu’un parlait français. C’était Lise London. Elle s’avança vers Anne lui tendit la main et lui demanda : «Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ?», autant de questions et de bienveillance qu’Anne n’avait plus entendues depuis le ghetto de Varsovie. Lise s’intéressa d’emblée à l’histoire d’Anne, lui parla de son mari, “un Juif tchèque” lui expliqua-t-elle, lui racontant qu’elle-même avait été déportée en tant que résistante. Ainsi naquit entre ces deux femmes une grande amitié que la vie ne devait jamais démentir. Lise travaillait au block des Françaises dont elle était Stubedienst, Anne à l’usine d’Hasag de munitions, forant et graissant 12 heures par jour des pièces d’obus avec des chiffons. Lise lui demanda d’en rapporter autant que possible au block des Françaises, et ainsi furent confectionnés les matricule. La vue de toutes ces mères ukrainiennes en costumes du Don Juan de Molière, que Lise montait clandestinement pour la Noël 1944. Déguisements avec des bouts de tissus, gâteaux réalisés à partir de réels trésors dont chacune se séparait, – un peu de confiture, de margarine, de pain- ainsi surgirent dans cet univers de misère quelques heures de magie, où l’humanité n’était plus un vain mot. Anne le répète : “Lise m’a sauvée du désastre de perdre l’âme”.
(…)

Agnès Triebel

(Article réalisé à partir du rapport d’Anne Burdo-Aquenin et de l’interview réalisé le 7 juin 2102 à son domicile parisien)

Texte paru dans Le Serment N°345


Témoignage de Jean RICOUX

Noël 1944 à Schönebeck

Noël étant une fête sacrée en Allemagne, le directeur de l’usine Junker, où nous travaillons, fait distribuer un sapin dans chaque block du commando quelques jour avant.

Au block 4, nous ne sommes presque que des Français, un Russe, quelques Belges et un Hollandais, Nicolas, parlant français et qui travaille à la fonderie.

Un sapin, c’est beau à Noël mais il faut le parer. En France nous mettons une étoile en haut, rappel de celle qui conduisit les rois Mages, et Nicolas a vivement fait d’en faire couler une en aluminium. Les perruquiers que sont les Français ont déteint sur lui. (Pour les profanes, la perruque est le terme utilisé pour désigner le travail qu’un ouvrier fait pour lui-même chez son employeur, en fraude bien sûr, exemple, les briquets et autres à Schönebeck).

Le soir même, l’étoile blanche de Noël brille en haut du sapin recouvert de laine de verre représentant la neige. À l’appel de 21 heures, les SS voient rouge à la découverte de cette étoile blanche. Pour eux, étoile est synonyme d’étoile rouge URSS ou blanche USA. Résultat, le sapin est immédiatement confisqué avec son étoile bien entendu.

C’est compter sans le système « D » des Français. Le lendemain, après prélèvement d’une branche dans chacun des autres blocks, avec l’accord de tous bien sûr, un nouveau sapin est présent, dans le block, pour le soir de Noël à la stupéfaction des SS qui encaissent le coup sans rien comprendre. Plus d’étoile évidemment.

Dans cette usine travaillent des ouvriers de toute sorte, volontaires de tous pays, STO, déportés et civils allemands. Un de nos camarades, Marquet, a «loué» à un volontaire français, un accordéon pour une certaine quantité de cigarettes (que nous n’avons pas bien sûr). Il ne les verra jamais, non plus que l’accordéon du reste. Il n’avait pas à être volontaire et il se gardera bien de se plaindre aux SS de crainte de nous rejoindre. Cela lui avait été expliqué après coup.

Vers 21 heures, Marquet (il me semble, sans certitude, qu’il était le fils de la comédienne Marie Marquet) joue la Marseillaise. Nous sommes tous au garde-à-vous, lorsque les SS ouvrent brutalement la porte. Marquet, qui s’attendait un peu à cela, enchaîne sans transition « Cavaliera Rusticana ». Nul ne saura jamais si le «Balaffré» (c’est le surnom du SS) a été dupe mais il nous souhaite bon Noël et une libération prochaine avant de sortir avec son sbire. Il est vrai qu’à moins d’être idiot plus un seul Allemand ne pouvait encore croire à la victoire du Reich.

Pour cette soirée, nous avions installé les tables en fer à cheval. Bien sûr, pas question de bonbonne, mais depuis une semaine chacun «organisait » ce qu’il pouvait parmi les civils de l’usine. Ceci fit un tout petit supplément pour chacun. Un peu de gaieté. Un camarade (Carbajac, je crois), en Joséphine Baker faisait le pitre avec Marquet et «son accordéon», quelques autres aussi dans les jeunes. Boby déguisé, un autre (le nom m’échappe) avec un «narghilée» et j’étais dans le coup. Puis, suivant la coutume, c’est la distribution des cadeaux, tous fictifs, bien sûr.

Notre père Noël paiera cher son son déguisement. Sa barbe, en laine de verre, le laissera rouge et dévoré de démangeaisons pendant une semaine. Pour mon compte, je me vois attribué un bon de 100 mètres de duralumin diamètre 22 pour faire des briquets. Durant mon séjour, moins de 10 mois, j’en ai fait environ 3000. On doit en retrouver depuis les USA jusqu’à Vlaldisvostock.

En bon Français, malgré la situation, nous passons une joyeuse soirée. Hélas ! Combien ne verront pas le Noël suivant après les marches de l’évacuation en avril 45 !

Texte publié en décembre 1986 dans Le Serment N° 185


Témoignage de Serge MILLER

L’hiver 1944-45 au camp d’Ellrich

(…) Noël, la plus grande fête traditionnelle en Allemagne, nous valut un appel de six heures. Une simple erreur dans les comptes avait provoqué cette décision du Commandant.

Rassemblés à onze heures pour être relâchés normalement trente minutes après, la dislocation n’eut lieu qu’à dix-sept heures. Des dizaines de détenus s’étaient effondrés dans les rangs, frappés de congestion ou simplement d’inanition. Il est vrai qu’il faisait -30° de froid, mais morts ou vifs, il fallait attendre le coup de sifflet libérateur…

La vraie libération ne vint que quatre mois après, quatre mois durant lesquels la plupart d’entre nous, devaient mourir, soit dans le camp, soit dans les convois d’évacuation qui devaient se rendre à Bergen-Belsen pour être liquidés.

L’Armée Rouge devait sauver les rescapés, quelques-uns s’étaient évadés du train… C’était il y a vingt ans !

Texte publié en novembre 1965 dans Le Serment N° 66


Témoignage de François FAVIN

(…) Nous eûmes même nos instants de gaieté. Ce fut le cas pour Noël 1944, alors que nos gardiens croyaient encore à la victoire allemande et nous avaient distribué à chacun une boîte de bœuf en conserve, dont la consommation fut rapide. Disposant de la lumière jusqu’à 23 heures, nous organisâmes une petite soirée : chants et histoires drôles pour les Français, chants et danses pour les Russes et les Polonais.

Alors qu’ensuite nous cherchions le sommeil en pensant à nos familles, le haut-parleur commandé par le poste de garde, diffusait de la musique et, à minuit, nous entendîmes :  » Ici Paris, notre émission est terminée « , suivi de la Marseillaise, reprise en chœur par tous les détenus. Les S.S. s’étaient trompés de poste émetteur !

Malheureusement, les conditions devinrent de plus en plus dures et les premiers décès survinrent. Le moral en fut très affecté. La guerre, que nous espérions voir finir en 1944, s’éternisait. Des amis naviguaient d’Ellrich à Günzerode; des malades étaient évacués sur Dora. Les gardiens étaient de plus en plus nerveux.

Début mars 1945, tout travail cessa. Entassés dans notre bergerie, nous somnolions ou rêvions de menus pantagruéliques. Nous organisions quelques causeries sur des sujets très variés : avenir des petites voitures automobiles, fabrication du gruyère, élevage des poissons d’ornement, etc.

Le 23 mars, le kommando de Günzerode fut replié sur Ellrich, où arrivèrent également des détenus juifs, des déportés du camp de Mackenrode, qui avaient travaillé sur la même voie ferrée que nous. Nous retrouvâmes des amis, nous en perdîmes d’autres.

Le 9 avril, certains d’entre nous évacuâmes Ellrich sur des wagons plates-formes. D’autres étaient au revier de Dora (en cours d’évacuation) ou partirent dans d’autres convois. La pagaille étaient extraordinaire. Ce fut la dispersion. Certains réussirent à s’évader. D’autres périrent tragiquement.

Je crois que le plus chanceux (si l’on peut dire) fut Georges Crétin qui, blessé, sortit vivant de la grange de Gardelegen (120 kilomètres au nord d’Ellrich, 130 kilomètres à l’ouest de Berlin), où 1.017 camarades de toutes nationalités furent brûlés vifs.

Texte publié en juillet-août 1974 dans Le Serment N° 99