LE KOMMANDO LANGENSTEIN
Par Paul Le Goupil et Bertrand Herz (Extrait du Mémorial)
Autres appellations : B2, MALACHIT, MAIFISCH
Localisation : Dans une vallée isolée du village de Langenstein, au pied de la colline du Zwieberge, à quelques kilomètres de la ville de Halberstadt.
Ouverture : 20/04/1944
Évacuation : 09/04/1945
Effectifs : 1100 en juillet 1944 – 1800 en août 1944 – 5100 en février 1945. 953 Français sont arrivés, 454 d’entre eux sont morts (dont 103 dans la marche de la mort).
Activités : Firme Junker, forage de tunnel pour une usine souterraine (Malachit) ; construction (Maifisch)

“La “ramasse” des morts dans le petit camp (Buchenwald) : une corvée de tous les jours”
Le premier groupe de déportés venant de Buchenwald arriva le 21 avril 1944. Ils étaient 18, dont un Français et ils formèrent les cadres du futur Kommando. Ils furent d’abord logés dans une auberge de la périphérie de Langenstein, puis, les convois se succédant, en attendant l’achèvement de la construction du camp, dans une grange, qui existe encore, située à la sortie du village.
Il arriva, du 26/09/1944 au 18/02/1945, 6 convois avec des Français.
La construction du camp fut achevée en août 1944 avec l’enceinte électrifiée ; 7 blocks plus les annexes (Revier, cuisine, etc….) remplacèrent l’auberge et la grange. Lorsque l’effectif atteignit 5100 détenus, en février 1945, il y avait 18 blocks.
L’effectif décrut ensuite (4400 personnes début avril 1945), le nombre des morts dépassait de loin le nombre des arrivants.
Dans la semaine du 19 au 25 mars 1945, sur 1308 morts décomptés pour Buchenwald et ses Kommandos, Langenstein-Zwieberge eut le triste privilège d’arriver en tête, avec 234 morts, devant Ohrdruf (207) et Leau (69).
Dès les premiers jours de leur arrivée, les déportés commencèrent à creuser des galeries dans le site encore vierge des collines du Thekenberge. En dix mois, au prix de souffrances épouvantables, près de 10 km de galeries, d’une superficie de 60.000 m2 furent construites et en partie achevées. Quelques unes étaient assez vastes pour accueillir des trains d’une vingtaine de wagons. Certaines avaient coûté un mort par mètre d’avancée.
L’espérance de vie, pour ceux qui avaient le malheur d’y travailler, n’était que de six semaines.
Le travail se faisait en deux équipes de 12 heures dans des conditions atroces par manque d’air, dans la poussière, sous les coups des kapos et surtout des Meister allemands.
Beaucoup de camarades rentraient au camp épuisés, asphyxiés, complètement vidés et n’avaient même plus la force de manger leur soupe.
Le but principal de cette entreprise était d’enterrer les productions des usines Junkers qui devaient construire de nouveaux types d’avions à réaction et d’armes V. Dans cette perspective la firme Junkers avait aménagé un petit camp de trois baraques à l’intérieur du grand camp en bordure de la place d’appel pour y loger des déportés spécialistes, 885 personnes, venues des Kommandos d’Halberstadt, d’Aschersleben et du camp de Sachsenhausen.
Dans ce petit camp, où il n’y avait ni lit ni paillasse, les détenus furent, comme les autres, utilisés au creusement du tunnel.
Les morts ont d’abord été envoyés au crématoire de Quedlinburg par voiture hippomobile puis par camion. Nous avons une liste des 912 victimes, parmi lesquels 131 Français, dont les cendres reposent dans le cimetière de cette ville.

“Petit bâtiment où les blocks du petit camp (Buchenwald) apportaient leurs morts, local bien insuffisant vu le nombre de ces derniers”
En mars, cet établissement ne pouvant continuer son travail faute de carburant et les corps s’accumulant dans la baraque qui servait de morgue et y pourrissant, ils ont été enterrés, soit dans quatre grandes fosses situées à l’extérieur du camp et contenant plus de 700 morts, soit près du Revier, à l’intérieur du camp, dans une fosse où gisent plusieurs centaines d’autres corps.
Les cadavres étaient transportés, par deux, dans des caisses en bois portées par quatre déportés après le travail. La caisse était vidée dans les fosses et la file descendante allait chercher un nouveau chargement jusqu’à épuisement presque complet du charnier. Les derniers corps, en pleine décomposition, intransportables, restaient dans la cabane. Le S.S. responsable du chargement refermait la baraque à clé car il y avait eu des vols de cuisses de cadavres…
Le 9 avril 1945 au soir, devant l’avance des troupes américaines qui atteignaient l’Elbe, 3.000 survivants du camp, en six colonnes de 500, encadrées de posten et de S.S. furent jetées sur la route. La plupart marchèrent pendant 12 jours et, après 300 km, se retrouvèrent près de Wittenberg, sur l’Elbe.
L’une fut complètement anéantie et on ne retrouva pas sa trace, une autre marcha jusqu’au 28 avril et arriva près de Berlin avec seulement 18 survivants. Il n’y eut, en tout, que 500 à 1500 survivants suivant les estimations des uns ou des autres. Nous n’avons aucune base, comme pour toutes les marches de la mort, permettant de donner des chiffres exacts.
Quand le 13 avril 1945, les Américains libérèrent le camp abandonné depuis la veille, ils trouvèrent les reviers remplis de mourants qui décédaient au rythme de 20 par jour.

Voici ce qu’écrivit un journaliste de “Stars and stripse” dans le n° du 20 avril : “L’odeur de la mort était partout la même dans ce calme local. Au Revier étaient les mourants… Le reste des malades du Revier était atteint de dysenterie. Ils gisaient là, dans leurs excréments, trop faibles pour bouger. Un homme plus fort que les autres se tenait à la porte. Il portait seulement un court maillot. Il n’avait plus de muscles aux cuisses, aux mollets, au bassin. Ses jambes n’étaient plus que des os et ses genoux deux grosses protubérances. Son corps était un squelette couvert de peau grise, tendue. Il est impossible de rester longtemps dans la salle de dysenterie. L’odeur vous suit jusque dans l’air tiède du printemps…”
Le 18 avril, tous ces malades furent emmenés, en ambulances militaires dans une caserne d’Halberstadt transformée en hôpital. Il y mourut encore 144 déportés dont la plupart des corps reposent dans une fosse commune du cimetière de la ville.
Le bilan est lourd : dans la meilleure des hypothèses, la moitié, et dans la plus mauvaise les 3/4 des déportés du Zwieberge ne sont pas rentrés.