LE KOMMANDO HARZUNGEN
Jacques Bernardeau (Extrait du Mémorial)

Autres appellations : ANNA, B 3
Localisation : à 10 km au nord de NORDHAUSEN, à quelques km de Dora. Ouverture :Avril 1944
Évacuation : 04/04/1945 vers Bergen-Belsen, Magdeburg ou la Tchécoslovaquie
Effectifs : environ 4.000
Activités : Travaux de creusement (chantier B 3)
Venant de Niedersachswerfen, le camp est situé à l’entrée du village, devant l’école. Il semble d’abord avoir été destiné aux civils allemands de Mittelwerk, avant d’être affecté, en mars, aux détenus travaillant au chantier du B3.
Sa construction commence début 1944 et se termine en juin. Une triple clôture électrifiée remplace les simples barbelés.
Les premiers Déportés viennent de Buchenwald, et sont suivis par ceux qui ont achevé la construction du camp de Dora.
Lors de l’autonomie de Dora, le 1er novembre, les détenus, au nombre de 4009, sont Français, Belges, Russes et Polonais.
Le 3 avril, le camp comprend 3 blocks, puis il s’agrandit à 14 blocks dont 10 pour le logement des détenus. Le Revier occupe les 2 blocks de l’angle sud-ouest du camp.
Les blocks 1 et 2 hébergent les détenus qui travaillent aux cuisines ; les 5, 6 et 10 ceux qui travaillent à Dora, et les 4, 7, 8 et 9 ceux qui travaillent au B3.
Chaque block a 3 étages de châlits recouverts de copeaux de bois.
Les appels durent généralement 1 heure, parfois 2 ou 3 heures.

Au retour du travail, couverts de poussières, les détenus se lavent à l’eau froide des lavabos, par équipes de 2, car les Russes volent leurs effets. Cette séance est suivie selon l’humeur du kapo, de la visite des poux, d’un rassemblement dans la cour, ou du garde-à-vous dans les blocks.
Le rasage des cheveux est mensuel.
Des matches de boxe ont lieu de temps en temps le dimanche.
Les détenus reçoivent un litre de soupe par jour, avec une boule de pain, de la margarine et une rondelle de saucisson parfois remplacée par une cuillère d’ersatz de “confiture”.
Ils ont un bout de viande le samedi, et de fromage le mercredi ; de temps en temps des pommes de terre.
Les SS sont progressivement remplacés par des soldats de la Luftwaffe. Mais l’encadrement est composé de Verts et Tsiganes allemands.

Le Commandant Frick, chauve et sec, portant monocle et gants de cuir, est parfois possédé de rages folles.
Face aux détenus rassemblés pour la circonstance, il enfonce calmement son poignard dans le cœur de Félix, son serviteur tchèque.
Mais le 25 décembre il autorise et assiste avec quelques sous-officiers, à la célébration d’une messe par 3 prêtres belges.
Le même jour, un “radio-crochet” a lieu dans le block 7.
Pour tentative d’évasion, un Vorarbeiter écrase la tête d’un détenu sur un rail au moyen d’une barre de fer. Le 10 septembre un Tsigane est pendu.
Si les conditions de vie au camp sont relativement “convenables”, le travail est très dur et le transport épuisant.

Au début, les détenus sont transportés au chantier en camions militaires, puis plus tard sur des remorques de tracteurs, et en train à partir d’août 44, après la construction, par les détenus eux-mêmes, de la ligne Harzungen / Niedersachswerfen.
Du camp, ils doivent alors emprunter un chemin boueux jusqu’à un petit quai bordant une voie ferrée où ils embarquent à 50 dans des wagons à bestiaux.
Au village de Niedersachswerfen, qu’ils traversent à pied, ils rejoignent le petit train à voie étroite qui, après avoir contourné l’Himmelberg par le nord, les amène en 30 minutes au B3.
Ils sont entassés à 25 dans ces wagonnets découverts, par tous les temps, souvent les pieds dans l’eau, en tentant, pour s’abriter, de rejoindre le centre du groupe.
Accueillis par les chiens à l’arrivée, ils pénètrent à l’intérieur des barbelés qui encerclent les entrées des tunnels.
Le trajet, d’environ 10 km, dure 2 heures.
En février 45, avec la pénurie de charbon, les détenus se rendent à pied aux tunnels.
Pendant cet hiver très dur, où la température descend au-dessous de -20°C, on compte souvent 30 morts par jour.
Au retour, les détenus doivent les porter sur l’épaule en fin de colonne, et les déposer, devant eux, à l’appel.
Un témoin, arrivé à Harzungen le 10 juin, a participé, jusqu’à son achèvement en novembre, à la construction de la voie ferrée reliant Niedersachsenwerfen. A six détenus et pendant 12 heures, ils ont dû porter des rails de 7 mètres de long.

Dessin N°72 de
Boris Taslitsky : “Le rail des wagonnets”
Mais l’activité principale de Harzungen est le chantier du B3, dont l’objectif est l’installation d’usines souterraines dans le ventre du Himmelberg. La colline est attaquée par 28 galeries, dont les kommandos qui y travaillent portent le même numéro.
Le travail, très dur, se fait en 3 équipes se relayant à 6h, 14h et 22h, et alternant chaque semaine.
Sur un échafaudage instable, 8 équipes de 2 “mineurs” ou “foreurs” sont assis dos à dos sur une longue planche, en haut du tunnel. S’arc-boutant sur son coéquipier, le mineur pousse dans la roche une foreuse à air comprimé munie d’une mèche de 4 mètres.
Le meister y enfonce ensuite de la dynamite.
D’autres, au-dessous, dégagent la roche avec des marteaux piqueurs.
Beaucoup plus dur est le “lent supplice de la pelle”, qui consiste à charger de pierres les wagonnets, et à les évacuer à l’extérieur sous les coups répétés des kapos. Les morts sont transportés par camion au crématoire de Dora. Les effondrements d’échafaudages et les chutes de pierres blessent et tuent quotidiennement. Et les explosions produisent des poussières toxiques à l’origine de nombreux accidents pulmonaires : tuberculose, silicose, pleurésie, anthrax, œdème, maladie des lèvres violettes…

pour éviter les poux et épidémies”
Plusieurs techniques de sabotage sont bien rodées.
On peut mimer d’emblée le travailleur énergique et volontaire pour détourner la surveillance des kapos; guider la mèche dans une mauvaise direction; donner l’impression de pousser de toutes ses forces sur la foreuse; coincer la mèche et la casser; lancer des pelletées par-dessus les wagonnets; faire dérailler les wagonnets…
Le Revier est dirigé par 2 “médecins” français, Jacques Desprez, un dentiste de l’Aisne parlant allemand, et son frère Georges. Fin 44 Paul Lagey, vrai médecin, les rejoint. Avec les 18 infirmiers, ils soignent attentivement les malades.
Le camp est évacué le 4 avril 1945.
