Témoignage de Pierre DURAND

Le génocide des Tziganes

Dessin N°26 de Boris Taslitzky : "Petit Gitan de 14 ans"
Dessin N°26 de Boris Taslitzky : « Petit Gitan de 14 ans »

Comme nous l’avons déjà indiqué, un monument rappelant le génocide des Tziganes dans les camps de concentration nazis sera inauguré à l’occasion du cinquantième anniversaire de la libération de Buchenwald.

Comparable à celui qui honore les victimes juives et ne brisant pas la perspective de la place d’appel, il évoquera l’assassinat d’au moins 500.000 enfants et adultes des deux sexes sacrifiés au mythe du racisme hitlérien. Cette stèle sera installée au niveau du block 14 qui, avant d’être destiné aux Francais, fut celui des Tziganes. (Notons ici que le mot Tzigane (Zigeuner) est considéré comme péjoratif par les intéressés qui se désignent comme « Sinti et Roma »).

Les premiers détenus tziganes arrivés à Buchenwald, où ils furent employés dans les kommandos les plus mortels, avaient été arrêtés en mai-juin 1938 au titre d’une vaste opération policière portant le nom de code « Aktion Arbeitsscheu Reich », que l’on pourrait traduire par « Action fainéant ». Les détenus concernés étaient catalogués sous les lettres « ASR » et portaient à l’époque le triangle noir.

Les « ASR » étaient 106, dont 16 juifs, le 1er mai 1938. Ils étaient 4.582, dont 1.268 juifs, le 30 juin de la même année. Les « non-juifs » étaient pour la plupart des Tziganes. Le 27 septembre 1939, 2.206 détenus de Dachau arrivent à Buchenwald, dont 601 « ASR » parmi lesquels 2 juifs. Ils sont affectés aux blocks 14 et 15.

Au prix de dangers constants, les détenus politiques allemands s’efforcent de les aider et de les soustraire à la sauvagerie SS spécialement déchaînée contre eux. Les survivants -ils sont très rares- n’ont pas oublié cette solidarité.

En 1941, un certain nombre de tziganes sont transférés à Mauthausen comme « apprentis tailleurs de pierre ». L’aîné de ces « apprentis » a 60 ans. D’autres ont déjà été déplacés à Neuengamme en décembre 1940. Ensuite jusqu’en 1944, le nombre de Tziganes à Buchenwald semble avoir été très peu élevé, la plupart d’entre eux ayant été tués par piqûres par les « médecins » SS.

Le 15 février 1944, il y a 62 Tziganes enregistrés à Buchenwald. Mais le 17 avril, 884 Tziganes, dont 103 enfants de moins de 14 ans y arrivent en provenance du « camp tzigane » d’Auschwitz. Ils sont affectés aux blocs 63 et 57.

Le 21 avril, 200 Tziganes sont envoyés à Harzungen dans un Kommando dont le nom de code est « Anna ». La plupart d’entre eux y meurent rapidement. Au 30 avril 1944, Buchenwald compte officiellement 944 Tziganes, répartis selon la bureaucratie SS de la façon suivante : Allemands (Autrichiens compris) 608, Belges 9, Français 25, Hollandais 1, Italiens 2, Croate 1, Polonais 57, Slovaque 1, Tchèques 181, « sans nationalité » 55, cas particuliers (?) 2.

À la même date 600 détenus du block 57, dont 535 Tziganes partent pour Niedersachswerfen où ils meurent presque tous rapidement dans les tunnels des armes secrètes. 15 % d’entre eux sont des jeunes à partir de 14 ans.

Le 17 mai, 51 jeunes Tziganes sont transférés à un Kommando de Leipzig. Le 3 août, 918 détenus du camp tzigane d’Auschwitz arrivent à Buchenwald. L’un des plus jeunes, le Hollandais Josef Berger a 9 ans. Le 26 septembre 200 enfants presque tous tziganes et juifs partent pour Auschwitz où ils connaîtront presque tous le sort des 3.000 tziganes, femmes, hommes et enfants, gazés au cours de la terrible nuit du 2 août 1944, lorsque « le camp tzigane » est dissout. (2.897 exactement).

L’extermination des Tziganes s’est faite sur la même base raciste que celle des juifs. Il s’agit d’un génocide visant les premiers, dit « Auschwitz Erlass », ordonnant l’internement des Tziganes allemands dans ce camp « avant que d’autres décrets élargissent la décision à l’ensemble des territoires occupés ». Au cours des 17 mois de l’existence du « camp tzigane », ils sont près de 12.000 à y mourir.

Entre octobre et décembre 1943, les Tziganes des départements du nord de la France et de Belgique avaient été raflés et, au nombre de 351, déportés à Auschwitz le 15 janvier 1944 par un « convoi Z » parti de Malines. D’autres, internés dans des camps de Vichy (souvent depuis 1939) étaient passés par Compiègne.

Texte publié en janvier-février 1995 dans Le Serment N° 240

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