François Amoudruz

François AMOUDRUZ

J’avais treize ans à la déclaration de guerre et vivais avec ma famille à Clermont-Ferrand.
Sans haine, mon père, haut fonctionnaire et ancien combattant, disait «les boches» en parlant des Allemands.
Fin 1942, la France entière est occupée militairement.

La Gestapo s’installe partout et multiplie ses actions violentes.

Je n’ai que dégoût et mépris pour eux.

L’Université de Strasbourg, repliée sur Clermont-Ferrand et récalcitrante, est prise pour cible en juin et novembre 1943. Il y a beaucoup d’arrestations. Mon beau-frère est torturé.
Etudiant à la faculté de droit, je suis arrêté le 25 novembre et jeté en cellule.

Mon hostilité va redoubler avec les évènements qui me touchent tristement : l’interrogatoire, le départ menotté de la prison pour le camp de Compiègne, le transport vers Buchenwald en wagon à bestiaux, la découverte de l’enfer concentrationnaire, la perte de mon identité d’homme et le costume rayé enfilé à la va-vite.
Je suis horrifié et ne comprends pas comment ce peuple civilisé et de culture séculaire – Weimar n’est pas loin de Buchenwald – a pu en arriver là ! J’ai tendance à le rendre coupable parce que complice.
Est-ce bien le lieu pour de telles réflexions ?
L’important n’est-il pas de regarder autour de soi ?
Mes observations me permettent de découvrir la structure du camp, la hiérarchie dans l’organisation et les nationalités présentes parmi les détenus.

Des Allemands sont internés, porteurs comme moi du triangle rouge, donc détenus pour motifs «politiques» donc opposants au nazisme. Ils sont nombreux à Buchenwald et Flossenbürg.

Je vais faire le partage entre les Allemands partisans d’HITLER, leurs opposants et la masse maoeuvrée par la propagande nazie.

Revenu en France, fin mai 1945, après «les marches de la mort», je retrouverais les bancs de la Faculté de Droit en automne 1947.
Un professeur, fervent fédéraliste européen qui implique la réconciliation franco-allemande, va chercher à me recruter.
Ses discours m’inquiétaient trois ans à peine après mon retour de déportation, alors que l’Allemagne ne dézanifiait pas et que les dirigeants introduisaient des nazis notoires à des postes de responsabilités et dans la magistrature notamment.
Evoquer devant un déporté un possible réarmement allemand avait quelque chose d’ubuesque. Et je pensais : «Face aux 50 millions de morts, ayez la pudeur de vous taire».
J’entretenais, en revanche, d’agréables relations avec les Allemands, persécutés depuis 1933 et nous organiserons ensemble d’importantes manifestations. Elles me donneront le courage, à nouveau, de franchir la frontière.
Le temps faisant son œuvre, il m’est apparu nécessaire d’apporter ma contribution à la construction européenne s’appuyant sur les peuples qui la composent dont la diversité est source de richesse.
J’agis en ce sens, en multipliant nos relations avec les Allemands responsables de mémoriaux des camps nazis qui ont un impact sur la population de tous âges.
64 ans après la capitulation sans condition du nazisme et des armées, il me parait encourageant de ressentir que le peuple allemand a, dans son ensemble, surmonté son passé.

Pour moi ce sera toujours «ni haine ni oubli»

François AMOUDRUZ

 


Survivant des camps de concentration, F. Amoudruz a rencontré les lycéens de Haute Auvergne

François Amoudruz avait 17 ans lorsqu’il a été arrêté à Clermont-Ferrand, puis déporté dans un camp de concentration. L’âge des lycéens venus l’entendre, hier, à Besserette.

«Témoigner est un devoir d’Histoire. Nous ne voulons absolument pas que cela se reproduise, et nous sommes très inquiets ». François Amoudruz sait de quoi il parle. Lui qui, à l’âge de 17 ans, faisait parti des 130 personnes arrêtées à Clermont-Ferrand en 1943, avant d’être déporté vers le camp de concentration de Buchenwald, en Allemagne. Il continue de lutter, par son témoignage, contre la montée du populisme attisé par les extrémistes.

Camp de Buchenwald

Pour l’écouter, hier au gymnase de Besserette, plus d’une centaine de lycéens et enseignants de l’établissement de Haute Auvergne avaient fait le déplacement. L’ancien banquier et animateur d’associations pour la mémoire de la Déportation et de la Résistance, fêtera cette année ses 90 ans. Pour autant, le souvenir de l’expérience douloureuse de la captivité est encore vivace. Durant 1 h 30, François Amoudruz est revenu sur les instants clés de son histoire. Un témoignage poignant. Le 25 novembre 1943, le bâtiment de la faculté de droit où François suit ses études est cerné par « des militaires nazis ». Quelques jours plus tard, il descend d’un wagon à bestiaux pour entrer dans le camp de Buchenwald. « On nous a attribué un matricule. Nous étions déshumanisés ». Plus tard, alors qu’il a été transféré au camp de Flossenbürg, en Bavière, le commandant SS leur tient ce discours : « ici, vous entrez par la porte, vous sortez par la cheminée ». Le jeune homme, le matricule 43425 cousu à son uniforme, pense sa dernière heure arrivée. Le destin en décide autrement.

Scène de cannibalisme

Nouveau départ cette fois pour travailler à la construction des avions de combats Messerschmitt. Les conditions de détention sont terribles. La solidarité entre déportés lui permet de tenir le coup. Avril 1945, la fin du III e Reich est proche. Lui et 900 autres prisonniers passent la frontière tchèque. C’est la marche de la mort. Les plus faibles sont exécutés. Les autres tentent de survivre. « J’ai assisté à une scène de cannibalisme. Des camarades avaient achevé l’un des leurs pour se nourrir ».

Le 28 avril, soldats allemands et déportés passent la nuit dans une grange. C’est là que François et Achille, habitant de Saint-Nectaire, parviennent à s’évader. Repris, ils sont finalement libérés le 8 mai 1945. À son retour en France, François, qui ne pèse plus que 31 kg, va avoir besoin de temps pour se reconstruire, et mettre des mots sur ce qu’il a vécu.

David Allignon

© David ALLIGNON

 


 

Témoignage de François Amoudruz le Jeudi 28 février 2019 au lycée Marc Bloch à Bischheim

Devant deux classes de 1ère, François Amoudruz, ancien déporté des camps de concentration de Buchenwald et Flossenbürg a livré un témoignage poignant. Il a particulièrement insisté sur son âge (il avait alors 18 ans au moment de son arrestation en novembre 1943) et sur la barbarie nazie. Très attentifs, les élèves auront l’occasion de s’immerger encore plus dans cet univers concentrationnaire en visitant le Centre européen du Résistant déporté (CERD) – Ancien site du camp de concentration du Struthof.

Eric Le Normand