CAIN Julien KLB 42170

Auguste Favier : J. Cain, directeur de la Bibliothèque Nationale.
Auguste Favier : J. Cain, directeur de la Bibliothèque Nationale.Arrive à Buchenwald le 24 janvier 1944, matricule 42170.

Fils d’un imprimeur parisien, juif d’origine lorraine, Julien Cain est agrégé d’histoire. Mobilisé en 1914 dans l’infanterie, il est grièvement blessé en 1916. Reconnu inapte, il est affecté en 1917 au service de documentation étrangère commun aux ministères de la Guerre et des Affaires étrangères. Julien Cain est nommé, en 1930, administrateur général de la Bibliothèque nationale, avec pour mission de la réorganiser. En 1936 et 1937, il se trouve associé à la politique culturelle du Front populaire, où il promeut une action en faveur du livre et des bibliothèques. Il y développe les « bibliobus » et les bibliothèques pour enfants. Son activité déborde le cadre national, puisqu’il est également membre de la Commission de coopération intellectuelle de la Société des nations. En mars 1940, refusant la défaite, il cherche à rejoindre l’Afrique du Nord mais n’y parvient pas et revient à Paris. Révoqué de la Bibliothèque nationale par le gouvernement de Vichy, il est arrêté en 1941, incarcéré à la prison de la Santé pour « agissements antiallemands », puis transféré au fort de Romainville. Après un passage par le camp de Royallieu, à Compiègne, il est déporté à Buchenwald par le convoi I.172, parti le 22 janvier 1944. « Hospitalisé » par le docteur Joseph Brau, radiologue du Revier, il se remet d’une angine qui aurait pu évoluer de façon dramatique, et est affecté à des tâches de traducteur aux archives politiques du camp. Au milieu des pires horreurs, il conserve sa foi dans l’avenir et l’insuffle à ses camarades du Block 34, auxquels il lit des passages de Valéry, Maupassant, Goethe, Schiller…, ne perdant jamais l’espoir d’être « l’an prochain, à la Nationale ». Rapatrié en France après la libération du camp, Julien Cain retrouve aussitôt son poste d’administrateur général de la Bibliothèque nationale.
Des le 16 novembre 1945, il est à Londres, où il participe à la création de l’Unesco, dont il sera élu vice-président du conseil exécutif l’année suivante. En 1946, il cumule les charges d’administrateur de la Bibliothèque nationale, de directeur des Bibliothèques de France et de la Lecture publique, de président du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), qu’il rattache à la Lecture publique. Il a aussi l’occasion de revenir à l’histoire, sa vocation première, comme président de la Commission d’histoire de la Déportation au sein du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, et comme président de la Commission d’histoire économique et sociale de la Révolution française (1959). Il prend sa retraite en 1964.

Julien CAIN est décédé le 9 octobre 1974 dans le VIII° arrondissement de Paris

Extrait de BUCHENWALD PAR SES TÉMOINS, Histoire et dictionnaire du camp de concentration de Buchenwald-Dora et de ses Kommandos (1937-1945), éditions Belin, 2014

buchenwald

Auteurs : Dominique Orlowski (dir), membre de l’Association Buchenwald-Dora et Kommandos, Michelle Abraham, Hélène Houssemaine-Florent, Jeanne Ozbolt et Dominique Durand, filles et fils de déporté français ainsi que Franka Gunther, petite-fille de déporté allemand. Préface de Bertrand Herz, ancien déporté, président du Comité International Buchenwald-Dora et Kommandos.

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Avril 1945: un «revenant» de Buchenwald témoigne dans Le Figaro

LES ARCHIVES DU FIGARO – En avril 1945, Le Figaro recueille le témoignage de Julien Cain, rescapé du camp de Buchenwald. Il affirme que l’extermination des prisonniers était le véritable dessein du système concentrationnaire nazi.

D’origine juive, Julien Cain (1887-1974), est administrateur général de la Bibliothèque nationale de France (BnF) depuis dix ans quand il est révoqué de ses fonctions en juillet 1940. Il est arrêté le 12 février 1941 puis déporté à Buchenwald en Allemagne. Après la libération du camp le 11 avril 1945, il est rapatrié à Paris où il retrouve dès le mois d’octobre son poste à la Bibliothèque nationale. Il la dirige jusqu’à sa retraite en 1964.

Julien Cain livre au Figaro un témoignage encore rare en ce mois d’avril 1945 alors que les premiers rescapés des camps de concentration arrivent en France. Pour les lecteurs d’aujourd’hui qui n’ignorent rien de l’horreur des camps, il est évident que le récit ne dévoile pas toutes les souffrances endurées. Mais il est une petite phrase située à la fin de l’article qui interpelle vivement le lecteur, et que Le Figaro du 19 avril reprend en titre: Les camps sont «une organisation scientifique d’extermination». C’est bien ce que le monde entier découvre peu à peu, une extermination par le travail et les conditions de vie comme à Buchenwald ou par les chambres à gaz d’Auschwitz II-Birkenau, Treblinka ou Maïdanek.


Article paru dans le Figaro du 19 avril 1945

Buchenwald était une organisation scientifique d’extermination… nous déclare M. Julien Cain

Quelques heures après son arrivée, M. Jules (sic) Cain nous a reçus chez lui. L’ancien administrateur de la Bibliothèque Nationale paraît être dans un état physique assez bon: sur son visage cependant, cinquante mois de captivité ont imprimé leur marque.

«J’ai été arrêté le 12 février 1941, nous dit M. Cain, lors de la grande «rafle» des intellectuels. Après avoir passé quatre mois au secret de la Santé je fus pendant deux ans et demi, dans ce «vivier» de Romainville.

Ce fut ensuite cet enfer qui avait nom Buchenwald.

Ce fut ensuite cet enfer qui avait nom Buchenwald. Dans ce lieu maudit sur un plateau battu par tous les vents, nous fûmes en plein hiver, dépouillés de nos vêtements. Les morts s’accumulèrent.

J’ai vu mourir François de Tessan, Benjamin Crémieux, Paul-Albert Janson, premier ministre belge, Henri Maspero, dont la femme est à Ravensbrück; Bollaert, préfet du Rhône, partit un matin, les pieds nus, pour quelque «kommando»*. Nul n’a su ce qu’il était devenu.

La loi du camp c’était le travail. Un travail épuisant: 12 à 14 heures par jour de terrassement. La nourriture était innommable. Aussi, pendant le seul mois de février, 5.400 détenus sont morts.

Le 11 avril, les Américains qui se trouvaient à Erfurt, lançaient, en une pointe hardie, leurs tanks jusqu’à Buchenwald. L’ordre d’évacuer le camp avait été donné le matin même, par la Gestapo. Il avait reçu, hélas! un commencement d’exécution: 20.000 détenus, sur 40.000, ont été mis en route, encadrés par des SS., l’arme au poing et accompagnés de leurs chiens. Il y avait là des Français, des Tchèques, des Polonais, des Russes.

Des civils allemands défilent devant les corps de déportés, après la libération des camps.
Des civils allemands défilent devant les corps de déportés, après la libération des camps. Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier

À 16 heures, les soldats des USA apparaissaient. Le spectacle qu’ils eurent sous les yeux les remplit d’une telle horreur que le général Patton, venu avec ses officiers, fit rassembler toute la population de Weimar, qui se trouve à 8km de là. Hommes, femmes et enfants gravirent en une longue théorie, la colline maudite. Des haut-parleurs amplifiaient la voix des «speakers» américains qui, en phrases saisissantes, démontrèrent aux Allemands qu’ils étaient les complices des nazis et des SS.

De tels camps ne sont pas autre chose qu’une organisation scientifique d’extermination.

J’arrive à Paris comme un revenant, notre joie est immense.

En prenant congé de M. Julien Cain, nous avons tenu à lui exprimer notre émotion et notre satisfaction profondes de le revoir parmi nous lui et ses compagnons de captivité, après tant de mois où ils ont enduré les pires souffrances.

Par André Vinard

* François de Tessan (1883-1944) est un homme politique français et soutien influent de la Résistance en Seine-et-Marne, il meurt à Buchenwald le 22 avril 1944.

Benjamin Crémieux (1888-1944) est un critique littéraire, collaborateur à la NRF et résistant. Membre à Marseille d’un réseau de renseignement, il est arrêté en avril 1943 et meurt à Buchenwald le 14 avril 1944.

Paul-Emile Janson (et non Paul-Albert) (1872-1944) est un homme politique belge, premier ministre de 1937 à 1938. Réfugié en 1940 dans le sud de la France, il est arrêté en 1943 et déporté à Buchenwald où il meurt le 3 mars 1944.

Henri Maspero (1883-1945) est un sinologue français, professeur à l’École française d’Extrême-Orient et au Collège de France. Arrêté avec sa femme en raison d’une accusation d’actes de terrorisme portée sur son fils, il meurt à Buchenwald le 17 mars 1945, un mois avant la libération du camp.

Emile Bollaert (1890-1978) est un ancien préfet du Rhône, relevé de ses fonctions en 1940 par le gouvernement de Vichy. Organisateur actif de la Résistance sous le pseudonyme de «Beaudoin», il est nommé en 1943 délégué général du Comité français de Libération nationale en remplacement de Jean Moulin. Il est arrêté en février 1944 et déporté. Il ne meurt pas à Buchenwald comme le craint Julien Cain, mais il est déplacé à Dora puis à Bergen-Belsen. Il est rapatrié le 29 avril 1945.