CARTER-EDWARDS Ed KLB 78361

Parachuté en enfer

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Ed Carter-Edwards revenu à Buchenwald en pèlerinage lors du 70e anniversaire de la libération du camp

Né en 1924 au Canada, Ed Carter-Edwards fit partie de ces 168 aviateurs alliés, déportés dans un camp de concentration en dépit des conventions de Genève fixant le sort des prisonniers de guerre. Il vient, en décembre dernier, après des années de lutte menée avec ses camarades aviateurs canadiens contre l’oubli et pour la mémoire de la déportation, d’obtenir enfin une reconnaissance officielle du gouvernement fédéral allemand des atrocités commises contre eux par l’Allemagne nazie.
Le Comité international Buchenwald Dora se réjouit d’autant plus de cette nécessaire et tardive reconnaissance, qu’il a activement soutenu Ed Carter-Edwards dans ses démarches auprès des différentes instances fédérales.
En mission aérienne, au-dessus de la France, en juin 1944, Ed Carter- Edwards sauta en parachute de son avion Halifax, en feu, touché par un chasseur allemand. Cela se passe au-dessus d’Achères, à trente kilomètres de Paris. À terre, sur le sol français, Carter-Edwards va très vite connaître une situation dramatique qui le conduira, le 15 août 1944, à Buchenwald.
Voici le témoignage de son histoire, qu’il a livrée au cours de sa visite en France, à l’occasion du Congrès de Nantes, en octobre 2001.
« Arrivé en juin 1944 pour participer à une série de vingt et une opérations de reconnaissance météorologiques, de repérage de terrain, de brouillage de radars allemands, tout se passe comme prévu, jusqu’à la dernière et vingt et unième opération qui va tourner à la catastrophe.
Volant au-dessus d’Achères, notre Halifax est la cible d’un chasseur allemand. Deux ailes sont touchées, l’avion est en flammes, les six membres de l’équipage que nous formons sautent dans la nuit, sachant qu’ils vont atterrir sur le sol français, infesté d’ennemis. Un de mes camarades, une fois à terre, file en direction de la forêt pour se cacher. Je le suis, lorsque j’entends les hurlements d’un soldat allemand qui s’engage dans une course poursuite contre nous. Tom et moi arrivons à une croisée de chemins, hors d’haleine. Lui prend à gauche, moi à droite. (Il a bien fait. Retrouvé et caché par la Résistance française, il a retrouvé la liberté au moment de la Libération de Paris en août 44). Nous nous perdons de vue, mais semons l’Allemand. Epuisé par ces événements, je m’endors dans la forêt où je me cache pendant deux jours.
Enfin, j’aperçois une petite maison. Timidement je frappe à la porte, rassemble mes connaissances en français et demande: « Avey you le Pain si vous plaize ? ». Une femme me répond dans un anglais parfait, me bombarde de questions. Son mari et elle finalement acceptent de me cacher quelques jours dans une grange non loin.
Ma présence les rend très nerveux, car la Gestapo recherche un aviateur tombé non loin. Ils me donnent des vêtements civils et m’emmènent dans une autre cache. Là, je rencontre un autre couple de la Résistance française, qui m’expliquent qu’ils me liquideront, si jamais ils apprennent que ce que je dis n’est pas vrai, que je sois un indicateur allemand. Je leur donne une photo d’identité qui me restait dans mon paquetage de parachutiste, et ils me font faire de faux papiers. Je suis désormais Edouard Cartier.
Je pars avec eux à Paris, où je vais, me disent-ils, retrouver quelques camarades parachutistes. C’est exact, quelques heures plus tard, j’ai la joie d’embrasser trois de mes camarades. Nos amis français nous expliquent qu’ils vont nous emmener en Espagne. Nous étions si heureux dans cette voiture, le cauchemar de l’avion en feu, du parachutage dans des conditions dramatiques s’estompent.
Malheureusement, nous ne savions pas (et nos amis de la Résistance non plus), que le chauffeur est un informateur de la Gestapo. Là où il s’arrête brusquement, c’est – nous allons très vite le comprendre – un quartier général allemand. La voiture est immédiatement encadrée de soldats allemands, qui nous traînent hors du véhicule et nous frappent à coups de crosse et de bottes. Un officier allemand s’approche de moi, pointe son pistolet Luger entre mes yeux et hurle : « Qui êtes- vous ? ». Je lui réponds que je suis un aviateur canadien et dois être placé sous la protection de la Convention de Genève pour les prisonniers de guerre. Je lui montre ma plaque d’identité militaire, qu’il arrache de mon cou en criant : « Eh bien, maintenant, vous n’êtes plus militaire. Vous êtes des espions, des saboteurs et vous serez traités comme tels ».
Nous sommes jetés dans un camion qui nous conduit à la prison de Fresnes. Plus tard, nous partirons de là vers une gare où nous serons entassés dans un wagon sur lequel je lis : « 40 hommes – 8 chevaux ». Nous étions bien quatre-vingts ou cent là-dedans. Cinq jours après un voyage effroyable, nous arrivons à Buchenwald.

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Mis en quarantaine dans le petit camp, je tombe très vite gravement malade : une pneumonie, dont je ne vais me sortir que grâce à un médecin français, professeur à l’université, qui pompe avec une seringue tout le pus que j’ai dans le poumon*.
Les conditions de vie sont inhumaines ici. Partout des squelettes déambulent avec toutes sortes de malades possible, j’entends des êtres qui meurent à côté de moi en prononçant le nom d’une personne aimée. Je n’ai jamais rien vécu d’aussi terrible. Tous les jours, un prisonnier russe vient ramasser les cadavres par dizaines. Il déshabille les cadavres et inscrit un numéro sur leur cuisse. Je me demande bien pourquoi, puisqu’ils vont tous finir au crématoire.
Je suis resté six semaines ainsi, au milieu de 40.000 autres hommes, tous vivants dans le plus profond désespoir, constamment à la merci de nos gardes sadiques. Ensuite j’ai travaillé dans un kommando où je devais porter des rails de chemin de fer douze heures par jour. Quand j’ai fini par me plaindre, on m’a répondu que je n’avais qu’à aller faire mon rapport au crématoire…
Finalement, j’ai eu la chance de tomber sur un prisonnier danois, ancien résistant, qui travaillait à l’enregistrement des morts, en me recommandant surtout de ne pas me faire remarquer.
Un jour, à la fin du mois de novembre, je ne sais pas comment, je me suis finalement retrouvé dans un transport pour aller au Stalag III, à Sagan. La vie y était certes rude, on avait froid, pas grand chose à manger, mais c’était le paradis à côté de Buchenwald, qui m’avait brisé : j’avais peur des Allemands, peur de mon ombre, j’étais dans un tel état de choc que je ne me souviens pas bien des mois passés après dans ce Stalag jusqu’à la libération, en avril 1945 … « 

Propos recueillis et écrits par Agnès Triebel.

* il s’agissait vraisemblablement du prisonnier français Serge Balachowsky

Texte publié en mai-juin 2002 dans Le Serment N° 283


Ed Carter-Edwards, aviateur canadien, déporté à Buchenwald, KLB 78361

Discours prononcés le 13 avril sur la Place d’appel du camp lors du 69e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald
Textes parus dans
Le Serment N°353 (Juin, juillet, août 2014)

 » Chers Camarades
L’existence d’un réseau clandestin de résistance à l’intérieur du camp de Buchenwald était un secret hautement gardé, que seuls quelques détenus de confiance, mis à des postes clé dans l’administration du camp, connaissaient. Ces héros silencieux ont pris les plus grands risques pour sauver de la torture et des exécutions de nombreuses vies au camp.
L’un des épisodes les plus dramatiques et les plus risqués qui ait été tenté pour sauver des vies à Buchenwald fut le transfert des 168 pilotes alliés hors du camp, grâce à la résistance et au courage sans défaillance de ces hommes de confiance.
Un message parvint à sortir de Buchenwald indiquant à l’état major local de l’armée de l’air que 168 pilotes étaient à Buchenwald et qu’ils allaient être exécutés par pendaison. Ce message arriva jusqu’aux autorités de l’armée de l’air allemande qui ont fait ce qu’il fallait pour sortir de Buchenwald ces pilotes alliés. 157 d’entre eux furent escortés hors du camp par du personnel de l’armée de l’air allemande, le 25 octobre 1944, et transférés aux Stalag Luft 3, un camp de prisonniers de guerre sous contrôle de l’armée de l’air allemande. C’était quelques jours à peine avant que n’arrive l’ordre de Berlin d’exécuter tous les pilotes. Les 11 pilotes restants, qui étaient à l’infirmerie et trop malades pour être transférés furent finalement sortis du camp le 28 novembre 1944 et escortés jusqu’au même Stalag de l’armée de l’air allemande.
Le voyage de ces pilotes de la prison de Fresnes jusqu’à Buchenwald eut lieu le 15 août 1944 (dernier convoi de déportation parti de la région parisienne) et fut une expérience traumatisante, dont chacun de nous se souviendra pour le restant de ses jours. Sautant en parachute hors d’un appareil en flammes, récupérés au sol par des membres de la résistance française, espérant la liberté au bout de cet enfer, ce fut malheureusement un acte de trahison d’un collaborateur belge qui nous attendait et nous conduisit vers les geôles de la Gestapo à Paris, où nous avons été effroyablement battus, envoyés à la très redoutée prison de Fresnes pendant cinq semaines, avant d’entamer le plus inhumain des voyages : cinq jours dans des wagons à bestiaux français, où nous fûmes entassés à quatre-vingts par wagon vers une destination inconnue pour finalement arriver à Buchenwald où nous découvrîmes une immense cheminée et des milliers de squelettes humains. Incroyable vision, mais dont nous étions les témoins !
C’est grâce à la résistance que je suis ici aujourd’hui et peux partager ces souvenirs avec vous.
Si cette résistance n’avait pas existé, j’aurais été transformé en cendres et en volutes de fumée s’échappant du crématoire.
Je vous dois la vie ainsi que les 167 autres pilotes alliés. Nous serons éternellement reconnaissants pour les risques que vous avez pris pour nous et qui nous ont permis d’échapper à la mort certaine. Je vous remercie personnellement. »
Traduction Agnès Triebel

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