11 avril 2017, discours d’Olivier Lalieu, Président de l’association, au Père Lachaise

Photo de Michel Guilbert

Chers amis,

C’est toujours avec une grande émotion que nous nous retrouvons pour commémorer ensemble l’anniversaire de la libération du camp de Buchenwald et de ses kommandos, le 11 avril 1945.

Je veux en premier lieu vous remercier toutes et tous, très chaleureusement, pour votre présence devant notre monument du Père Lachaise à Paris.

Notre présence, c’est avant tout une fidélité au souvenir de nos parents, de nos proches, de ceux dont nous nous sentons les dépositaires et les héritiers. Nous voulons continuer à honorer collectivement leur mémoire, à commencer par celle des détenus morts en déportation. C’est aussi le sens de notre engagement au sein de l’Association française Buchenwald, Dora et kommandos.

Notre présence aujourd’hui marque également notre attachement à l’histoire dont ces hommes et ces femmes furent à la fois les victimes et les acteurs durant la Seconde Guerre mondiale, dans la Résistance et la Déportation, même si leur vie ne se résume pas seulement à cela bien sûr.

En ce 11 avril 2017, nous voulons nous souvenir de cette journée du 11 avril 1945 où l’héroïsme se mêle à la tragédie, comme souvent dans la noirceur des camps nazis.

Depuis des mois, la situation dans le camp central n’avait cessé de se détériorer. La surpopulation, l’alimentation et l’hygiène défaillante, la mortalité exponentielle frappaient durement les corps et les esprits. La situation devient chaotique comme rarement.

Détenus comme SS le savent. Le front se rapproche. Des avions survolent le camp, le bruit de la canonnade se renforce. Mais avec l’espoir renaissant arrive la crainte de l’extermination de la population du camp.

Le 3 avril les appels sont désormais supprimés et les kommandos ne fonctionnent plus. Progressivement, les détenus de certains camps annexes sont regroupés à Buchenwald. Ainsi, à partir du 4 avril, 9 000 détenus d’Ohrdruf arrivent. Ils laissent derrière eux des dizaines de camarades massacrés.

Le 5 avril, l’évacuation du camp de Buchenwald est ordonnée. Les détenus sont principalement envoyés vers Dachau et Flossenbürg, les nazis voulant déplacer cette main d’œuvre pour poursuivre la guerre jusqu’au bout. Ce sont majoritairement les détenus du Petit camp qui vont former ces colonnes vers l’inconnu.

Grâce à l’action de la résistance clandestine, près de 21 000 détenus, dont quelques 3 000 Français, soit environ la moitié des effectifs initiaux, ont pu être maintenus sur place.

Photo de Michel Guilbert

Le mercredi 11 avril, l’évacuation est stoppée.

À 10 h 15, l’alarme d’attaque aérienne retentit ; à 11 heures 15, l’alarme d’attaque terrestre ; à 12 heures 10, les SS quittent l’enceinte du camp. Seules demeurent des sentinelles dans les miradors. Le comité international clandestin se trouve alors en pleine discussion, sans avoir tranché sur l’opportunité de lancer un mouvement insurrectionnel que les dirigeants du Comité des intérêts français, autour de Frédéric-Henri Manhès et de Marcel Paul, appellent tant de leurs vœux mais que la direction allemande refuse d’engager. Comme Pierre Durand le rappelle : « Nous étions partisans d’une action offensive, pensant qu’en restant dans le camp on avait de fortes chances de se faire tous liquider, et les Allemands eux pensaient qu’il fallait attendre que le danger devienne vraiment imminent pour qu’on se défende en surprenant les SS. Finalement, les choses se sont passées dans des conditions un peu différentes parce-que les troupes américaines ont avancé rapidement, mais il est apparu, étant donné ce que les choses étaient devenues que c’était les Allemands qui avaient eu raison. »

Selon Simon Lagunas, un Lagerschutz commandant la compagnie de choc de la BFAL, les cadres de la Brigade française récupèrent à 13.00 les armes cachées depuis plusieurs mois et les gardent dans l’attente d’un ordre du Comité international. À 14 heures, la décision de lancer l’insurrection est finalement prise. Commence alors la distribution des armes : 127 fusils, 2 fusils-mitrailleurs et des caisses de grenades.

L’assaut mené par cette fraction organisée des détenus, dont beaucoup de communistes, certes minoritaire mais néanmoins bien réelle, peut débuter.

« Ce fut une minute émouvante et pathétique », se souvient le commandant de la Garde républicaine Louis Artous, qui dirige l’un des deux bataillons de la BFAL, avant de poursuivre : « L’effet de surprise fut complet. Devant cette révolte organisée, armée et inattendue, nos gardiens, qui, de leurs postes élevés, non seulement entendaient mais apercevaient les chars américains qui commençaient à gravir la colline n’insistèrent pas ; ils s’enfuirent individuellement ». Marcel Paul le confirme : « Le dispositif s’est mis en route et les Allemands on été pris de panique, ont quitté les miradors, ça été chez eux la déroute absolue. »

Le colonel Artous le souligne : « Vers 16 heures, nous eûmes l’honneur de recevoir nous-mêmes, à la porte du camp, les premiers blindés américains. Ces magnifiques soldats de l’armée Patton avaient réalisé ce jour-là une avancée formidable qui, indiscutablement, sauva la vie à plus de 20 000 détenus. »

Le journal de marche de la IVe division blindée américaine mentionne ainsi en date du 11 avril : « Des groupes spéciaux d’assaut avaient été organisés pour vaincre les gardiens. Avant notre arrivée, les postes de garde ont été pris et 125 SS ont été capturés et sont toujours prisonniers du camp. La direction du camp est entre les mains d’un comité bien organisé composé de toutes les nationalités représentées. »

Des formations de détenus armés se lancent alors à la poursuite des SS dans les environs et établissent un périmètre de sécurité de deux kilomètres autour du camp. Plus de deux cents anciens gardiens seront ainsi livrés aux troupes américaines.

Oui, l’histoire du 11 avril 1945, l’histoire de la Résistance clandestine à Buchenwald et dans ses kommandos, constituent une page glorieuse de la Déportation qui doit être honorée, qui doit rappelée, qui doit être enseignée. Roger Arnould, déporté résistant à Buchenwald et qui fit œuvre d’historien, avait raison de dire qu’il s’agit, je le cite, « d’un héritage légué, montrant comment dans la pire adversité il ne faut jamais désespérer, même quand tout semble perdu ou dépendre uniquement d’un heureux hasard. Va-t-on l’oublier ou l’apprécier ? Les survivants, ceux qui y ont cru, ne souhaitent rien d’autre que la reconnaissance de leur capacité à résister, face aux SS et au nazisme en leur œuvre d’anéantissement de la dignité humaine. »

Photo de Michel Guilbert

Plus que jamais, le sens de ces propos doit nous alerter et nous mobiliser face au présent et à l’avenir. Il n’y a pas de fatalité dans l’oubli ou la transgression des hautes valeurs morales dont la Résistance et la Déportation ont été les incubateurs. Ne cédons rien à la fatalité ou à la résignation. Agissons.

Ne cédons rien au racisme, à l’antisémitisme, à la xénophobie, au totalitarisme. L’histoire de Buchenwald s’est construite sur ces perversions de l’esprit humain, opposons leur notre absolue détermination à faire vivre et à défendre à chaque instant la devise de notre si chère République « Liberté, Egalité, Fraternité ».

A sa manière, et dans un autre contexte, le résistant Eugène Thomas, membre du bureau du Comité des intérêts français, nous y invite dans un texte écrit le 22 janvier 1945 à Buchenwald : « Et oui ! Ici, on est trop souvent mesquin, veule, lâche… On a peur… Alors, un seul principe, une seule règle : ne rien voir, ne rien dire, fermer les yeux, fermer la bouche, ne pas s’indigner devant un spectacle indigne, ne plus bondir devant l’injustice, bref se faire mouton docile dans le troupeau servile.

Certes, tout cela est triste, décevant. Mais nous devons cependant nous dire que le pauvre tableau de dégradation humaine que nous avons sous les yeux est le fruit normal de l’atmosphère même du camp : terreur, délation, mouchardage, manœuvres souterraines, la dictature plus ou moins secrète. Aussi je crois et j’espère ardemment que tout homme digne de ce nom aura ici senti grandir en lui l’Amour de la liberté ! (…)

Tolérance et liberté pour tous, oui… Discussions vive, ardente, passionnée même, oui… Mais la dictature qui fait les lâches, la pression, le joug, la prétendue vérité imposée par une secte, jamais. »

Face aux enjeux du XXIe siècle naissant, de ces enjeux qui sont devant nous et autour de nous, puisons dans la force et l’intelligence des insurgés de Buchenwald des raisons d’espérer et de lutter, sans rien trahir de leur héritage.

Je vous remercie.

Photo de Michel Guilbert

 

Un commentaire sur “11 avril 2017, discours d’Olivier Lalieu, Président de l’association, au Père Lachaise

  1. Merci pour ce discours, fidèle à l’histoire-même de cette Libération et à la dignité de Buchenwald. Un énoncé édifiant qui rend hommage à la combativité des déportés, meurtris mais invincibles dans leur volonté de ne pas renoncer aux valeurs essentielles, de celles qui donnent envie d’aimer la vie. Leur Serment est le nôtre, toujours au présent.

    Gisèle Provost

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