Témoignage de ANONYME (1/2)

Périple des Français dans les prisons

1938, avec les accords de Munich – qui devaient nous amener 20 ans de paix selon Daladier – c’est la préparation à la guerre : Hitler est arrogant et des échos de chez nous lui répondent : plutôt Hitler que le Front populaire.
1939, c’est la guerre – la drôle comme on dit. En effet, la Wehrmacht envahit les pays les uns après les autres comme par enchantement. C’est qu’avec Hitler, il y a la mafia des gros financiers allemands, mais aussi internationaux qui voient en lui le sauveur devant la montée des forces démocratiques. Cette drôle de guerre pour la France n’aura pas duré longtemps – moins d’un an – mais… elle ne faisait que commencer, car c’était l’anéantissement de toute démocratie et liberté qui était le but final à cette entreprise fantastique.
Je suis démobilisé à Limoges – mon pays natal – et avant de regagner la capitale, en disant au revoir à quelques camarades – notamment OBRETCH qui sera déporté aussi, on se donne R.V… en prison, on ne sait jamais, eh bien nous nous sommes vus avec un camarade, dont j’ai oublié le nom : deux minutes à la Santé, étant dans un petit local, en transit chacun dans une direction différente.
De retour à Paris, j’ai aussitôt été contacté par un camarade, pour faire quoi ? mais la Résistance à l’occupant. Mon travail a consisté à la prospection de matériel de propagande, d’abord pour dénoncer la supercherie des soldats Allemands – polis et corrects – et ensuite appeler à la lutte contre les pilleurs de la France et affameurs de sa population. L’hiver en vélo dans la neige – avec des boyaux qu’il fallait réparer tous les soirs – jusqu’au 17 janvier 1941, je transportai les messages de l’action et de l’espoir.
Et puis ce matin-là, à 6H45, une rafle sur mon chemin, je suis pris avec une pleine musette de tracts pour l’hôpital BROUSSAIS – mon lieu de travail. La curiosité des flics a été plus forte que mes efforts de conviction à vouloir les persuader que c’étaient des billets de salle et des feuilles de température pour les malades. L’interrogatoire au commissariat – qui ne leur a rien appris – puis la Santé.
Condamné à 8 mois de prison, je suis transféré à la centrale de Poissy, après un passage de 8 jours à Fresnes. Mis dans un atelier de la gauche aux inoccupés – car là aussi il y avait le chômage – assis à 8 sur un banc, serrés comme des sardines et mélangés avec les « droit commun », avec défense de causer 24h sur 24. Malgré notre éparpillement parmi les truands et le silence imposé, nous arrivons quand même à faire connaissance et la chose qui prévalut en premier, en l’absence de tout colis, c’est la solidarité avec les copains qui étaient punis au pain sec. Cela consistait à avoir la gamelle de soupe – eau chaude – tous les quatre jours seulement et il fallait faire peu d’efforts pour gagner cette « récompense ».
Sept mois passés la-dedans, 12h couché, 11h assis et environ une heure debout : trajet entre le réfectoire, dortoir, atelier et 10 minutes de promenade. Je suis sorti avec de la corne aux fesses. Le beau-fils de Léon FIX sortait le même jour (09/ 09/41), j’ai eu ainsi l’honneur d’être accueilli à ma sortie par notre brave Léon et sa femme. Ils craignaient que nous ne soyons kidnappés à notre sortie pour un camp d’internement : heureusement pour nous, il n’en fut rien.
Quelques mois passés dans l’isolement complet – étant pisté par la police – je reprends du service après avoir quitté le 13ème pour le 15ème vers Mars 1942. Travaillant comme docker – d’eau douce – à la raffinerie Say, j’avais pris mes congés payés au mois d’août 42 pour ne plus y revenir, devant assurer en permanence la distribution du matériel de propagande du Front National dans tout Paris et en banlieue aussi.
J’avais commencé à prendre les contacts nécessaires à cet effet, et en même temps devais prendre livraison d’un gros paquet de tracts pour les usines Renault et Citroën. Le paquet n’était pas là mais « Alphonse » me remit un petit paquet cacheté à porter dans la planque de la rue de l’Eure dans le 14ème. Et c’est avec ce petit paquet que je tombe sur un barrage de police place Denfert, où j’étais déjà passé le matin aidant à tirer une voiture à bras à « Capron » qui me remercia chez Albert Delplat, rue Didot, car je n’avais pas besoin de connaître le lieu de l’imprimerie. Questionné sur la destination de ces tracts, je répondis que je les jetai dans la rue. Les flics voulaient savoir le lieu exact, l’heure et le jour, car ces papiers dont j’ignorais le contenu étaient destinés aux militants communistes originaires du Pas de Calais : il y avait mal-donne et le policier a failli avaler ses oreilles en riant, sûr de me prendre en flagrant délit de mensonge. Eh bien j’ai rigolé avec lui et peut-être plus, afin de reprendre mon souffle et reprenant mon sérieux, je lui dis que mon seul travail consistait à jeter des tracts dans la rue et que c’était « Alphonse » – déjà cité – qui s’était trompé de paquet et que je n’avais rien à voir avec ces tracts.

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Plaque commémorant la mémoire des dix-huit résistants exécutés à la Prison de la Santé durant la seconde guerre mondiale.

Après quelques heures d’arguments frappant par la brigade spéciale pour me convaincre de dire la vérité, je rejoins la Santé et là hélas je n’étais plus seul comme politique. Je fus le 3ème dans la cellule sur un effectif de cinq clients. Condamné à trois ans de prison, je rejoins la centrale de Poissy où je redoutais tant de revenir assis sur le banc. Je suis affecté de nouveau à la gauche, atelier de la cellophane, et c’est encore mon ami FIX qui m’accueillit à mon arrivée, mais dedans ce coup-là, et l’infortune n’empêchant pas la bonne humeur, je lui dis ma témérité d’être venu le chercher, lui, à l’intérieur de la prison mais que j’avais été plus imprudent que lui qui m’avait attendu – sans le savoir – à la sortie en Septembre 41.
Mais hélas la situation a changé, beaucoup plus nombreux sont les camarades, ce qui nous a permis malgré tout de mener une lutte plus efficace. À l’atelier de cellophane, nous faisions des petits sachets collés à l’acétone, mais aussi des sacs en papier pour le charbon de bois ou autres. Quand il n’y avait pas trop de surveillance, nous faisions une grosse économie de colle pour que ça lâche à la moindre occasion. Pour les gardiens – dans leur majorité – nous n’étions que des « clients » de passage, aussi ils ne nous faisaient pas de cadeaux.
En 1941, pour la première fois que j’allais aux douches, un pari avait été fait entre deux gardiens, à savoir celui qui ferait passer le maximun de détenus dans un minimum de temps. Aussi, entre le commandement : « Déshabillez-vous, savonnez-vous, rincez-vous et rhabillez-vous », il ne s’écoulait certainement pas cinq minutes. J’avais cru à une plaisanterie « de bon goût ». Aussi le corps plein de savon, l’eau coupée, j’attendais patiemment pour me rincer que l’eau recoule. Mais le gardien, à qui il manquait une unité, est venu me sortir de là et c’est le corps mousseux que j’ai dû m’essuyer tant bien que mal sous les jurons de cet être très intelligent ; car je risquais de lui faire perdre son pari.
Une autre fois, c’est « Fernandel » qui du haut de l’escalier veut envoyer un coup de pied au derrière de l’un d’entre nous, mais il rate son but, perd l’équilibre et dégringole jusqu’en bas des marches – sans cependant trop de bobo; je peux dire que l’éclat de rire général et pas marchandé qui a salué cet incident ne l’a pas mis dans un état d’euphorie comme nous.
En 1943, lors de 2ème stage, lors du rasage de l’atelier, je demande au gardien d’aller changer l’eau du baquet dans lequel on se lavait et rinçait le blaireau après rasage : cette eau était couleur de lait. « C’est bien bon pour vous » me fut-il répondu ! Furieux, d’un bond j’étais dans la cour au robinet et me rinçait la figure à l’eau claire. C’était compter sans l’arrogance du gardien, qui aussitôt prenait mon numéro pour une éventuelle punition qui ne me souriait guère. Ce n’est que grâce à l’intervention de notre ami MERCKS qui faisait office de chef d’équipe que je ne fus pas inquiété et l’eau du baquet fut aussitôt renouvelée.

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La porte de la prison de la Santé durant la Seconde Guerre mondiale

Un autre gardien, quand il était de service à notre réveil au dortoir, attendait qu’il y ait le plein aux lavabos, juste savonnés, et là, posté devant le robinet d’arrêt le fermait en douce en disant : il n’y a plus d’eau. Mais malgré tout, notre foi en la victoire n’en était pas ébranlée pour autant et la lutte pour l’amélioration de notre sort s’organisait peu à peu. Le travail au ralenti allait en s’amplifiant, jusqu’à ne plus travailler – et pas vite – que le matin. L’après-midi, on s’arrangeait pour lire, en indiquant aux gardiens qui trouvaient cela anormal – et surtout inhabituel – que notre place de travailleurs était dehors et non en ce lieu.
Mais ce qui mit le feu aux poudres, c’est lorsque plusieurs de nos camarades furent punis de « mitard » (cachot), je ne me rappelle plus la raison. Nous avions décidé la confection au crayon de petits papillons avec nos mots d’ordre : « libérez les patriotes, une nourriture plus abondante » etc… Ces papillons étaient lancés le soir des dortoirs par ceux qui avaient leur cellule nocturne en face d’une fenêtre – mais grillagée – ce qui créait des difficultés. Ils étaient récupérés le matin par les gardiens qui les apportaient religieusement au Directeur par voie hiérarchique. Mais heureusement que leur éparpillement ne permettait pas de contrôler d’où ils étaient partis : ce qui fit notre force. Le directeur, inquiet de cette agitation, voulut, paraît-il, en avoir le coeur net et demanda que les responsables d’atelier aillent discuter avec lui. Il lui fut répondu qu’ici tout le monde était responsable mais que nous étions prêts à en désigner un par atelier pour discuter avec lui. C’était du coup reconnaître les « délégués d’usine » qui ne manquèrent pas de lui exposer nos revendications. D’autres camarades que moi connaissent mieux les détails.
Au bout de quelques jours, nous fûmes séparés des « droit commun » et mis dans un atelier sans travail – mais pas obligation d’être assis à huit sur un banc – et aussitôt ce fut l’organisation de cours de toutes sortes, de causeries, de petites récréations théâtrales, etc… Une vie aussi belle – si l’on peut dire – ne pouvait pas durer bien longtemps, à la séparation d’avec les « droit commun » était intervenue en même temps notre triage. À l’aile droite tous les camarades condamnés aux travaux forcés, et à l’aile gauche ceux condamnés à la prison simple; ils croyaient ainsi avoir séparé les meneurs d’avec les moutons de panurge; ils n’étaient pas au bout de leurs surprises. Nous non plus d’ailleurs.
Le directeur de Poissy ayant perdu la face vis-à-vis des autorités de Vichy, notre transfert s’imposait. C’est ainsi qu’un beau matin vers les 4 heures, une puissante Marseillaise partie de l’aile droite mettait tout le quartier en émoi, et la gauche ayant compris aussitôt ce qui se passait reprenait en choeur les chants de la liberté, de la lutte et de l’espérance. C’est ainsi que les condamnés aux travaux forcés partaient pour la prison de Blois. Le tour des moutons de panurge que l’on croyait que nous étions ne tarda pas à subir le même sort, et le même scénario se reproduisit, sans écho de la droite ce coup-là.
Enchaînés deux par deux, et rassemblés avant le départ pour une destination inconnue, ce fut un vibrant chant « ce n’est qu’un au revoir » précédé par la Marseillaise, et suivi par l’Internationale, qui montrait que notre moral et notre foi en la victoire étaient intacts. Je regardai un gardien à coté de moi. Il était atterré : c’était nous qui étions enchaînés, c’est lui avec ses semblables qui avait peur… Le train roulait vers l’Est. Nous ne savions où et finalement ce fut l’arrêt à Melun, cette centrale si humide entourée par deux bras de la Seine.

Texte publié en mai juin 1988 dans Le Serment N° 195

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