Lucien Berthel est né le 1er février 1927 à Magny-Vernois (Haute –Saône). Son père et ses oncles, anciens de la guerre de 14, engagés dans le syndicalisme ouvrier, sont inquiets de la montée du nazisme et lui transmettent leurs valeurs.
En 1940, il quitte l’école avec son certificat d’études et devient commis de ferme. Cette même année, il assiste successivement à l’arrivée des soldats français qui prennent leurs quartiers puis, la rage au cœur, au défilé des troupes allemandes victorieuses.
Recruté par la Résistance depuis juin 1943, en 44, il est engagé dans « Défense de la France », sous-groupement de Lure. Il a 17 ans. Sa cousine, Andrée Berthel, est agent de liaison de la compagnie « Valmy » des FTPF. Lors de l’anéantissement dramatique du maquis de Chérimont à la mi-septembre, il est fait prisonnier et interné à la caserne Friedrich de Belfort. De ses compagnons de maquis, il n’en reste plus que quatre ; la majorité a été tuée ou fusillée.
Le 3 octobre, il est transféré en Allemagne. Le voyage dure trois jours. Il arrive à Buchenwald et devient le « Häftling » 74515. Après la quarantaine, il part le 14 novembre pour Ellrich, avec dix autres Français.
À Ellrich, il est affecté au block 6 et employé au « Lagerofbahnhof 1 ». Son travail consiste à décharger des wagons de matériaux de construction ou à effectuer des travaux de terrassement. Un jour sur deux, il doit aller chercher la soupe de l’encadrement à Woffleben, distant de 12 km ou des chargements de planches à Dora, toujours à pied. L’hiver 44-45 est très rude. Les conditions de vie sont épouvantables. Sur les dix Français arrivés avec lui, six meurent pendant le premier trimestre 1945. Lucien, épuisé, passe trois jours au Revier en mars.
Il quitte Ellrich par le convoi du 4 avril et arrive à Bergen-Belsen le 9, via Hambourg. Frappé par un soldat allemand, dans le train, Lucien perd connaissance et ne gardera aucun souvenir de la fin du voyage.
À Bergen-Belsen, c’est la famine. Dans un état d’extrême faiblesse, il est sauvé par l’arrivée des Britanniques. Son rapatriement commence le 24 avril ; il arrive début mai chez ses parents, à Ronchamp. Son jeune frère ne le reconnaît pas et se sauve. Il ne pèse plus que 28 kg et porte toujours ses habits de déporté. Il souffre de dysenterie. Il entend le docteur dire à sa mère : « Il est foutu votre gosse. »
Puis la vie reprend. En 1946, il a récupéré physiquement et est embauché comme ouvrier fondeur à la fonderie Laurent. Il se marie en 1948 avec Hélène Szymanska ; deux fils naissent : Christian en 1950 et Patrick en 1953. Il s’installe au Beuveroux, commune de Champagney et adhère au Parti Communiste. C’est aussi un artiste qui travaille le bois et le métal.
À son retour, il n’a pas raconté ses mois d’horreur à son entourage mais retrouve des camarades de déportation. Il est président de l’ADIRP de Haute-Saône jusqu’en 2013. Il a longtemps fait partie du bureau de l’ANACR et de l’AFMD de Haute-Saône.Ce n’est qu’à partir des années 1990, à la retraite, qu’il se met à témoigner dans les lycées et collèges, en France et en Allemagne. Il revient plusieurs fois à Ellrich. Combattant de la mémoire, il construit lui-même une stèle sur l’emplacement du maquis de Chérimont, à la mémoire de ses camarades.
Détenteur de la carte de Combattant Volontaire de la Résistance, il a reçu la médaille de la Résistance et a été fait chevalier de la Légion d’honneur le 8 mai 2015.
Il décède le 6 juillet 2018. Il a demandé dans ses dernières volontés, que l’on disperse ses cendres à Ellrich.
Anne FURIGO
Sources : entretiens avec Lucien Berthel, livre d’Alain Jacquot-Boileau : « L’itinéraire de Lucien Berthel du Chérimont à Bergen-Belsen 1944-1945 », Colette Gaidry, présidente de l’ANACR de Haute-Saône
Paru dans le Serment 370