CAMPANIN Claude KLB 40943


« Témoigner pour prévenir nos contemporains »

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Maurice Bernadot et Claude Campanini ont commémoré le 65e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald pour honorer la mémoire des résistants déportés.

Ils avaient une vingtaine d’années quand ils ont vécu l’horreur des camps de concentration. Aujourd’hui âgés de 87 et 85 ans, Maurice Bernadot et Claude Campanini font appel à leurs souvenirs intacts d’une période très dure de leur vie pour nous raconter leur histoire. Destin croisé de deux survivants sur Moissac et Catselsarrasin qui demeurent des mémoires vivantes de cette époque.

Les deux hommes appartiennent alors à la Résistance et sont dans deux compagnies de l’Armée Secrète. Maurice, le Castelsarrasinois, se fait arrêter le 12 juin 1943 alors qu’il tente de rejoindre les Forces Françaises Libres en Angleterre via l’Espagne. Il sera déporté vers le camp de Buchenwald. Claude, lui aussi est arrêté en 1943, le 12 également, mais du mois de novembre. Ce jour-là, ils sont 17 de Moissac à être internés au camp de Buchenwald puis à Dora.

Leurs chemins ne se rencontreront pas avant la fin de la guerre. Ils se connaissaient mais ne savaient pas que l’un et l’autre avaient connu des souffrances similaires. « À notre retour, quand on voyait un visage arrivé on savait tout de suite que c’était celui d’un déporté », affirme Maurice. « Vous savez, on ne pesait plus qu’entre 37 et 40 kg à la libération des camps en avril 1945 », précise-t-il encore. « D’ailleurs, les médecins pensaient qu’on ne survivrait pas plus de cinq ans après notre déportation. » Véritable miraculé, Maurice a pourtant durement souffert du travail forcé et du manque de nourriture.

Même schéma pour Claude qui retrouve le Sud-Ouest le 6 mai près d’un mois après la libération du camp de Dora où il se trouvait. « Moi, je suis allé voir le docteur à Saint-Nicolas-de-la-Grave le 8 mai, il ne pensait pas que je verrai le début de l’été », ajoute Claude.

Garants de la mémoire collective

Et pourtant, les années ont défilé et ils sont toujours là, garants d’une mémoire qu’il faut sans cesse raviver. « Notre action se borne à témoigner pour essayer de prévenir nos contemporains des dangers qu’il y a avec certains foyers inquiétants sous le prétexte de la démocratie », explique Claude Campanini.

« Une fois, je suis allée à la gendarmerie de Castel. Là-bas, ils m’ont dit qu’il n’y avait que moi qui pouvais parler de l’ancien, car plus personne n’en parlera », se rappelle Maurice Bernadot.

Alors, depuis sept années, les deux compères se retrouvent devant la stèle qu’ils ont érigée pour déposer une gerbe au nom de leurs camarades résistants disparus durant la guerre : Roger Alphonsy, Léon Brun, Paul Descazeaux, Joseph Jô, Maurice Nouvel, Pierre Salobert et Louis Sicre. 65 ans jour pour jour après la libération par des éléments du 85e régiment d’infanterie américain du camp de Buchenwald le 11 avril 1945. Pour que l’on n’oublie jamais.


Claude Campanini : itinéraire d’un déporté moissagais

Par Claude Campanini

Né le 16 mars 1925 à Parme (Italie), je suis ce qu’il est convenu d’appeler, malgré ma naissance en Italie, un émigré de la deuxième génération. Je n’ai aucune souvenance de mon pays d’origine, puisque arrivé en France avec mes parents à l’âge de quelques mois. Mes parents, dans leur enfance, leur adolescence, leur vie d’adulte et jusqu’en 1925 à leur arrivée en France ont toujours vécu la vie de servage des ouvriers agricoles italiens de l’époque. Mon père, à son retour de la guerre de 1914-1918, n’a jamais admis que son pays pour lequel il a été blessé deux fois et risqué sa vie, en récompense n’ait eu que le chômage à lui offrir. Jusqu’à son mariage mon père n’avait pas le souvenir d’avoir dormi ailleurs que dans l’étable et la paille.

Emigré avec sa famille pour des raisons vitales, mais aussi pour fuir le fascisme mussolinien, il portait un culte tout particulier à son pays d’adoption, la France, qui lui avait permis de nourrir et d’élever sa famille dans la dignité du travail, où il appréciait très fort la liberté et la démocratie. Ce à quoi il était très sensible, bien que dans les débuts les choses, tant sur le plan matériel que relationnel, fussent très dures. Nous étions des macaronis, qui selon l’expression de l’époque, mangions le pain des Français.

Notre famille fut naturalisée française par décret du 20 juillet 1937. Personnellement j’ai énormément souffert de ce statut d’étranger. Le patriotisme était un sentiment très développé, très ancré dans l’opinion de l’époque. J’enviais mes camarades français d’avoir une Patrie, moi le transplanté ! Pour aussi loin que je me souvienne, à l’école et dans nos jeux, mes camarades ne m’ont jamais appelé de mon prénom ; pour eux j’étais le “ bicot “ et mon frère le “ canaque “, par référence aux peuples colonisés que l’on considérait comme inférieurs. J’étais angoissé lorsqu’il fallait que je décline mon identité qui évidemment trahissait mon origine. A seize ans, je changeais de prénom, je me faisais appeler Claude qui faisait plus français que Viscardo mon prénom de baptême. J’empruntais le prénom d’un frère que mes parents perdirent avant ma naissance. J’anticipe un peu, mais plus tard lorsque, sur ma tenue de bagnard je porterai le triangle rouge avec le F des résistants français, j’en serai fier. J’étais conscient de porter et d’avoir gagné mes titres de “ noblesse “ de français. C’est certainement une des raisons qui m’ont aidé à surmonter la terrible épreuve des camps de la mort.

J’ai été élevé, tant sur le plan familial que scolaire ou de voisinage, dans le culte de la République et de la démocratie. La capitulation de la France en 1940 a porté un terrible coup au moral familial. Mon père qui avait, comme je l’ai déjà dit, vécu le fascisme, n’a jamais fait confiance à l’État (…)

(…) français de Pétain. Le temps qui passe lui donne bientôt raison. L’occupation allemande et l’État Français se font tous les jours plus durs, plus contraignants, l’administration, les réquisitions, la répression de jour en jour plus draconiennes, plus impitoyables. Tous les jours les journaux font état, en grande manchette, de l’arrestation et de l’exécution des patriotes. En mars 1943, mon frère Bruno reçoit un ordre de réquisition pour le Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne. Il refuse de partir et quitte la maison.

Entrée à la 12e Compagnie de l’Armée Secrète du Tarn-et-Garonne

A ma sortie de l’école communale en juillet 1938, j’ai continué à voir mon instituteur, Lucien Loubradou, pour lequel j’ai toujours eu des sentiments d’affectueuse reconnaissance et qui en échange m’avait donné sa paternelle amitié. Il était connu pour son appartenance à la SFIO et à la Franc-Maçonnerie, raisons de son renvoi de l’enseignement en octobre 1940 par le gouvernement de Vichy. Je m’adressais à lui pour lui faire part de la situation de mon frère. Il lui procura des documents le dispensant du STO. Connaissant les opinions antifascistes de la famille Campanni, M. Loubradou nous recrute pour entrer dans la résistance. Notre ferme de Saint-Nicolas-de-la-Grave servira de lieu d’hébergement et de passage pour personnes en difficulté et recherchées ; en attendant une destination définitive. Notre grange à foin abritera des munitions. La 12e compagnie de l’Armée secrète n’eut qu’une existence éphémère. Elle commença à se structurer au début de 1943 pour être anéantie par les arrestations des 11, 12 et 13 novembre de la même année. L’Armée Secrète était une organisation de résistance mise sur pied par le Général de Gaulle qui désigne son représentant en France au plan national, le général Charles Delestraint. Après l’arrestation, la déportation et l’exécution de ce dernier son remplaçant est nommé, il s’agit de M. Dejussieu-Pontcaral, qui sera lui aussi arrêté et que je rencontrerais au camp de Dora. Voici ce qu’écrit mon camarade et ami André Vernines sur la 12e compagnie AS, lord du 50e anniversaire de la Libération : “ Il faut préciser qu’il y a eu deux 12e compagnie successives. La première a été dénoncée aux allemands, ses membres arrêtés ont été déportés avec les conséquences tragiques que l’on connaît. Ce n’est pas a nous d’en parler ici car à l’époque très peu d’entre nous étaient au courant . Donc cette 12e compagnie AS de Tarn-et-Garonne a été recréée au cours de l’année 1944 et c’est M. Bajon, alias “ Capitaine Potez “ qui en assura le commandement. Nous avons été réunis au lieu dit “ le moulin “ à Montpezat-de-Quercy. Le lieutenant Gaston et l’adjudant Anatole furent chargés de notre instruction militaire. En effet très peu d’entre nous avaient eu des armes de (…)

(…) guerre entre les mains. Le 20 août 1944 nous fûmes transportés à Moissac. Notre armement un peu hétéroclite était en majorité canadien. Nous nous lançâmes à la poursuite des derniers soldats allemands. Nous en capturâmes environ 90 à Moissac et Fleury, 60 à Boudou avec l’ami Richasse. Au total il y eut environ 150 prisonniers (dont 90 allemands et 60 caucasiens). Ils furent détenus du Centre des Impôts (ancienne Kommandantur) quelques jours, puis acheminés au domaine de Lavalade où ils travaillèrent au défrichage du terrain d’aviation de Gandalou. Notre Compagnie rendit les honneurs aux obsèques de Ladislas Nowak et Manuel Cugat, deux résistants moissagais assassinés dans les prisons du Quartier Doumerc à Montauban. En septembre 1944, notre Compagnie fut dissoute. La majorité de ses 200 maquisards continuèrent le combat dans d’autres unités en particulier à Autun où Claude Larroque fut tué au combat de la Pointe-de-Grave. C’est une histoire toute simple que nous avons vécu, une histoire bien ordinaire “.

L’arrestation

Le 12 novembre 1943, sur dénonciation, la presque totalité des membres de notre organisation est arrêtée par des agents de la Gestapo d’Agen. Seuls le capitaine Loubradou et le chef du groupe de protection du groupe de destruction, auquel nous appartenions, mon père, mon frère et moi en réchapperons. Ce dernier, Manuel Cugat, sera pris quelques jours avant la libération de Moissac et assassiné dans une prison de la caserne Doumerc, le 19 août 1944 à Montauban. A partir du 12 novembre 1943, pour nous, les choses vont toujours aller en s’aggravant, de pire en pire, jusqu’à notre libération. Hélas, mon père lui décéda dans la marche de la mort de l’évacuation du camp de Flossenburg. C’est d’abord le siège de la Gestapo où vont se dérouler les interrogatoires. Je pense qu’il est inutile de préciser que mon père et mon frère ont été arrêtés en même temps que moi, à notre domicile de Saint-Nicolas-de-la-Grave. Notre interrogatoire s’est relativement bien passé, puisque la Gestapo avait en sa possession tous les renseignements nous concernant. A savoir, que nous appartenions à une organisation terroriste (pour les nazis les résistants étaient des terroristes). Que nous étions des traîtres à notre patrie – l’Italie fasciste, alliée des nazis – du fait de notre naturalisation, que nous étions des déserteurs pour n’avoir pas répondu à un ordre de mobilisation qui nous était parvenu par le canal du Consulat d’Italie de Montauban. Beaucoup de charges contre nous. Des charges qui nous valurent d’être condamnés à être fusillés. Après une mise en scène de simulacre d’exécution, on nous propose un engagement dans les armées de l’Axe. Sur notre refus le verdict fut confirmé. En attendant l’exécution de la sentence, nous fûmes transférés à la prison Saint-Michel (Toulouse). Ai-je besoin de préciser (…)

(…) l’état d’esprit dans lequel nous étions. A Saint-Michel, presque journellement à l’appel de noms suivait quelques instants après le bruit des salves d’exécution. Nous vivions dans l’angoisse permanente. Ainsi le temps passa jusqu’au 26 décembre 1943, dans l’attente et la peur.

Le Camp de Compiègne

Le 26 décembre 1943, ce fut le départ pour le camp de Compiègne. Enchaîné à mon père et à mon frère pendant le “ transport “ de la prison à la gare Matabiau et pour tout le voyage ; nos chaînes ne nous seront enlevées qu’à l’arrivée dans l’enceinte du camp. Pendant le voyage de Toulouse à Paris, un bébé est mort. Sa maman, une jeune femme juive arrêtée depuis plusieurs jours, n’avait reçu aucune nourriture pour son nourrisson. Sur le camp de Compiègne il y a peu à dire si ce n’est qu’après la prison, nous éprouvions une sorte de liberté à pouvoir déambuler sur la place d’appel ou dans les bâtiments. Certains détenus avaient mis en place un sordide trafic de nourriture et exploitaient la misère de leurs camarades sans vergogne ! La nourriture de l’intendance allemande de Compiègne, si elle était très nettement insuffisante, elle était du moins consommable. Celle de l’intendance française de la prison Saint-Michel était tout aussi insuffisante et de plus infecte ! Les légumes étaient pleins de cailloux, de détritus. Nous étions dans le quartier des détenus politiques. Comment était la nourriture du quartier réservé aux droits communs ? Renseignement pris auprès du doyen de baraque, notre angoisse s’estompe un peu de savoir que l’on ne fusille pas à Compiègne.

Compiègne, le camp

La plus grande partie des déportations de France vers l’Allemagne, en dehors de celle des Juifs, s’opère à partir du Camp de Compiègne. C’est un ensemble de bâtiments militaires français implantés à Royalieu au Sud de la ville, que les allemands utilisent dès 1940 dans un premier temps comme “ camp de prisonniers de guerre (Front Stalag 122) “, puis comme “ camp d’internement “ pour les français ou étrangers arrêtés par les services allemands. Les internés du camp y séjournent plus ou moins de temps. Ils viennent de toutes les prisons allemandes de France, ou d’autres camps d’internement. Ils sont regroupés là dans l’attente d’un prochain convoi partant de la gare de Compiègne à destination d’un des grands camps de concentration en Allemagne, généralement à destination du camp de Buchenwald. Les prisonniers ne sont pas tous déportés à partir de Compiègne. Ceux considérés comme particulièrement “ dangereux pour la sécurité nationale “, comme les grands responsables de la résistance, de la politique ou du syndicalisme, ceux classés “NN” par la Gestapo sont généralement envoyés dans les prisons en Allemagne pour interrogatoires et instruction des affaires. Ils ne sont transférés en camp de (…)

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