BUZYN Élie KLB 119978

 

BIOGRAPHIE

Élie Buzyn considérait comme un devoir de témoigner de la Shoah, convaincu que ceux à qui il racontait horreur des camps allaient «devenir à leur tour des témoins – Des témoins des témoins». Il est né le 7 janvier 1929 à Łódź en Pologne, cadet des enfants, son frère aîné à onze ans et sa sœur cinq.Issue d’une famille aisée, son père est industriel du textile, sa mère est active au sein de la WIZO (organisation international des femmes sionistes).

Lorsque les nazis envahissent la Pologne, Élie a dix ans. En novembre 1939, Łódź est rebaptisée Litzmannstadt et incorporée au Reich. Astreint à partir de décembre 1939 au port de l’étoile jaune cousue sur la poitrine et dans le dos, la famille est envoyée dans le ghetto du quartier de Baluty, le plus pauvre de la ville. Le 7 mars 1940, son frère est assassiné lors du « jeudi sanglant » au cours duquel les SS abattent des dizaines de Juifs rue Piotrkowska.

Élie comprend brusquement qu’il est devenu soutien de famille. Il n’aura qu’une obsession: protéger les siens. C’est comme ouvrier dans le tissage, puis dans la sellerie qu’il parvient à survivre avec ses parents jusqu’à la liquidation du ghetto en août 1944.

La famille, déportée au camp d’Auschwitz-Birkenau en août 1944, est disloquée lors de la sélection à l’arrivée. Ses parents sont assassinés dans les chambres à gaz. Élie et sa sœur intègrent le camp. Il a 15 ans et devient le matricule B.7572 avant d’être transféré au camp d’Auschwitz I puis affecté au Kommando agricole de Babitz. Le 18 janvier 1945, le complexe d’Auschwitz est évacué. Après une marche de trois jours et deux nuits, il est entassé dans un train en direction de Buchenwald qu’il atteint le 23 janvier. Il reçoit un nouveau matricule le 119978. Les pieds gelés après le vol de ses chaussures, il est envoyé au Revier et il parvient à éviter l’amputation de ses orteils. Grâce à l’action de la Résistance clandestine, il rejoint le Block 8 du Grand camp où des enfants juifs sont rassemblés et aidés. À la libération le 11 avril 1945, 900 orphelins juifs sont restés au camp:

«Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien»

Il fait partie des 426 enfants accueillis en France et pris en charge par l’OSE (l’œuvre de secours aux enfants). Élie retrouve après quelques semaines son oncle maternel, le Dr Léon Pérel chirurgien à l’hôpital Rothschild pendant toute la durée de l’occupation allemande, puis sa sœur, rapatriée du camp de Bergen-Belsen.

En octobre 1947, Élie part en Palestine pour participer à la guerre d’indépendance et à la naissance de l’État d’Israël. Il regagne la France en 1954 et rejoint Oran en Algérie comme surveillant d’internat, tout en passant son baccalauréat.

Deux ans après, il s’installe définitivement à Paris et entreprend des études de médecine. Il devient chirurgien orthopédique. Retraité en 1995, il réalise des missions humanitaires en Afrique, notamment en Mauritanie et au Cameroun. Il ne cessera à partir de 1998 de témoigner de son expérience de la Shoah et d’intervenir devant des classes partout en France.

Élie Buzyn est décédé le 23 mai 2022 dans le XIV° arrondissement de Paris, il est Chevalier de la Légion d’honneur et Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques.

Il a publié en 2018 son récit autobiographique: J’avais 15 ans, vivre, survivre, revivre, Éditions Alisio, 2018 EAN : 9791092928730, et Ce que je voudrais transmettre. Lettre aux nouvelles générations, Éditions Alisio, 2019. EAN : 9782379351402

Jean-Luc Ruga

 

 

L’organisation du ghetto de Lodz

Jean-Baptiste Pérétié
Est-ce que vos parents avaient gardé une photo de votre frère ?

Elie Buzyn
Alors le problème de photo, d’ailleurs je l’ai jusqu’aujourd’hui ce problème de photo, j’en ai parlé avec la personne qui était avec moi dans l’avion hier soir, je lui ai expliqué que ce problème de photo était un problème effroyable parce que ma mère n’avait plus rien,on avait juste les habits qu’on avait sur nous et puis on a trouvé une pièce qu’un ancien comptable de mon père, qui est dans le ghetto déjà, et il nous a cédé une petite pièce qu’il avait lui dans l’appartement où il habitait,on s’est retrouvés à quatre dans une pièce peut-être de sept mètres carrés, huit mètres carrés, je ne sais pas combien. A côté de cette pièce il y avait une toute petite cuisine, c’est tout ce qu’il y avait alors qu’on avait un appartement de, je ne sais pas, cent-cinquante mètres carrés, deux cents mètres carrés.Et ma mère n’arrivait, vraiment c’était, c’est qu’elle n’avait même pas la photo de son fils, n’avait même pas une photo de lui alors qu’il n’était plus là, alors qu’il est évident, alors en plus, on n’était même pas en état, moi j’étais trop jeune, mes parents, il était impossible de savoir ce que sont devenus les trois corps, vous savez, ce qu’on a fait des trois corpsVous savez, chez les Juifs il y a une coutume du respect du mort et de l’enterrement et de la mémoire, et tout ça est très très profond, qui remonte à beaucoup de siècles, et là il n’y avait rien, rien.D’ailleurs j’ai fait des recherches il y a une dizaine d’années pour voir, pour savoir, est-ce qu’il y a des traces, est-ce qu’on a trouvé, je n’ai rien trouvé, rien, rien, rien. Enfin ça ne m’étonne pas.Alors photo, photo et photo, elle dit : « Il me faut une photo de mon fils, je veux une photo de mon fils sinon je ne vais pas vivre, je vais me suicider, je vais ceci… » Et mon père qui était dans une torpeur effroyable aussi, et moi je ne savais pas quoi faire, ma soeur était HS complètement.Et je ne savais pas quoi faire alors je disais à mon père : mais il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose. Eh bien, ça a permis à mon père de sortir un petit peu de sa torpeuret puis je vous expliquerai un peu l’attitude de mon père pourquoi il était comme ça alors que ce n’était pas du tout, si vous voulez, son profil n’était pas comme ça mais je sais pourquoi, il me l’a dit après.Il a pu mobiliser son énergie, le peu d’énergie qu’il avait, je vous signale que les ghettos étaient ouverts encore. On nous a déportés là-bas mais la fermeture totale, complète et hermétique d’une façon vraiment, vous ne pouvez même pas imaginer la façon hermétique qu’il a été fermé, c’était seulement au mois de mai.Je ne sais plus quelle date exacte mais enfin c’était au mois de mai. Et donc entre le mois de mars et mai, il y avait encore des possibilités de circulation, d’aller en ville, d’en revenir. Il y a des gens encore qui avaient… Eh bien, il est arrivé à retrouver des gens qu’il connaissait à Lodz, avec qui il travaillait, enfin des Allemands, surtout des Allemands,et il est arrivé à obtenir la levée des scellés de l’appartement uniquement pour prendre l’album de photos. Je ne peux pas vous dire avec certitude mais je pense à posteriori telles que les choses se sont déroulées,je suis sûr qu’il a dû donner de l’argent, qu’il avait dans l’appartement ou des bijoux, je ne sais quoi, pour justement sortir cet album de photos sinon il ne l’aurait pas eu, malgré les relations et tout ça. Et donc il est revenu avec l’album de photos, ça a calmé un petit peu ma mère, ça l’a un petit peu apaisée et voilà. Et voilà. Et on a commencé notre périple de quatre ans.
Jean-Baptiste Pérétié


Elie Buzyn, rescapé d’Auschwitz habité par le devoir du témoin

TEMOIGNAGE Un survivant témoigne à l’occasion du 70e anniversaire de la Libération des camps nazis…

20 Minutes avec AFP

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Longtemps, comme beaucoup de rescapés des camps, il s’est tu, n’a pas voulu revoir Auschwitz. Et puis Elie Buzyn, 86 ans aujourd’hui, s’est senti investi du devoir de transmettre la mémoire de la Shoah, auprès de jeunes qu’il appelle à être «des témoins des témoins».

Ce petit homme affable a reçu l’AFP dans son appartement parisien, à quelques jours du 70e anniversaire de la libération des camps nazis, qu’il vivra ce mardi à Bruxelles à l’invitation de la Commission européenne.

«Tenir tant qu’on peut».

Elie Buzyn sourit devant «l’empressement» des médias autour de ces commémorations. «Tout le monde est sûr qu’aux 80 ans, il n’y aura plus de survivants…», glisse-t-il d’un œil vif.

Avec ses camarades accueillis en France au retour des camps, «épaves humaines dont on disait qu’elles allaient mettre vingt ans à mourir», il s’était fait une promesse: «tenir tant qu’on peut».

Il y est parvenu au-delà de toute espérance, après avoir vécu plusieurs vies, survécu à plusieurs morts. D’abord celle de son frère Avram, fusillé en mars 1940 par des nazis voulant dissuader toute tentative de fuite du ghetto juif de Lodz (Pologne).

«En 1944, on savait vaguement que l’Armée soviétique arrivait par l’Est. Il y avait un petit espoir que ça se termine», dit-il. «On nous a dit qu’on allait dans un autre camp de travail, où les conditions seraient bien meilleures».

«Marches de la mort»

Un voyage en wagons à bestiaux dans la chaleur de l’été 1944, puis l’arrivée sur les quais de tri de Birkenau (Auschwitz-II), le camp d’extermination distant de trois kilomètres d’Auschwitz-I.

«Quelques déportés nous recevaient. Je leur dois la survie. J’avais 15 ans. Ils m’ont lancé: ‘Dis que tu as 17-18 ans !’. Le SS m’a regardé, visiblement il ne m’a pas cru. Il m’a donné un coup de poing dans la poitrine pour éprouver ma résistance, je ne suis pas tombé». Bon pour le travail. Un peu plus tard, «en «0 seconde, j’ai su ce qu’il s’était passé; on m’a dit ‘tes parents sont déjà probablement dans la fumée de la cheminée des fours crématoires’».

Le 18 janvier 1945, devant la progression de l’Armée rouge, on lui intime d’évacuer Auschwitz par une de ces «marches de la mort» où tout signe de défaillance est puni d’une balle dans la nuque.

Trois jours et deux nuits, puis l’entassement dans un train rempli de neige. Direction Buchenwald. Elie y demeure jusqu’en avril 1945 parmi 900 orphelins. «Nous qui venions d’Europe de l’Est ne voulions pas retourner chez nous. Nous savions que nous n’y avions plus rien».

«Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours»

Il lui reste en revanche un peu de famille en France, qu’il rejoint. «Pour mon oncle», chirurgien à l’hôpital Rothschild à Paris, «je pouvais entrer dans une vie normale. Je n’étais pas de cet avis. L’Europe était souillée pour moi».

Il en fera des détours avant de revenir s’y installer: sept ans dans une Palestine devenant Israël, un nouveau passage dans l’Hexagone sans succès dans ses études, deux ans dans un collège d’Oran (Algérie) puis, en 1956, un retour définitif en France, où il devient chirurgien.

Elie Buzyn fait enlever, chirurgicalement justement, son tatouage de déporté, tente d’oublier. «Vous ne pouvez pas vivre si vous vivez avec ça tous les jours». Et puis un demi-siècle après le génocide, son fils, 21 ans, lui dit: «Je veux aller à Auschwitz voir où mes grands-parents paternels ont disparu. Je comprends que ce soit trop dur pour toi. J’irai seul, avec un groupe». «Dans la minute je lui ai dit: ‘si quelqu’un doit t’accompagner, c’est moi’», confie le Dr Buzyn.

Alors c’est devenu pour lui «un devoir» que de témoigner dans les écoles ou encore à Auschwitz-Birkenau avec les groupes conduits chaque année par Haïm Korsia, devenu grand rabbin de France en 2014.

Le Dr Buzyn y a emmené ses enfants, et déjà quatre de ses huit petits-enfants âgés de plus de quinze ans. «Je ne les accompagnerai pas tous», souffle-t-il devant l’âge qui avance.

Mais il est convaincu que tous ceux qu’il a aidés à approcher l’horreur des camps «vont devenir à leur tour des témoins. Des témoins des témoins».


Août 1944. Après une enfance heureuse en Pologne, Élie Buzyn subit l’indicible : la déportation, l’assassinat des siens, Auschwitz puis la marche de la mort jusqu’à Buchenwald. Il a 15 ans. Le camp est libéré le 11 avril 1945. Comment, alors, retourner à la vie ? Porté par les voix du passé, il reconstruit ailleurs ce qui a été détruit. Étrange périple de Buchenwald à la France, en passant par la Palestine et l’Algérie, étrange voyage de la mort à la vie. Devenu chirurgien-orthopédiste, il s’engage auprès des laissés-pour-compte et de ceux que les nazis avaient voulu éliminer : témoins de Jéhovah, malades psychiatriques, personnes âgées… Un jour, il comprend qu’il est temps de témoigner. De l’ombre à la lumière, du silence à la parole, un chemin de vie unique retracé avec Etty Buzyn, son épouse, écrivain et psychanalyste. « Un destin comparable à celui d’Élie Wiesel, un témoignage bouleversant. Le récit d’un homme debout. » Ariane Bois, auteur du Gardien de nos frères, prix WIZO de l’Académie française « On touche du doigt le pire et le meilleur de l’humanité. » Historia Plus d’infos sur le livre : http://www.editionsleduc.com/produit/… Retrouvez-nous sur Facebook : https://www.facebook.com/editions.ali…

« Ne pas perdre espoir » : le message aux jeunes d’Elie Buzyn, rescapé de la Shoah

Le nonagénaire s’inquiète que les jeunes puissent tomber dans l’intolérance et le racisme

“Ce que je voudrais transmettre aux nouvelles générations, c’est la lutte contre toutes les formes de discrimination”. Du haut du regard de ses 90 printemps, un homme espiègle, digne et réaliste entend laisser une véritable “Parole de sage” à ces jeunes désabusés, qui peuvent tomber facilement dans l’intolérance, le racisme et la xénophobie.