Le 5 mars, Hélène Raskine, décédée le 25 février, a été incinérée au Crématorium du cimetière de Clamart.
Agnès Triebel a évoqué dans un discours au nom de notre Association et de la communauté des historiens allemands du Mémorial de Buchenwald l’épreuve de sa déportation et la tristesse ressentie de son départ. Hélène Raskine faisait partie des Femmes oubliées de Buchenwald dont nous avions présenté l’exposition en 2005 à Paris et 2006 à Blois. Floréal Barrier, son camarade de combat et ami d’enfance lui a rendu hommage. Geneviève Guilbaud, Robert Koerner étaient également présents.
Hélène,
Te dire au revoir me rappelle tant de choses de notre jeunesse qu’il m’est difficile de croire cela. Entre nos rencontres d’ados et aujourd’hui se sont écoulés près de trois-quarts de siècle, combien de moment difficiles, combien de belles choses. Autant que je me souvienne, Hélène tu devais avoir dans les 17 ans, moi, 16, Paule, 15, et avec nos copains – peu de copines, les pères d’alors – nous construisions le monde.
C’était 1938, nous avions pleinement vécu cette précédente période donnant à chacun plus de liberté, de vacances tant espérées. Toi et Paule, avec quelques camarades, vous étiez des ”intellos”, école supérieure ! Moi j’étais du groupe d’arpètes, de jeunes ouvriers en différents métiers. Mais rien ne nous séparait.
1939, 14 juillet, c’est la célébration du 150e anniversaire de la grande Révolution française ! Peu nombreux à l’organiser, mais combien pour la commémorer ! ”La Marseillaise” sort de toutes les bouches. Comment aurions-nous pu envisager que certains de ces amis, arrêtés plus tard par les polices de l’État français, livrés à l’occupant, considérés otages, clameront ce ”Chant de la Nation”, face aux pelotons d’exécution hitlériens, en septembre 1942, rappelant 1792, le 150e anniversaire de la victoire de Valmy, de la naissance de la Première République française.
Il y a alors de sombres nuages circulant dans les informations. Mais nous voulons vivre notre jeunesse. C’était un dimanche, le 1er septembre 1939, revenant d’une ballade à vélo, un vendeur de journaux, ”Paris-soir”, crie ”La guerre contre l’Allemagne est déclarée”. Cette guerre qui va tout ruiner. Nous pensions que cela pourrait rendre la liberté à tous, au peuple allemand en premier. Nous avions lu des documents de détenus de camps de concentration. Nous avions appelé à la solidarité vers les antifascistes allemands emprisonnés. Nous savions combien le nazisme était nuisible pour l’humanité. Nous ne savions pas tout, nous allions l’apprendre.
Ce qui suivit ne ressembla en rien, même à ce que nous avions alors imaginé, même en pire. Et les premiers martèlements des bottes hitlériennes nous conduisirent tout naturellement vers le refus d’un abandon, d’une trahison de l’histoire de notre pays. La vieille ”Underwood”, sur laquelle nous tapions, doigt par doigt en forçant, les stencils qui alimenteraient la non moins vieille ”Gestetner”. Puis le petit papier glissé sous la porte, dans le panier de la ménagère sur le marché, ce sera le début…
L’accentuation nécessaire du combat coûtera cher. Les polices de l’occupant, celles de la collaboration mènent la chasse. Ce sont les arrestations, les prisons, les tortures, la mort face au peloton d’exécution pour des amis, des camarades, les barbelés des camps de concentration nazis de travail forcé, pour les autres.
Arrêtée en décembre 1941, par la police de Pétain, libérée après plusieurs prisons, Hélène reprend le combat, est à nouveau arrêtée, envoyée au camp de Neue Bremm, près de Sarrebrück, le 30 mai 1944, puis transférée au camp de concentration pour femmes, Ravensbrück, en juin, matricule ”42192”. Elle y reste peu et est envoyée dans un Kommando extérieur, Hasag à Leipzig, en fait un camp de travail forcé dans une usine de guerre. Ce lieu ressort de l’administration SS du camp d’hommes Buchenwald, où je suis, depuis septembre 1943, le ”21802”. Hélène est alors immatriculée ”3952” et devient ancienne détenue de Buchenwald, sans y être passée.
Également arrêtée, Paule tu es déportée au camp de Ravensbrück, en février 1944, matricule ”27185”, puis transférée, avec bon nombre de Femmes déportées de France, dans un Kommando, usine de munitions de guerre, Holleischen, en Tchécoslovaquie annexée par Hitler.
Hélène, Paule, moi, en sommes revenus, poursuivis par une idée qui ne nous quitte pas, sauvegarder la mémoire du passé afin d’assurer un avenir meilleur.
Hélène, ce fut ton combat de chaque jour. Tu nous laisses le poursuivre et nous le ferons, ce sera notre merci à tout ce que tu as apporté à ces mots du retour : ”Plus jamais cela !”
Merci Hélène, l’oubli n’est pas nôtre.
A vous, ses enfants, ses petits-enfants, sa famille, tous ses amis,
A toi ma bien chère Paule, à tout le courage d’Hélène, mon immuable souvenir, ma très profonde amitié.
Floréal Barrier, 5 mars 2012
Paru dans le Serment 342 (Mars, avril 2012)