Jacques Bloch : un terrain permanent de parachutages
Légende :
Extrait du témoignage de Jacques Bloch, dans lequel il évoque les terrains de parachutage, en février 2009
Genre : Film
Type : Témoignage filmé
Source : © AERI Droits réservés
Détails techniques :
Durée de l’extrait : 00:02:05
Tournage et montage : Nicolas Voisin
Interview réalisée par Clémence Piet et Manuel Valls-Vicente.
Date document : Février 2009
Lieu : France – Nouvelle-Aquitaine (Limousin) – Creuse – Guéret
Retranscription :
” J’ai été responsable d’une petite équipe qui devait recevoir précisément les spécialisés en parachutage.
On n’était pas nombreux, on était cinq. La base fixe, c’était cinq et puis quelques uns qui venaient en renfort de temps en temps, plus les paysans avec leurs boeufs. Le terrain sur lequel j’étais – dont j’étais chargé – était un terrain qui avait été classé permanent par les Alliés, c’est-à-dire que nous, dès qu’on entendait le bruit d’un avion, avant de savoir ce que c’était, dans la nuit, on devait allumer toutes nos lampes dans les montagnes. Je dis ” montagnes “, ce n’était pas des montagnes, c’était des grosses collines. On devait donc appeler l’avion. Il y avait trois phares blancs et sur le côté – je ne m’en rappelle plus maintenant – c’était un phare rouge. Ca faisait donc trois et un et c’est ce qui indiquait aux avions dans quel sens il fallait qu’ils se présentent pour lâcher leur cargaison. Si c’était un avion allemand, ça finissait mal. Si c’était des avions anglais, ils étaient dans la combine, ils étaient au courant, etc. Ils faisaient deux ou trois tours et puis ils revenaient parachuter.
Par chance, une fois, on a appelé les avions, on n’a jamais eu de suite, on n’a jamais su qui c’était. il n’y a pas eu de parachutage… et c’était prendre les avions allemands mais ça s’est perdu dans les eaux. ils n’ont appelé personne et ne nous ont envoyé personne. Pendant les jours qui ont suivi, on a été prudent, d’une prudence de Sioux.
On prévenait deux paysans de se réveiller vers 2 heures du matin… ou trois ou cinq. Ceux que l’on n’avait pas prévenu parce que la livraison était petite étaient furieux le lendemain de ne pas avoir été prévenus. Ils nous faisaient la tête parce qu’on ne les avait pas prévenus, mais vraiment mécontents, un peu vexés, si on peut dire. Ca voulait dire qu’on n’avait pas confiance en eux, ce qui n’était pas du tout le cas. Quand on avait besoin de deux charettes, on n’avait pas besoin de cinq, et ça aurait été complètement idiot de faire déambuler dans les montagnes, dans les collines de la côte, trois fois plus de charettes à boeufs qu’on en avait besoin. ”
Contexte historique
Jacques Bloch est né le 7 juillet 1924, il a donc 15 ans lorsque la guerre éclate. Son père, mobilisé, est fait prisonnier de guerre. Il est libéré durant l’été 1941, avec les autres officiers de réserve anciens combattants de 1914-1918. Mais à son retour, le proviseur du lycée où il enseigne lui annonce qu’il est révoqué, parce qu’il est juif. Deux jours plus tard, c’est la mairie qui convoque le père de Jacques : les Allemands réquisitionnent sa maison. La famille a quelques heures pour quitter les lieux… Ils se réfugient dans leur maison secondaire en Touraine. Ils y habitent jusqu’en février 1942 : la famille est alors prévenue par des villageois que l’ordre a été donné de les arrêter. Ils fuient vers la Creuse, retrouver leur cousin, l’historien Marc Bloch.
Jacques soupçonne son cousin de faire partie de la Résistance et il est certain de pouvoir lui faire confiance : il lui propose donc son aide. Marc Bloch se donne le temps de la reflexion, puis le met en contact avec un camarade qui permettra à Jacques de prendre le maquis dans la région de Bourganeuf (Creuse), le 19 février 1944. Il devient ” Jacques Binet “. Jacques et ses camarades apprennent à se servir d’armes. Jusqu’au Débarquement, la plupart des actions sont le sabotage et la réception de parachutages anglais et américains. La population, dans son ensemble, est de leur côté.
Le 7 juin 1944, les maquisards attaquent et libèrent Guéret… Mais la victoire est de courte durée : la terrible division SS Das Reich revient. Lors de ces combats, Jacques est blessé au bras. A l’hôpital, le chirurgien est obligé de l’amputer. Dénoncé par un milicien, Jacques est arrêté dans sa chambre d’hôpital par les Allemands et livré à la Gestapo, à Montluçon. Il y est interrogé pendant sept jours et sept nuits. Transféré à la prison militaire de Moulins, il reste trois mois ” au secret “.
Jacques est déporté au camp de concentration de Buchenwald le 5 septembre 1944, alors que Paris est libéré. Les médecins SS hésitent sur son cas : c’est un jeune homme fort mais handicapé. Cela lui permet d’alterner entre le camp de travail et les blocks des invalides. Dans ces derniers, il rencontre Jacques Lusseyran.
Lors de l’évacuation du camp, il préfère s’évader et rejoint clandestinement les lignes américaines le 13 avril 1945. Moins de la moitié des personnes déportées à Buchenwald avec lui rentreront chez eux. A son retour en France, il suit des études de Droit puis travaille comme administrateur au Sénat. Il pratique quelques sports. Retraité, il vient raconter son histoire aux élèves.
DVD-ROM « Valeurs de la Résistance, valeurs des jeunes aujourd’hui », AERI, 2012.
« Les gens qui perdaient espoir disparaissaient en quelques jours » : Jacques Bloch et les fantômes de Buchenwald
Ce résistant, libérateur de la ville de Guéret, a été déporté dans le camp allemand le 5 septembre 1944. Il y a vécu huit mois d’enfer, qu’il raconte aujourd’hui sans fard.
Jacques Bloch raconte Buchenwald, dans son salon du 14e arrondissement, à Paris. Il chevauche à cru les souvenirs. La voix est sans émotion, pas indifférente, non, plutôt amortie par un voile de pudeur et d’années. La neutralité du ton, la blancheur des mots sont seulement réchauffées par un léger zézaiement. Traînent aussi, à 96 ans, un reste d’accent parisien et, par-ci par-là, des expressions d’argot, une déformation de jeunesse que quatre décennies passées après la guerre comme haut fonctionnaire du Sénat n’ont suffi à gommer.
Collé à son flanc droit pend un bras qu’on mettra un temps à savoir mort. Un gant en cuir et des manches longues dissimulent une prothèse là où le membre a été arraché par une rafale de mitrailleuse allemande. Séquelles physiques des combats que mena le maquisard pour la libération de Guéret, le 7 juin 1944, juste avant son arrestation et sa déportation. Sa famille avait trouvé refuge et protection au début de 1942 dans la Creuse, fuyant Paris et les lois antisémites.
Le témoin, juif et résistant, doublement exposé, doublement rescapé, n’en rajoute donc pas. Il use au contraire d’un art consommé, ultime, de l’euphémisme. Il dit : « J’ai payé comptant », après avoir évoqué les tortures de la Gestapo, le corps assommé par les coups, la tête immergée dans un baquet d’eau de vaisselle. Ou bien : « J’ai senti que ça n’allait pas être drôle », quand on lui demande son sentiment à son arrivée dans le camp de concentration. Humour protecteur contre la violence de la mémoire. Politesse de vieil homme contemplant sa vie. Volonté, surtout, de témoigner au plus juste, au plus sobre, au plus clinique. Des faits, rien que des faits.
Il raconte comment, ce 10 septembre 1944, après des jours d’errance, le train de marchandises s’est arrêté enfin. Les Allemands ont ouvert les portes…
Entre la Creuse et Jacques Bloch, la protection fut mutuelle et le souvenir est toujours vivace
Publié le 31/10/2013
Fidèlement, chaque année, Jacques Bloch participe au Rallye de la Résistance, passant entre autres par Aulon. C’est là que nous l’avons rencontré, avant la cérémonie commémorative de Combeauvert. Là encore qu’il se souvient. De son enfance, de la guerre, du maquis. De son père d’abord, professeur de philosophie et prisonnier de guerre libéré comme d’autres soldats pour avoir participé à la guerre de 14-18 avant d’être révoqué du Corps enseignant par le régime de Vichy.
« Un autocollant collé sur mon lit avec dessus, une petite étoile jaune » La famille Bloch s’installe alors en banlieue sud, avant d’acheter une petite maison en Touraine. Un soir de 1942, avertis par le garde champêtre de la venue imminente des gendarmes d’Azat-le-Rideau, ils partent pour passer en zone libre… Jusqu’en Creuse, au Bourg-d’Hem, où un cousin, l’historien Marc Bloch, s’était installé dans les années 1930, pressentant le drame qui se préparait.
La famille est alors logée à Genouillac et Jacques, scolarisé en terminale au lycée Pierre-Bourdan de Guéret. « Dans l’ensemble, nous avons été assez bien accueillis, mais un jour, je trouve un autocollant collé sur mon lit avec dessus, une petite étoile jaune. Identifiant le responsable de ce geste, j’ai moi-même collé à son lit une petite croix gammée. Cette histoire sans parole s’est arrêtée là ».
Premiers pas dans la Résistance L’époque est marquée par la pénurie, son certificat de Baccalauréat est imprimé au dos d’un document interne à l’Éducation nationale. Cette période était aussi celle de « la traque des oisifs », Jacques Bloch travaille alors officiellement chez un négociant agricole à Genouillac. Le jeune bachelier cherche à avoir des contacts avec la Résistance par l’intermédiaire notamment de son cousin, Marc Bloch, déjà bien engagé. Sous le commandement du colonel François Fossey, il intègre la Première compagnie franche.
Les circonstances ont décidé autrement des envies du jeune homme qui voulait entamer des études de médecine car dans le Maquis, on ne devait avoir aucun document. « La discipline était un facteur de survie », rappelle le Résistant qui a pris le Maquis dans la région de Bourganeuf, autour de Saint-Pierre Bellevue, avec une fausse carte d’identité. « Notre chef a constitué un premier maquis, dissous par les GMR », explique Jacques Bloch, d’abord dans les sapinières du Docteur Desplat, avec son autorisation. À cause d’un gardien un peu trop curieux, ils devront s’éloigner vers le Compeix pour y rester six mois, avec « les draps collés par la résine gelée, dans des baraques en planches de sapin. On a eu très froid », se souvient-il.
Le jeune Résistant sera chargé des parachutages. Toutes les nuits, avec de vieux phares alimentés par des batteries, il fallait appeler tous les avions : « On se sentait un peu exposés. Le plus instruit des hommes présents, j’étais le petit chef. Nous étions bien implantés dans la population et prévenions les paysans afin qu’ils viennent chercher les cargaisons et les dégager. »
« On partait pour une opération dont on ne connaissait pas la teneur » Parachutés, des armements légers, fusils mitrailleurs et grenades, plastique, argent, lance-roquettes, pistolets, étaient ensuite répartis par les responsables de ces opérations. Les avions étaient pilotés par des Alliés, Anglais ou Américains. Gérard Grand était responsable de l’organisation de l’opération Bergamote.
« On a appris le Débarquement et recruté des jeunes. Il fallait effectuer une multiplication du Maquis. Dans la nuit du 6 au 7 juin 1944, on nous a avertis que l’on partait pour une opération dont on ne connaissait pas la teneur. Des cars nous ont déposés à l’hôpital de Guéret. Nous sommes allés à l’Hôtel Auclair, siège de la Feldgendarmerie. Les Allemands ont vu que quelque chose se préparait… ».
Dénoncé et déporté à Buchenwald Dissimulé derrière un arbre près de l’hôpital, Jacques Bloch reçoit alors une balle de mitraillette dans le bras : « Je n’ai pas su d’où ça venait. Le deuxième ou troisième jour d’hospitalisation, j’étais amputé. Je me préparais à quitter l’hôpital, lorsque la porte de ma chambre s’est ouverte sur un officier Allemand. » Le directeur de l’hôpital révélera plus tard à Jacques Bloch qu’il a été dénoncé par un milicien.
En fin d’après-midi, Jacques est détenu dans l’actuelle caserne des Augustins, dans une réserve à charbon. « J’ai été conduit dans les étages, où j’ai tenté de jouer ma carte de prisonnier de guerre devant l’officier allemand. Après un relevé d’identité, j’ai été remis en cellule, avant mon transfert à la Gestapo à Montluçon. Le lendemain après-midi, on nous a rassemblés dans une cour pleine de soldats allemands et demandé de rester dans un périmètre, entre quatre arbres. Un milicien, sans doute, nous a cravachés à tel point qu’un officier allemand l’a stoppé. Un convoi lourdement armé nous a ensuite conduits à la caserne Richemont, enfermés dans une cellule, avec des interrogatoires jour et nuit. »
Jacques Bloch sera ensuite déporté à Buchenwald, où il restera de septembre 1944 à mai 1945, après son évasion d’une colonne d’évacuation. « À la frontière tchécoslovaque, on s’est trouvé dans une petite ville où l’on a croisé un car allemand repeint en bleu blanc rouge. Puis, à Francfort, on s’est fait confisquer le camion ; avant l’arrivée à Paris. » Aujourd’hui, il vit à Paris mais revient chaque année pour le Rallye, en Creuse et se souvient, pour que personne n’oublie.
Sylvie Berche