Adieu chère Lise London
La valeur de la vie ne se mesure pas au nombre d’années vécues, mais à sa richesse et à la profondeur de l’empreinte que nous laisserons derrière nous. (Lise London, 2000)
Suivre l’empreinte des pas de Lise sur la longue route de sa vie nous engage dans le sillon du combat, de la clandestinité, de la lutte armée, de la déportation, sur le chemin de l’honneur, de l’amour et du courage.
Lise London, née le 15 février 1916 de parents espagnols, était une âme droite et forte, résistante, passionnée, infatigablement engagée là où l’individu souffrait, tendre, maternelle, fraternelle, tout simplement humaine.
Son histoire se confond avec les grands chapitres de l’Histoire du XXème siècle : celui du mouvement ouvrier, lorsqu’adolescente, Lise prend conscience des injustices sociales et de la lutte des classes lors des manifestations de grévistes, violemment chargés par les gardes mobiles dans les rues de Saint-Etienne ; du militantisme (elle travaille comme secrétaire de la Fédération Lyonnaise du Parti) ; de l’internationale communiste (elle part à 18 ans comme dactylo au Komintern de Moscou, de 1934 à 1936 et y rencontre Artur London) ; de la Guerre d’Espagne, où elle s’engage en 1938 aux côtés des Brigades internationales ; de l’action résistante contre l’occupant allemand ; de la lutte contre la répression stalinienne dont Artur London, son mari, est victime ; de la lutte jusqu’à la fin de sa vie contre tout régime -politique ou religieux qui opprime la liberté.
Entrée en résistance dès juillet 1940, Lise publie un premier journal clandestin « Femmes » en novembre où elle appelle à la lutte pour la libération du pays. Malgré les risques, elle organise des manifestations, l’occupation de mairies réclamant le retour des prisonniers de guerre, la répartition du charbon, l’amélioration de la distribution du ravitaillement, la solidarité envers les familles des résistants emprisonnés. En août 1942, elle prend la tête d’une manifestation en plein cœur de Paris, rue Daguerre, appelant à l’organisation de la lutte armée. Ar êté le 12 août 1942, elle est condamnée à mort le 15 juillet 1943 par le Tribunal d’Etat.
Elle doit d’être restée en vie à la naissance en prison, le 3 avril 1943, de son deuxième enfant, Gérard. Condamnée aux travaux forcés à perpétuité, elle est déportée en Allemagne. Lise et ses compagnes partent de Romainville le 30 mai 1944 pour Neue Bremm, le 15 juin pour Ravensbrück (MLE 42171), le 21 juillet pour Leipzig (Mle 3935), le plus grand kommando de femmes du camp de Buchenwald. Pendant toute la période de déportation de leur fille Lise et de leur gendre Artur London, déporté à Mauthausen, les grands-parents Ricol s’occupent de leurs petits-enfants, Françoise et Gérard.
La brutalité des nazis ne casse pas la résistance de Lise. Au contraire. Dans l’œil du cyclone nazi, elle reprend immédiatement la lutte clandestine. A Ravensbrück, elle met en place une chaîne de solidarité entre déportées, soutient leur moral et organise avec quelques compagnes, le 14 juillet 1944, une mémorable journée nationale avec chants, poèmes et bien sûr la Marseillaise, qui lui fera dire plus tard « Ce 14 juillet à Ravensbrück ! Un pansement propre sur une plaie immonde ! »
Le 21 juillet 1944, elle part pour le Kommando de l’usine Hugo-Schneider-Hasag, placé sous l’autorité de Buchenwald. Désignée comme Stubowa du block des Françaises, elle reprend immédiatement la lutte pour la survie des plus faibles, l’action de solidarité et d’entraide physique, mais aussi morale et culturelle, avec la création d’un journal mural affiché quelques minutes tous les jours dans le block, la fabrication de petits objets pour des compagnes ou leurs enfants. Elle protège de son affection une jeune femme arménienne de son block, la poétesse Lass Aslanian. Malade et épuisée, Lass meurt, envoyée dans un convoi noir et confie avant de partir ses poèmes à Lise, qui les gardera sur elle envers et contre tout, lors des terribles marches de la mort au moment de l’évacuation du camp de Hasag, pour les remettre peu de temps après à la communauté arménienne de Paris lors d’un dîner réunissant Paul Eluard, A. Tchobanian, Henri Verneuil, Ruben Melik, Marcel Cachin.
Après sa libération et son rapatriement en France le 22 mai 1945, Lise est élue secrétaire de l’Union des Femmes Françaises. Elle prend la direction de l’hebdomadaire «Femmes Françaises», crée le mensuel «Heures Claires». En février1949, elle rejoint à Prague Arthur London, nommé vice-ministre des Affaires étrangères et donne naissance à leur troisième enfant : Michel. Victime de la répression staliniste qui frappe les anciens volontaires des Brigades internationales, Artur est arrêté en janvier 1951. Inlassablement, Lise se bat pendant des années pour sa libération, qui aura lieu en 1955.
Merci Lise, de ton courage en France et dans les camps pour lutter contre l’occupation et la barbarie. Merci pour ton inlassable action en faveur des femmes, des enfants et des opprimés de l’Histoire. Merci pour ta contribution à ce que soit connue et reconnue l’histoire des femmes de Buchenwald. Merci pour cette force dont tu rayonnais et qui demeure. L’empreinte que tu laisses de ton passage est celle d’une humanité si profonde!
Agnès TRIEBEL
Paru dans le Serment 343 (Mai-Juin 2012)