Comment à Buchenwald nous avons aidé au sabotage de la machine de guerre hitlérienne
Pour ceux qui n’ont pas été à Buchenwald précisons d’abord ce qu’on entend par ” Gustlow ” et ” Mibau “.
Ces deux termes désignent deux des plus importants kommandos attenant au camp; ils différencient en même temps deux parties essentielles d’un groupe de bâtiments industriels qui comportait treize halls, des dépendances, des hangars et baraquements divers.
Une partie des bâtiments était occupée par la “Gustlow” ; une autre partie par le “Mibau” et le reste par quelques autres kommandos moins importants.
Ces bâtiments entourés d’un réseau de barbelés électrifiés étaient situés dans la seconde enceinte, comme la gare, la carrière, les casernes SS, etc… à quelques centaines de mètres du camp proprement dit.
Ces usines furent, spécialement installées pour utiliser à la production de guerre la main d’œuvre qui se trouvait dans le camp. Construites et équipées au cours de l’année 1943 elles atteignent le maximum de leur activité au printemps 1944. Cette activité s’est poursuivie jusqu’au 24 août de la même année, date du bombardement, qui détruisit la plus grande partie des bâtiments.
Durant cette période il y eut jusqu’à 9 000 détenus occupés dans les halls et leurs dépendances. Après le bombardement, un grand nombre de ces détenus furent expédiés en transports vers des kommandos extérieurs, “Gustlow” de Weimar, Halberstadt, Schönebeck, etc. Les bâtiments les moins abîmés furent réparés et quelques ateliers rééquipés. La production n’avait repris que très partiellement quand survint la libération.
Le sabotage et le freinage de la production dans ces usines s’exerça depuis le début jusqu’à la fin, mais c’est de loin durant la période de pleine activité que l’action contre la machine de guerre hitlérienne y fut menée et organisée au maximum, c’est-à-dire en mai, juin, juillet et août 1944.
Le plus souvent sabotage et freinage de la production se confondent; les deux choses n’en faisant qu’une à savoir: travailler au minimum tout en sabotant au maximum.
Il y a lieu pourtant de différencier les deux termes.
En effet, le sabotage direct et organisé s’effectuait d’une façon épisodique, selon les occasions et possibilités qui furent cependant nombreuses.
Le freinage de la production, forme passive du sabotage, s’exerçait lui, d’une façon permanente.
Le sabotage direct et organisé dans un camp comme Buchenwald était, cela se conçoit, une opération difficile. Il nécessitait pour se faire, beaucoup d’énergie et de vitalité, aussi bien physique qu’intellectuelle, que la plupart des déportés ne pouvaient fournir qu’au prix d’efforts inouïs.
Pour le freinage c’est différent; les détenus affamés, affaiblis, amoindris, avaient le souci de travailler le moins possible pour économiser les dernières forces qui leur restaient. Physiquement et moralement ils avaient tout intérêt à freiner au maximum la production de guerre des nazis.
Au seuil de la mort ils avaient la volonté de continuer la Résistance par tous les moyens en leur pouvoir. C’est ce qu’ils firent et cela grâce à l’organisation clandestine. Sans cette organisation, sans le Comité des Intérêts Français en ce qui concerne les Français, une action de résistance aussi importante n’aurait pu être accomplie dans les conditions de vie effroyables d’un camp de concentration hitlérien.
Aussi tout Français digne de ce nom ne peut que rendre hommage aux valeureux qui surent ainsi lutter à Buchenwald et à ceux qui, comme Marcel Paul et le Colonel Manhès, furent les organisateurs de cette lutte.
Texte publié le 1° juillet 1952 dans Le Serment N° 15