Dans l’enfer de Buchenwald
En 2010, Jean Bonnet, décoré par l’ADIRP de l’Ain a livré au journal « La voix de l’Ain un témoignage sur les conditions de son arrestation puis sa déportation à Buchenwald
« Je ne pourrai jamais oublier ». Jean Bonnet, aujourd’hui âgé de 85 ans, est l’un des trois derniers déportés encore vivants sur la région d’Ambérieu.
« Je ne pourrai jamais oublier ». Jean Bonnet, aujourd’hui âgé de 85 ans, est l’un des trois derniers déportés encore vivants sur la région d’Ambérieu. Pendant très longtemps, Jean a été incapable de raconter ce qu’il a vécu lors de son passage dans le camp de concentration de Buchenwald. Cela lui était impossible, interdit. Les images étaient trop douloureuses et trop de gens ne l’auraient pas cru.
C’est le 13 avril 1944 que la vie de Jean Bonnet bascule. Les Allemands l’attrapent lors d’une rafle à Saint-Claude en représailles d’une action du maquis. Jean a 18 ans et a perdu son père l’année précédente. Ce dernier est mort noyé en tentant d’échapper aux Allemands en avril 1943.
Catalogué
« Je suis sorti à 7 heures du matin. Devant ma porte un nid de mitrailleuses m’attend. Braqué, je ne peux pas fuir. À chaque village, les Allemands procèdent de la même façon et conduisent ensuite tout le monde à Saint-Claude », se remémore Jean Bonnet. Là-bas, les Allemands organisent « le tri » de leurs prisonniers en trois groupes. Ceux qui seront relâchés, les suspects et ceux déjà condamnés. Jean Bonnet est placé dans le groupe des suspects. « Mon père était communiste. J’étais catalogué ».
Jean Bonnet sait aussi que les suspects sont conduits à l’interrogatoire où ils sont torturés. Au culot, lui qui maîtrise un peu l’allemand, va voir l’officier. « Pourquoi suis-je suspect ? Je sens qu’il n’a pas l’air d’accord. Il réfléchit et me change de groupe. Je viens d’éviter les séances de torture mais pas la déportation. Ils nous ont ensuite fait coucher dans une école. C’est là qu’il y a eu le premier mort. Un des prisonniers a bousculé un soldat. Il lui a vidé la mitraillette dessus. Le lendemain ils nous ont emmenés jusqu’à Bellegarde ».
Jean Monnet embarque ensuite pour le camp militaire de Compiègne. Il y restera une dizaine de jours avant de rejoindre le camp de concentration de Buchenwald pour 13 mois…
« Dans les trains, nous avons retrouvé des hommes emprisonnés en France, souvent des communistes. Il y a deux modèles de wagons : les petits formats d’une centaine de places et les grands de 120 places. Rien à manger ni à boire et seulement deux petites ouvertures de chaque côté. Au milieu on étouffe ! En arrivant en Allemagne, on compte les morts. Dans notre wagon, nous sommes tous arrivés vivants. Avec des copains, nous avons demandé aux anciens de prendre les choses en main. Ils ont mis tout le monde assis. Nous avons dû bugner deux ou trois récalcitrants. Mais sans discipline une grande partie d’entre nous ne serait jamais arrivée ».
“La mitrailleuse a tiré”
Un morceau de chiffon est placé sur les ouvertures pour faciliter la pénétration de l’air dans le wagon. Certains ont réussi à faire passer un morceau de ferraille. Ils l’utilisent pour tailler les planches des wagons et faire sauter les rivets. Il faut faire vite avant la frontière. Une fois les planches sorties, les prisonniers se placent sur les tampons des wagons pour sauter. Mais l’un des fuyards saute trop tôt et condamne la fuite des autres. « Tous les quatre wagons, il y a une plateforme avec une mitrailleuse… La mitrailleuse a tiré. Cinq ou six ont sauté. On ne sait pas ce qu’ils sont devenus », se souvient Jean Bonnet.
À Buchenwald, les prisonniers sont d’abord installés dans le petit camp, sous de grandes toiles de tente. Le terrain est en pente et quand il pleut l’eau inonde les installations. « Ils nous ont mis au travail. Chaque jour nous nous rendions dans une carrière pour transporter des pierres afin de refaire les routes. Ils nous faisaient des piqûres tous les deux jours. On ne savait pas pourquoi. Ensuite ils nous ont mis dans le grand camp. Chaque homme était affecté dans des équipes, un commando. J’ai vu des gens mourir tous les jours. Le pire, c’est quand on voyait débarquer ces gamins hauts comme ça. Des Juifs. Ils arrivaient le matin et l’après-midi jusqu’au soir les fours crématoires fumaient. Ils les emmenaient directement à la chambre à gaz… les odeurs étaient terribles ».
« Comment j’ai réussi à tenir ? Il faut se mettre dans la tête de tenir bon, tenir le coup pour revoir les siens. Vous ne vivez pas pour vous mais pour ceux que vous avez laissés. Je vivais pour ma mère et mes frères. On ne peut jamais oublier. C’est impossible ».
Le racisme…
Jean Bonnet a mis plusieurs mois avant de se remettre de son passage dans ce camp de la mort. Physiquement il a perdu plus de vingt kilos pour ne peser plus que 48 kg. Il ne peut pas travailler. Un jour il est bien et le lendemain il ne peut pas se lever. Il vendra du poisson aux restaurateurs locaux puis sera bûcheron pendant trois ou quatre ans avant de travailler dans une usine de gaz dans le Jura. Il a rejoint Ambérieu en 1970 comme électricien après avoir suivi une formation. Il habite aujourd’hui à Saint-Jean-le-Vieux. Médaillé la semaine dernière par l’amicale des déportés et internés d’Ambérieu, Jean Bonnet aimerait que les jeunes retiennent que le racisme est à la base de l’enfer qu’il a vécu. « Parfois j’entends des choses qui me rappellent de mauvais souvenirs. Ça commence comme cela et puis vous ne savez plus où cela s’arrête ». Et de terminer : « La tolérance est la base de tout, ne l’oublions pas ».
Ghislain Gros