Marche de la mort Buchenwald-Dachau
NOTES PRISES PENDANT LA MARCHE DE LA MORT BUCHENWALD-DACHAU
On sait combien de nos camarades succombèrent, dans d’atroces conditions, tout au long de ces journées tragiques. On connaît les récits des survivants. Il nous en parvient encore et on ne peut que souhaiter que se multiplient ces témoignages.
L’un des derniers reçus à notre Association est celui de Pierre Fourmentraux (Matricule 81764) qui fit partie d’un convoi évacué de Buchenwald le 7 avril, dont les survivants finirent par atteindre Dachau le 28. Il nous envoie les notes prises durant cet épouvantable voyage par un autre de nos camarades, le R.P. Eloi Leclerc, actuellement, nous dit-il, dans un couvent de Franciscains en Bretagne. Il avait réussi à conserver un crayon et un petit carnet sur lequel il consigna ses souvenirs au jour le jour. Il faudrait pouvoir reproduire l’intégralité de ce document. Contentons-nous d’en citer aujourd’hui quelques passages.
Samedi matin 14 avril
Stationnement; une compagnie de la Luftwaffe de l’endroit est mobilisée pour rechercher les évadés. Ceux-ci, repris et ramenés au train, sont suppliciés : mis nus jusqu’à la taille, ils sont achevés à coups de poing et de pied.
9 h du matin, le sous-officier tire dans notre wagon à bout portant et sans discernement : deux camarades sont blessés, l’un à l’épaule, l’autre à la jambe (ce dernier, plus grièvement atteint agonisera quelques jours et mourra, faute de soins).
Vers midi, départ vers une autre petite gare, toujours non loin de Pilsen, où nous stationnons jusqu’à lundi.
Mercredi 18 avril
Dans notre wagon, le sous-officier vient encore de tirer à bout portant : deux camarades agonisent ; nous sommes dans le sang et les détritus ; dans la vermine, la soif, la faim, l’anxiété. Au milieu de cette misère nous relisons Saint Paul : qui nous séparera de l’amour du Christ ?…
Le soir. Arrêt dans une petite gare. Nous sommes sur une voie de garage. Le pont de Passau est coupé.
Du mercredi 18 avril au mardi 24 avril
Stationnement ; notre wagon véritable “radeau de la Méduse”, trois jours et trois nuits dans le vent et la pluie. On fait du feu sur trois briques à même le wagon, au milieu des vivants : les morts de la nuit sont étendus dans les flaques d’eau. On les foule, on les piétine, on n’en fait plus de cas. Pour toute nourriture, durant cette semaine nous avons touché deux fois une boisson chaude et huit pommes de terre. Les cas de dysenterie se multiplient. Les cas d’érésipèle aussi, défigurant en une nuit des détenus. Horreur et torture des nuits, Angoisse de l’extermination. Le frère Louis s’affaiblit. Il ne peut absorber aucune nourriture. Dévouement du frère Jean-Pierre auprès des malades. Neuvaine à Marie-Médiatrice.
Samedi 28 avril 1 h du matin
Les wagons s’ouvrent : nous sommes à Dachau. On se précipite sur les flaques d’eau de la route et l’on boit à même le goudron. Un courant est signalé à 50 mètres de là. On s’efforce d’y courir. Plusieurs, trop faibles pour se cramponner solidement à la berge, tombent à l’eau, dans leur avidité de boire. En se soutenant les uns les autres, on parvient à la porte du camp où nous lisons en allemand: “À tort ou à raison, c’est ici ta maison”.
2-3 h du matin, dans la salle de douches, rencontre avec Jean-Robert Guénaël et Pannier. Nous sommes sauvés.
Dimanche 29 avril
Vers 10 h du matin : alerte aux chars. Le canon tonne. Vers les 5 h de l’après-midi: les Américains sont là. Nous sommes délivrés.
Tels furent certains aspects de ces “marches de la mort”. Elles ont laissé dans la mémoire des survivants des traces indélébiles. Sauvegardons-les.
Pierre Durand d’après le témoignage du R.P Eloi LECLERC – Matricule 81763
Texte publié en novembre-décembre 1995 dans Le Serment N° 244